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Camionneurs : un financement aux couleurs de l’extrême droite

À Ottawa, les camionneurs qui réclament la fin des mesures sanitaires sont appuyés ouvertement par des groupes de droite américains. Alors que le convoi autoproclamé de la « liberté » en est à sa deuxième semaine, le mouvement semble s’être métamorphosé.

Des camions bloquent la rue.

Jour 9 de la manifestation des camionneurs à Ottawa.

Photo : Radio-Canada / Michael Charles Cole

Un « vol », une « fraude », « un acte de tyrannie ». La semaine dernière, la décision de la plateforme GoFundMe de suspendre la campagne de soutien aux camionneurs au motif qu'elle violait ses conditions d'utilisation a été accueillie avec colère et déception par de nombreuses figures importantes de l’extrême droite américaine.

La campagne avait amassé plus de 10 millions de dollars auprès de 120 000 donateurs, qui peuvent demander un remboursement.

Parmi ces figures, le sénateur républicain Ted Cruz et le gouverneur de la Floride Ron DeSantis ont demandé une enquête sur GoFundMe pour fraude, alors que le procureur général du Texas Ken Paxton a annoncé avoir réuni une équipe d'enquêteurs pour déterminer si GoFundMe avait fraudé les donateurs.

L’élue républicaine Marjorie Taylor Greene, récemment suspendue de Twitter pour avoir répandu de fausses informations sur la COVID-19, a traité la compagnie d’entreprise communiste. L’ancien président Donald Trump a qualifié le gel de la cagnotte d'inacceptable.

Depuis, la campagne semble avoir migré vers le site chrétien GiveSendGo, qui a déjà amassé plus de 7 millions de dollars américains en quelques jours seulement. La plateforme créée en 2014 a hébergé de nombreuses campagnes de sociofinancement de groupes d’extrême droite, dont celle d’Enrique Tarrio, un dirigeant des Proud Boys, groupe classé terroriste au Canada. L’Américain Kyle Rittenhouse, qui a tué deux personnes lors de manifestations antiracistes au Wisconsin, avait utilisé la plateforme pour payer ses frais juridiques.

Un donateur anonyme a récemment versé 215 000 $ à la cagnotte pour appuyer les camionneurs. Un autre a versé 75 000 $.

Marjorie Taylor Greene porte un masque sur lequel il est écrit « Trump won ».

La représentante républicaine de l'État de Georgie Marjorie Taylor Greene croit que Donald Trump a remporté l'élection présidentielle de novembre dernier.

Photo : Associated Press / Erin Scott

Pour l’instant, la provenance de l’argent est une question nébuleuse, explique le politologue Frédéric Boily. C’est très difficile de retracer l’argent notamment avec ce genre de plateforme de sociofinancement, ajoute-t-il.

Cela dit, le professeur au Campus Saint-Jean de l’Université de l'Alberta s’étonne de la rapidité avec laquelle le mouvement a été récupéré et appuyé par la droite américaine, et notamment par la famille de l’ex-président Donald Trump.

Mais ça correspond aux réseaux sociaux, l'écosystème qui se développe à l’extérieur des médias traditionnels, estime le spécialiste du mouvement conservateur, ajoutant que ce n’est pas la première fois que la droite canadienne semble être influencée par sa contrepartie américaine.

Dans les années 1990, le défunt Parti réformiste et son fondateur Preston Manning avaient été appuyés et influencés par les républicains de Newt Gingrich et des groupes de droite américains.

« Les mêmes questions, sur l’influence américaine, étaient soulevées.[...] Il y a une sorte de continuité, sauf qu'aujourd'hui cette droite est plus radicale. »

— Une citation de  Le politologue Frédéric Boily

Un mouvement transnational

Cité par le média américain Politico, le groupe de réflexion londonien Institute for Strategic Dialogue a recensé plus de 7000 publications sur des pages Facebook basées aux États-Unis qui ont mentionné le convoi de camionneurs, et 10 millions d'interactions associées, entre le 22 janvier et le 5 février.

Des groupes sur Telegram ou Facebook ont été créés pour coordonner différentes initiatives un peu partout dans le monde. En plus des manifestations similaires à Québec et Toronto, des convois se sont organisés en Alaska et près du pont Ambassador, qui relie les villes de Détroit, dans le Michigan, et Windsor, en Ontario. D’autres doivent converger dans des grandes villes européennes, comme Paris et Bruxelles, dans les prochains jours.

De nombreux analystes y voient de plus en plus un mouvement faussement populaire ou de base, influencé par des intérêts privés ou corporatistes (astroturfing en anglais).

Habituellement, les mouvements populaires explosent rapidement et s’éteignent. Mais là, on voit qu’il y a quelque chose derrière ça, estime le politologue Frédéric Boily, qui y voit en tout cas une métamorphose du mouvement, par son extension idéologique et géographique.

Le professeur y voit néanmoins un certain ancrage populaire lors des manifestations, qui dépassent les groupes ou les leaders au cœur de l’organisation des convois, comme Canada Unity ou Patrick King.

Comment l'encadrer?

Au Canada, la question de l’encadrement du financement a été évoquée aux Communes. Le ministre de la Sécurité publique, Marco Mendicino, a appelé lundi à davantage de vigilance afin de contrer des ingérences étrangères potentielles.

Le gouvernement fédéral dispose de mécanismes robustes pour enquêter sur les contributions financières étrangères à des causes qui compromettent la sûreté et la sécurité nationale du pays, a-t-il clamé.

La politologue Geneviève Tellier constate un phénomène nouveau, impossible avant l'avènement des réseaux sociaux. Là, c’est beaucoup plus facile de financer des groupes dans d'autres pays.

La professeure à l'École d'études politiques à l'Université d'Ottawa fait le parallèle avec le premier ministre de l’Alberta Jason Kenney, qui a lancé en 2019 une enquête publique pour faire la lumière sur des campagnes de salissage visant l'industrie énergétique albertaine. Il accusait des fondations américaines de financer des groupes environnementaux.

L’enquête, dont les conclusions ont été rendues publiques en octobre dernier, n’a finalement révélé aucun acte répréhensible de la part des groupes environnementaux.

On est dans la même logique : est-ce que des groupes d’autres pays peuvent financer des manifestations populaires?, se demande la politologue.

Pour Frédéric Boily, l’exemple albertain montre la difficulté de suivre l’argent et de légiférer en cette matière. Le rapport [de l’enquête] n’a pas été capable de démontrer hors de tout doute qu’il y avait financement étranger, dit-il.

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