Québec n’a jamais étudié les impacts sanitaires du brûlage des déchets à ciel ouvert

À Inukjuak, au Nunavik, les déchets sont brûlés dans une décharge située à l'intérieur du village (archives).
Photo : Radio-Canada / Matisse Harvey
Le gouvernement du Québec n’a jamais étudié l’impact du brûlage à ciel ouvert des déchets sur la santé de communautés du nord de la province et n’a toujours pas prévu de le faire. La pratique, en vigueur depuis des décennies, au Nunavik notamment, incommode régulièrement les résidents de certains villages et pourrait être liée à de graves maladies.
Le brûlage des déchets ménagers est un gros problème dans ma communauté
, a déclaré Shaomik Inukpuk devant le Bureau d'audiences publiques sur l’environnement (BAPE) en juin dernier.
M. Inukpuk est le gestionnaire de la municipalité d’Inukjuak, un village d’un peu plus de 1700 habitants situé en bordure de la baie d’Hudson.
La fumée n’est pas sécuritaire pour notre environnement. Les gens dépendent encore du gibier, ils doivent chasser et pêcher, mais leur source de nourriture est compromise par la fumée de la décharge.
Au nord du 55e parallèle au Québec, les déchets sont traités dans des lieux d’enfouissement en milieu nordique (LEMN). Puisque la présence de pergélisol empêche l’enfouissement tel qu’il est pratiqué dans le sud de la province et qu’il n’y a pas d’incinérateur, les déchets y sont brûlés à ciel ouvert. Il y en a 14 au Nunavik, un pour chaque communauté.
La plupart des LEMN sont situés à quelques kilomètres des villages. Mais dans certains cas, comme à Inukjuak et à Kuujjuarapik, ils ne sont qu’à quelques centaines de mètres des habitations les plus proches. À l’intérieur même de la communauté
, selon M. Inukpuk.
Dans son rapport L'état des lieux et la gestion des résidus ultimes (Nouvelle fenêtre), rendu public le 25 janvier, le BAPE s’étonne qu’aucune étude de santé publique n’ait encore été entreprise jusqu’à maintenant au Québec pour documenter les niveaux de contamination environnementale et d’exposition des populations
vivant près des LEMN.
Des effets potentiellement graves sur la santé
D’après une brochure du gouvernement fédéral (Nouvelle fenêtre), le brûlage de déchets à ciel ouvert peut entraîner des problèmes de santé, notamment des maux de tête, des nausées et des rougeurs. L’exposition à certains produits chimiques toxiques retrouvés dans la fumée, comme les dioxines et les furanes, est associée à certains cancers et à la dégradation des systèmes immunitaire, endocrinien et reproducteur, notamment.
Les effets potentiellement néfastes sur la santé humaine associés au brûlage des matières résiduelles constituent une des principales préoccupations de longue date pour de nombreuses communautés autochtones à travers le Canada
, observe le BAPE dans son rapport. Des communautés inuit et naskapies ont d’ailleurs fait valoir ces préoccupations au cours des consultations.
Les pratiques de brûlage au sol sont en effet considérées comme une menace pour la santé des populations locales en raison des nombreux rejets de contaminants potentiellement toxiques.
Le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) s'est dit au fait des impacts sanitaires associés aux LEMN
, dans une déclaration transmise par courriel.
Cela n’empêche pas le gouvernement du Québec d’imposer, à ce jour, le brûlage à ciel ouvert des déchets dans les LEMN au moins 1 fois par semaine, lorsque les conditions climatiques le permettent
, en vertu du Règlement sur l’enfouissement et l’incinération de matières résiduelles (Nouvelle fenêtre). Une pratique par ailleurs interdite dans les lieux d’enfouissement techniques (LET), qui reçoivent la majeure partie des déchets de la province.
Ce même règlement ne prescrit ainsi aucune distance minimale à respecter entre un LEMN et les lieux habités.
En l’absence de données, il est impératif que le MSSS documente l’exposition des populations limitrophes aux contaminants émis par un tel brûlage
, poursuit le BAPE. Il est également de grande importance que le [ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (MELCC)] procède à la caractérisation de la contamination environnementale.
Toujours aucune étude prévue
Les recommandations du BAPE s’adressant au MSSS méritent d’être analysées
, a réagi le ministère dans une déclaration transmise par courriel. Nous allons procéder à l’évaluation de la faisabilité de ces propositions avec l’aide de nos experts de l’[Institut national de santé publique (INSPQ)].
Pressé à savoir pourquoi il n'avait encore jamais réalisé d'étude sur le sujet, le MSSS a déclaré qu'à ce jour, aucun enjeu de santé publique relié aux LEMN n’a été porté à notre attention
.
En juin, le BAPE a demandé à un représentant du ministère, Koffi Banabessey, à combien il évaluait la priorité à accorder à une telle étude, sur une échelle de 1 à 10.
La priorité serait à 10
, a répondu M. Banabessey. Parce que ce serait très important.
Pour l’instant, il nous est impossible de nous prononcer
sur un échéancier pour ce faire, tempère cependant le MSSS aujourd’hui. De plus, le contexte de la pandémie n’a pas permis d’affecter les ressources nécessaires à ce dossier.
Le problème existait pourtant bien avant l’apparition de la COVID-19. Plusieurs de ces sites ouverts dans les années 1980 sont presque pleins à l’heure actuelle
, note l’Administration régionale Kativik (ARK) dans son dernier Plan de gestion des matières résiduelles du Nunavik (Nouvelle fenêtre), complété en 2015.

À Kuujjuarapik, le lieu d'enfouissement où sont brûlés les déchets n'est qu'à quelques centaines de mètres des habitations les plus proches (archives).
Photo : Radio-Canada / Matisse Harvey
L’ARK n’a toutefois pas demandé au MSSS ni au MELCC d’étudier la question des impacts sanitaires des LEMN, selon Véronique Gilbert, directrice adjointe pour l’environnement et l’aménagement du territoire à l’Administration.
Mais l’absence d’étude ou d’obligation légale d’en réaliser, ça ne veut pas dire que ça n'occasionne pas de problème
, a-t-elle déclaré en entrevue. C’est sûr qu’un brûlage à ciel ouvert de produits, potentiellement des plastiques ou des matières qui peuvent être dangereuses ou émettre des gaz dangereux pour la santé, c’est pas l’idéal.
Ce qui est interdit ailleurs au Québec ne devrait pas être toléré au Nunavik.
Nous exhortons le gouvernement du Québec à prendre des mesures pour soutenir notre région à adopter des pratiques plus sécuritaires afin de réduire ces risques et de protéger la santé de nos communautés
, a écrit la Société Makivik, qui représente les Inuit du Nunavik, dans un mémoire présenté au BAPE en juin.
Plus d’informations nécessaires
La plupart du temps, la température est trop basse. Les déchets ne sont pas toujours triés […] parfois, nous allumons un feu le matin, et 15 minutes plus tard, le vent tourne, et la fumée va directement dans les communautés
, a indiqué Virginie Noël-Aloise, conseillère en santé environnementale pour la Régie régionale de la santé et des services sociaux du Nunavik (RRSSSN), devant le BAPE en juin.
C'est la RRSSSN qui organise les programmes de soins dans la région. Mme Noël-Aloise a énuméré devant le BAPE les effets potentiels sur la santé du brûlage des déchets à ciel ouvert. À court terme, ils incluent des impacts sur le système respiratoire, comme l’irritation des muqueuses, l’aggravation de l’asthme et la toux.
À long terme, les effets potentiels reflètent les avertissements du gouvernement fédéral sur certains cancers et la perturbation des systèmes immunitaire, endocrinien, et reproducteur. Mais ces derniers ne sont pas vraiment applicables au Nunavik, puisque la plupart du temps, il s’agit d’exposition à court terme
pour les populations, selon Mme Noël-Aloise.
Et il y a l’odeur
, a-t-elle ajouté. Ce n’est pas un risque pour la santé, mais c’est un désagrément à propos duquel les gens se sont plaints, et c’est surtout lié à la fumée, quand les vents vont dans l’autre direction.
Pourtant, la RRSSSN n’a été mise au courant d’aucune plainte
, a déclaré la Régie par courriel. Nous entendons parler principalement de nuisances, soit d’odeurs désagréables ou de pollution visuelle. Il n’y a pas d’évidences ou de rapprochements effectués entre ces nuisances et des enjeux de santé sur le territoire du Nunavik.
Mais n’ayant pas de données, il est impossible, actuellement, de faire le lien entre des problèmes de santé ressentis par la population et les LEMN du Nunavik
, a reconnu la RRSSSN.
Questionnée à savoir si elle avait demandé au MSSS qu’une étude soit effectuée, la Régie n’a pas répondu.
Si le gouvernement du Québec n’a pas jugé bon d’étudier la question à ce jour, la Ville de Schefferville, sur la Côte-Nord, a mandaté une firme pour le faire en 2018.
La quasi-totalité des contaminants modélisés présentaient des concentrations supérieures aux normes
du MELCC, conclut l’étude. Certains contaminants présentaient des concentrations supérieures aux valeurs limites applicables sur une étendue importante, se rendant même jusqu'à la ville de Schefferville
, située 3 km plus loin, soit à une distance bien plus grande que les LEMN d’Inukjuak et de Kuujjuarapik, par exemple, ne le sont de leur village respectif.