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Le convoi des camionneurs peut-il encore être considéré comme une manifestation?

Une tente et une cabane en bois.

Le campement installé par les manifestants au parc de la Confédération.

Photo : Radio-Canada / Alexander Behne

Radio-Canada

Le droit de manifester est un droit fondamental au Canada. Mais la présence du convoi de camionneurs à Ottawa peut-elle toujours être considérée comme une manifestation, alors qu'elle paralyse la colline du Parlement depuis une semaine? Isabelle Richer en a discuté vendredi avec Louis-Philippe Lampron, professeur de droit à l'Université Laval.


Isabelle Richer : La situation est très difficile pour les résidents : le bruit, l'agressivité, les rues bloquées... Est-ce que l'expression qui dit que la liberté des uns finit là où celle des autres commence s'applique ici?

Louis-Philippe Lampron : C'est toujours plus compliqué que ça. En droits et libertés de la personne, il n'y a pas de noir ni de blanc, il n'y a que du gris. Mais la liberté de manifestation, c'est un droit fondamental. C'est protégé de manière constante par la jurisprudence de la Cour suprême en vertu de la liberté d'expression.

Maintenant, vous le dites, il n'y a pas de droit fondamental qui est absolu. Alors, la liberté d'expression souffre des limites. Il y a des limites internes à la liberté d'expression et il y a des limites externes, c'est-à-dire des restrictions qui pourraient se justifier en raison du contexte. Par exemple, la pandémie justifie plus de restrictions aux droits et libertés de la personne qu'en temps normal.

Une manifestation, cependant, ne peut pas prendre n'importe quelle forme pour être protégée par la liberté d'expression. Il y a une limite interne qui – et c'est évalué au cas par cas, toujours – va faire en sorte que certains choix d'activités ne seront pas jugés comme étant compatibles avec le lieu public où l'on a choisi de s'exprimer et, ce faisant, pourraient tout simplement être exclus de la protection offerte par la liberté d'expression.

IR : Le droit d'immobiliser de gros camions pendant une semaine dans des rues autour du parlement, par exemple, fait-il partie du droit de manifester?

LPL : Ça risque fort d'être considéré comme exclu dans le contexte d'une éventuelle contestation. C'est-à-dire qu'une manifestation qui restreigne temporairement la circulation – on prend la rue, on marche pendant deux heures –, ça, c'est une chose, c'est protégé par la liberté d'expression.

Mais utiliser la rue de manière contraire à sa destination, en dressant une barricade, en bloquant l'accès de manière durable à ces voies qui servent à permettre à la population de passer, ça, c'est un exemple qui est donné fréquemment par la jurisprudence et par la Cour suprême pour illustrer la limite intrinsèque dont je vous parlais tout à l'heure. Alors, ça pourrait ne pas être une forme d'expression qui est conforme à la liberté d'expression et de manifester.

IR : Et faire du bruit de manière incessante avec des klaxons?

LPL : C'est drôle parce qu'en 2005, par ailleurs, il y a un arrêt de la Cour suprême où l'on donnait cet exemple-là, c'est-à-dire que des bruits, à partir du moment où c'est destiné à empêcher la circulation, ça peut tomber dans le cadre d'application de cette limite intrinsèque là, et donc se voir exclu de la protection de la liberté d'expression.

Et là, j'ai en tête des images très fortes où l'on a vu d'immenses camions, des 18 roues, avec des sirènes de train sans discontinuer à Ottawa. Là, peut-être qu'on entre dans cette catégorie-là et que, ça aussi, ce serait soit pas protégé du tout par la liberté d'expression soit, à tout le moins, si c'est protégé, ça mériterait une protection assez faible.

Isabelle Richer s'entretient avec Louis-Philippe Lampron, professeur titulaire à la Faculté de droit de l'Université Laval.

IR : Des manifestants ont construit un campement en bois qui ressemble à un cabanon où sont entassées des bonbonnes de propane. Ne commence-t-on pas à s'éloigner pas mal du droit de manifester?

LPL : (Rires) Je ne sais pas si le propane est effectivement protégé par la liberté de manifestation. Cela dit, il y a des parallèles à faire – et ça montre bien à quel point c'est complexe et c'est déterminé en fonction du contexte – avec le mouvement Occupy Wall Street, qui avait créé des petits au Québec, alors qu'on avait occupé des parcs, pendant plusieurs semaines parfois.

Mais, encore une fois, c'est une chose que de se demander si, d'occuper de manière durable un parc, c'est quelque chose qui peut être protégé par la liberté d'expression, et de construire un cabanon, de le bourrer de propane – avec les risques pour la sécurité que ça peut impliquer – dans un contexte où l'on bloque l'accès aux voies publiques. Ça, c'est une tout autre question. Il me semble que, dans le deuxième exemple, les manifestants ont moins d'arguments solides à faire valoir pour justifier qu'il n'y avait pas d'autres manières de manifester leur mécontentement.

IR : Et une fois qu'on a laissé les manifestants s'installer, est-ce que c'est comme si on leur avait concédé le droit de le faire?

LPL : C'est la realpolitik qui s'applique quand on est pris dans une situation comme celle-là. C'est comme lors de la crise d'Oka : c'est une chose que d'avoir un droit de démanteler une barricade, c'en est une autre que d'être capable de le faire effectivement et qu'il n'y ait pas de bain de sang, qu'il n'y ait pas de violence, etc.

Évidemment, quand on manifeste avec des 12 roues, c'est plus difficile de déloger des manifestants que si c'est une manifestation qui se passe à pied. C'est sûr que ce qu'on voit à Ottawa actuellement pose cet enjeu-là très, très clairement. Et on va voir ce qui va se passer à Québec.

Certains propos ont été raccourcis et adaptés par souci de clarté et de concision.

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