La colocation chez les adultes gagne en popularité à Sherbrooke

Pour Anne-Laure Bonnin (à droite sur la photo), la colocation est un mode de vie depuis dix ans déjà.
Photo : Collaboration spéciale
Avoir des colocs à 30 ans? Ouvrir la porte de son intimité à des inconnus? Partager les tablettes du frigo et la télécommande de la télé avec des gens qu'on ne connaît pas? C'est la voie que prendraient de plus en plus d'adultes de Sherbrooke qui choisissent la colocation comme mode de vie en réaction au manque d'accessibilité aux logements. Regard sur un phénomène qui semble gagner en popularité.
Même si Statistique Canada et l'Institut de la statistique du Québec notent aucune statistique ou donnée officielle permettant de dresser un portrait exact de la situation, il suffit de jeter un coup d'œil sur les sites de petites annonces comme le Marketplace de Facebook ou Kijiji pour y trouver des dizaines d'offres de colocation.
Si longtemps la chose était commune chez les étudiants, elle se démocratise de plus en plus auprès des adultes qui ont rangé leurs manuels scolaires a aussi remarqué le sociologue et professeur à l'École de travail social de l'Université de Sherbrooke, Paul Morin. La question du logement n’a jamais été une priorité en matière de politique sociale au Canada. C’est l’enfant pauvre des politiques sociales. Il y a aussi le phénomène de séparation des couples. Il y a de plus en plus de personnes qui vivent seules. Les coûts du logement ont augmenté de façon phénoménale. Mis tout ça ensemble, ça fait une tempête parfaite
, analyse celui qui s'intéresse à la question du logement social depuis longtemps.
Aussi, selon M. Morin, le fait qu'il y ait de moins en moins de maisons de chambres
, que les familles se soient transformées au fil des années
et que le coût de la vie, qui était stable depuis plusieurs années, explose
sont d'autres facteurs qui expliquent pourquoi la colocation est de plus en plus envisagée par des adultes.
« Effectivement, il y a une augmentation des gens qui acceptent de vivre avec une autre personne qui leur est inconnue ce qui est assez singulier. Ces hommes et ces femmes-là n'ont pas le choix. Faute de mieux, c’est ce qu’on prend. Les gens se démerdent. »
Pas juste une question d'argent
Si Anne-Laure Bonnin s'est lancée dans l'aventure de la colocation, ce n'est pas seulement pour rendre ses fins de mois plus faciles, c'est surtout pour la vie en communauté. Cette infirmière de 30 ans partage sa maison avec trois autres personnes âgées entre 24 et 32 ans. Je suis une expatriée française. Ici, les amis et les habitants d’un même toit, ça devient une famille. J’aime recréer ce genre de lien en dehors du contexte familial. La colocation se prête à ça
, explique celle qui a choisi ce mode de vie il y a une décennie.
Pour elle, vivre avec des colocs est extrêmement enrichissant. Il y a toujours quelqu’un de motivé pour faire quelque chose. C’est génial! On se lève le matin et quelqu’un va avoir préparé des petits muffins. Le soir, quelqu’un d'autre va cuisiner. Il y a vraiment un esprit d’entraide et de partage. Ce n’est pas chacun sa chambre et on se croise, on va travailler et on se parle jamais.
« Dans un contexte de pandémie où on doit rester isolé, la colocation, c’est un régal. On n’a jamais eu l’impression d’être isolé. Je vais travailler et je suis avec mes amis tous les jours. L’isolement de la pandémie, on ne l’a pas connu. »
Au début janvier, Anne-Laure Bonnin a publié une annonce sur les réseaux sociaux pour trouver un nouveau colocataire. Ce qui a été très intéressant, c'est que j’ai eu toutes sortes de demandes comme des hommes de 50 ans ou des mamans avec un enfant qui étaient prêtes à vivre en colocation étant donné le marché. Je ne suis absolument pas contre. Je crois que ça peut être très enrichissant pour un enfant de vivre ce genre d’expérience. Le marché de l’immobilier pousse à des décisions de vie qu’on n’aurait pas vu avant.
De l'aide pour les factures
La colocation allège de façon importante le poids des factures dans un contexte où le coût de la vie augmente sans cesse. C'est la raison qui a poussé Laureane Pellerin, 22 ans, à inviter quelqu'un qu'elle ne connaît pas à s'installer dans son sous-sol. Je suis jeune et je n'ai pas de copain. Les prix sont chers. J'avais l'argent pour acheter une maison, mais mon salaire n'était pas assez haut pour tout ce qu'il y avait à payer chaque mois. Comme le sous-sol est vide, je me suis dit pourquoi pas!
« Les prix des appartements sont vraiment exagérés. Ça revenait moins cher pour moi d'acheter une maison avec une coloc. Ça n'a pas d'allure les prix. C'est difficile d'y arriver de nos jours. »
Avec surprise, elle a reçu plus d'une trentaine de messages de gens intéressés à son offre, et ce, en une seule journée. Il y a même une fille qui m'a envoyé un message vocal en pleurant parce que je ne l'avais pas choisie.
Quant à Mathieu Delaronde-Fournier, un travailleur de la construction de 22 ans, il a voulu rendre service à ceux qui sont incapables de se trouver un appartement à coût abordable. J'ai moi-même eu de la misère à me trouver un nouveau logement. La pénurie de logements est incroyable. Les propriétaires sont aussi très difficiles avec enquêtes de crédit. [...] J'ai décidé d'ouvrir mon chez-moi étant donné que j'avais un grand logement. Je me suis dit que j'allais aider d'autres personnes et que ce serait moins cher aussi si on est plusieurs.
« Moi, j'ai eu de la misère à trouver. Personne ne pouvait m'aider. Là, j'ai l'occasion d'aider, alors je le fais. »
La vie seule peut être longue
Vivre seul peut être lourd et long pour certains. Paul Morin croit que ça peut jouer aussi dans la popularité de la colocation. Malgré les Facebook de ce monde, le phénomène de l’isolement social est très répandu peu importe la catégorie d’âge. C’est beau l’internet, mais converser avec une personne en chair et en os, c’est un besoin humain fondamental. On a le goût d’être avec du monde même si ce sont des étrangers.
« Plein d’études le disent, l’isolement, c’est comme fumer plusieurs cigarettes par jour, ça tue. Les gens ont besoin de sortir de leur isolement de différentes façons au-delà des Zoom de ce monde. »
Mettre de l'eau dans son vin
À l'Association des locataires de Sherbrooke, on entend de plus en plus parler de gens qui font le saut dans le monde de la colocation, mais qui le font par obligation. Ils vont dans toutes les directions pour être capables d’avoir un logement qu’ils peuvent payer
, dit le porte-parole de l'organisme, Mario Mercier.
Ce dernier rappelle tout de même que ce mode de vie n'est pas pour tous. Vivre en commun, c’est que tu vis dans l’appartement de quelqu’un, tu vis dans son intimité, tu dois mettre de l’eau dans ton vin. Ce n’est pas pour tout le monde. Pour avoir un toit, il y a des compromis à faire qui ne sont pas toujours faciles. Mais si la solution, c’est de rester dans le banc de neige, la colocation c’est peut-être mieux.
Pour faciliter les relations entre nouveaux colocataires, Mario Mercier y va de ce précieux conseil. Il ne faut pas se lancer dans ce projet les yeux fermés. Il faut se donner un contrat social avec la personne avec qui on va vivre. Tu te lèves à quelle heure? Qu’est-ce que tu ne peux pas faire? Vivre ensemble, ça veut dire respecter l’autre avec qui tu vas être.