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48 h dans les coulisses du convoi des camionneurs

Des camionneurs de partout au pays paralysent le centre-ville d’Ottawa depuis six jours pour protester contre l'obligation vaccinale à la frontière. Pendant 48 heures, notre journaliste a accompagné l’un d’entre eux depuis la Beauce jusqu'aux portes du parlement.

Un camionneur au volant de son véhicule

Louis Martin n'est pas exactement un habitué des manifestations, mais il a décidé de faire le voyage de la Beauce jusqu'à Ottawa pour dénoncer les mesures sanitaires.

Photo : Radio-Canada / Frédéric Lacelle

Vendredi 28 janvier : le soleil se lève à peine et une petite neige tombe sur le village de Saint-Évariste, en Beauce. Dans son grand garage, Louis Martin prépare ses bagages. Le véhicule a l’air gigantesque à côté de lui. Dans la cabine de son camion, il range une glacière et un oreiller. Il ne fait pas qu’un aller-retour à Ottawa. « Je souhaite étirer ça pour que ça vaille la peine, dit le propriétaire d’une compagnie de transport. Je pense qu’on a une bonne chance de se faire entendre. Faut pas la manquer. »

En ce vendredi matin, le camionneur s’apprête à se joindre à ce qu’il appelle le Convoi de la liberté. Avec des dizaines de collègues de sa région, il prend part à ce mouvement qui est né dans l’Ouest le 22 janvier dernier. Il va gonfler les rangs de milliers de routiers qui traversent le pays au même moment pour signifier leur ras-le-bol au premier ministre Justin Trudeau.

Devant son mastodonte de tôle, le camionneur dans la jeune quarantaine installe une banderole sur laquelle on peut lire Fuck you Legault. Louis Martin est bien conscient que Québec n'est pas sur sa route, mais il n'aime pas non plus les mesures sanitaires provinciales, et il tient à le dire. On veut revenir à une normalité, comme c’était avant, lance-t-il en replaçant sa casquette.

Louis Martin dans son camion.

Louis Martin est parti de la Beauce afin de se rendre à Ottawa afin de participer au convoi de camionneurs.

Photo : Radio-Canada

Un contrat refusé

COVID-19 : tout sur la pandémie

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Une représentation du coronavirus.

Depuis le 15 janvier, le gouvernement fédéral impose la vaccination contre la COVID-19 aux camionneurs qui franchissent la frontière canado-américaine. Une mesure semblable est en vigueur aux États-Unis depuis le 22 janvier.

L'industrie connaît une grave pénurie de main-d'œuvre. Quelque 23 000 camionneurs manquent à l’appel, soit 8000 de plus qu’au début de 2021, selon l’Alliance canadienne du camionnage, qui se dissocie d’ailleurs du mouvement. Celle-ci estime que 10 % des camionneurs au pays ne sont pas adéquatement vaccinés.

Deux camionneurs installent une banderole sur un camion.

Les camionneurs ont presque tous décoré leurs véhicules de messages et de slogans.

Photo : Radio-Canada / Frédéric Lacelle

Louis Martin rejoint une vingtaine de véhicules à la frontière américaine, en bordure du village de Saint-Théophile. Un homme distribue des autocollants freedom (liberté) à tous les participants.

Au volant de son véhicule, il m’explique qu’il est personnellement touché par l’obligation vaccinale. J’ai refusé un contrat offert par une entreprise de sirop d’érable. Elle devait envoyer régulièrement des cargaisons au Vermont, dit-il.

Malgré l’homologation du vaccin par Santé Canada et les agences du monde entier, il craint les effets à long terme de ce qu’il qualifie de roulette russe.

Haie d'honneur pour les camionneurs

Des manifestants sur un viaduc

Tout au long de la route entre la Beauce et Ottawa, des gens se massent sur les viaducs pour soutenir les camionneurs.

Photo : Radio-Canada / Frédéric Lacelle

Le 26 janvier, Justin Trudeau a qualifié le mouvement de petite minorité marginale qui a des propos inacceptables qui ne représentent pas les Canadiens. Sur le bord des routes de tous les villages de la Beauce que nous traversons, des centaines de personnes accueillent les camionneurs du convoi en héros. Sur presque tous les viaducs sous lesquels nous passons, des citoyens font flotter leurs drapeaux du Canada à l’envers et leurs pancartes arborant tout le champ lexical des insultes envers le premier ministre.

J’ai le poil droit sur les bras, mais ce n’est pas parce que mes fenêtres sont ouvertes, affirme le camionneur, qui ne se fatigue pas d’actionner frénétiquement son klaxon.

On voit qu’on n’est pas seuls. Le monde est tanné des mesures sanitaires.

Une citation de Louis Martin, camionneur

N’empêche que des éléments plus extrémistes prennent part au mouvement. Un des leaders albertains, Patrick King, est connu pour ses propos racistes, homophobes et transphobes diffusés sur les réseaux sociaux. Dans une vidéo mise en ligne, il souhaite qu’on mette fin aux mesures sanitaires avec des balles de fusil. Il a cofondé Wexit Canada (aujourd’hui appelée Maverick Party), une formation qui veut l’indépendance des provinces de l’Ouest.

Tamara Lich, secrétaire du même parti, est derrière une campagne de financement participatif pour appuyer le convoi qui a récolté plus de 10 millions de dollars en 10 jours. Hormis 1 million de dollars, les fonds ont été gelés par la plateforme GoFundMe, jusqu’à ce que les organisateurs aient un plan clair sur la façon dont ils seront dépensés.

L’organisme Canada Unity, qui participe au convoi, souhaite renverser le gouvernement ⁠pour former un comité citoyen qui mettra fin aux mesures sanitaires. Plus de 280 000 personnes auraient signé leur protocole d’entente, selon son site web.

Même s’il prend part au convoi, Louis Martin refuse d’être associé aux éléments extrêmes du groupe. Lorsqu’il y a des milliers de personnes dans un mouvement, c’est clair qu’il va y en avoir des plus radicaux, dit-il en conduisant son camion à 40 km/h sur l’autoroute 20 entre Québec et Montréal. Les gens qui sont ici ne sont pas des casseurs. On est pacifiques.

Le convoi prend une pause pour la nuit sur un grand terrain vague prêté par un fermier de Vankleek Hill, une petite municipalité située entre Montréal et Ottawa, du côté ontarien de la frontière. Il rejoint celui des collègues des provinces de l’Est, arrivé un peu plus tôt.

Un convoi de camionneurs et un rétroviseur

Louis Martin passe la nuit dans son camion sur un terrain vague entre Montréal et Ottawa.

Photo : Radio-Canada / Frédéric Lacelle

Des centaines de camions sont cordés les uns à côté des autres. Malgré un froid polaire, l’ambiance est à la fête. Les fameux klaxons se font évidemment entendre et des feux d’artifice explosent. Pour se réchauffer, des manifestants s’attroupent autour des feux allumés dans des barils métalliques.

Louis Martin s’installe à l’arrière de son camion. L’endroit semble étonnamment assez confortable : lit double, frigo et four à micro-ondes. Sa femme, qui a fait la route seule depuis la Beauce, l'a rejoint pour participer à la manifestation de samedi.

Un sentiment de trahison

Le lendemain matin, il fait toujours aussi froid. Néanmoins, dans un immense hangar, un petit-déjeuner est offert aux camionneurs pour les réchauffer avant de reprendre la route.

Le Beauceron fait encore crier son klaxon alors qu’il met le cap vers la capitale fédérale. À mesure qu’on approche, la foule est de plus en plus dense sur les viaducs qui surplombent l’autoroute. On ne compte plus les drapeaux noirs sur lesquels il est écrit Fuck Trudeau.

Au début de la pandémie, le premier ministre avait demandé à la population de remercier les camionneurs (Nouvelle fenêtre) pour leur travail lorsque la pandémie était hors de contrôle dans certains États américains. Cependant, les sentiments à l'égard de Justin Trudeau ont depuis radicalement changé chez certains routiers.

C’est sûr qu’on se sent trahis, dit Louis Martin. Beaucoup d’entre nous avaient peur du virus. Ils ont continué à traverser la frontière, même si on leur bloquait l’accès aux restaurants, aux douches et aux toilettes.

Selon la Chambre de commerce du Canada, le gouvernement fédéral n’a pas été en mesure de prouver que l’industrie du camion a été une source majeure d’éclosion depuis le début de la pandémie de COVID-19.

« Party » dans la capitale

Après cinq heures pris dans la congestion de l’autoroute 417, le convoi arrive finalement à Ottawa. Impossible de se rendre jusqu’au centre-ville, où des camionneurs occupent déjà la rue Wellington, devant le parlement. Des policiers orientent la caravane beauceronne vers un grand stationnement situé à cinq kilomètres du siège du pouvoir. C’est à pied que Louis Martin devra aller manifester.

C’est la fête et le chaos à Ottawa : des dizaines de camions cassent les oreilles des citoyens avec leurs klaxons. Des centaines de personnes s’attroupent sur l’esplanade du parlement. Des feux d’artifice explosent sans cesse. Une atmosphère de Saint-Jean-Baptiste plane sur la capitale fédérale.

Le père a laissé ses trois enfants derrière lui, mais il ne compte pas lever le camp de sitôt. On va se croiser les doigts pour que le gouvernement recule, dit-il. Mais si l’on n’arrive pas à nos fins, au moins, on aura réussi à se mobiliser.

Je laisse Louis Martin devant la tour de la Paix, en pleine manifestation à laquelle sa femme prend part elle aussi. Il prend des photos pour documenter ce mouvement historique.

Avec le vacarme permanent au centre-ville, il ne fait pas de doute que les camionneurs se font entendre. Après six jours d’occupation, on ne sait pas combien de temps ils demeureront sur la colline du Parlement, mais ce sont des gens qui ont la capacité de rester longtemps sur la route.

Justin Trudeau affirme qu’il ne se laissera pas intimider par les camionneurs. Toutefois, ceux-ci n’ont pas l’intention de bouger, tant que les mesures sanitaires seront toujours en place.

Jeudi matin, Louis Martin est toujours à Ottawa avec son véhicule. Dans une vidéo publiée en direct sur Facebook, il appelle d’ailleurs le public à le rejoindre, armé de pelles, pour combattre la bordée de neige annoncée sur la capitale.

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