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Des médecins en soins palliatifs inquiets de dosages « potentiellement excessifs »

Plusieurs établissements au Québec ont déjà suspendu l'application de protocoles, développés en début de pandémie de COVID-19, qui visaient à soulager les patients souffrant de détresse respiratoire.

Une femme aux soins palliatifs.

Une revue des protocoles de détresse respiratoire en vigueur au début de l’automne dernier, effectuée à la demande de Radio-Canada, a débouché sur un constat préoccupant.

Photo : iStock

Des doses de médication « potentiellement excessives » figurent dans plusieurs protocoles de détresse respiratoire de patients atteints de la COVID-19, constate la Société québécoise des médecins de soins palliatifs (SQMDSP) qui lance un appel à corriger la situation dans les meilleurs délais.

Lors des premiers mois de la pandémie, bien des infirmières et des médecins ont eu à prodiguer des soins palliatifs à des patients atteints de la COVID-19 dans des conditions inédites.

Au fil des semaines, le virus faisait des victimes surtout chez les personnes âgées, dont plusieurs présentaient de grandes difficultés respiratoires. On en comptait plus de 5000 à la fin du mois de juin 2020.

Des protocoles ont été adoptés rapidement dans les établissements pour répondre à la demande des équipes, dont l’expertise et la formation en soins palliatifs étaient très variables d’un milieu de soins à l’autre, constate aujourd’hui Christiane Martel, présidente de la Société québécoise des médecins de soins palliatifs.

À la demande de Radio-Canada, une douzaine de médecins de la Société ont parcouru les protocoles de détresse respiratoire en vigueur au début de l’automne dernier auprès d’une vingtaine d’établissements de santé partout au Québec. Au fil de notre démarche, certains ont été retirés.

Leur constat est préoccupant.

Certains protocoles de détresse respiratoire et de perfusion proposent des doses évaluées comme potentiellement excessives, en ce sens qu’elles pourraient occasionner un risque d’accumulation et de surdose chez certains patients, note le groupe de médecins de la Société.

Les patients surdosés peuvent présenter un ralentissement psychomoteur allant jusqu’à la somnolence, des nausées, des myoclonies, un myosis, un ralentissement du rythme respiratoire pouvant aller jusqu’à la dépression respiratoire, peut-on lire dans leur rapport remis à Radio-Canada.

En entrevue, la présidente de la Société, Christiane Martel, précise que, dans certains cas, une dépression respiratoire peut mener à un décès.

  • Au Québec, une combinaison de médicaments (opioïde, benzodiazépine et anticholinergique) est généralement utilisée pour contrer la détresse respiratoire;

  • Dans le continuum de services en soins palliatifs, la détresse respiratoire représentait une proportion relativement faible des patients avant la pandémie; ce pourcentage aurait augmenté en raison des symptômes liés à la COVID-19.

Dans leur analyse, les auteurs du rapport ont retrouvé des doses potentiellement excessives dans les protocoles de détresse respiratoire de patients COVID-19 des établissements suivants : CISSS du Bas-Saint-Laurent, CISSS de la Côte-Nord, CISSS de Laval, CISSS de la Gaspésie, CISSS de la Montérégie-Ouest.

Les auteurs soulignent que les protocoles de ces cinq établissements s'appuient sur un outil américain, le Respiratory Distress Observation Scale (RDOS; Échelle de mesure de la dyspnée ou de la détresse respiratoire). En fonction d’une liste de critères notés par le personnel soignant, tels que le rythme respiratoire, le pouls, le regard effrayé du patient, un pointage détermine un certain niveau de médication à administrer.

Cette échelle évalue la sévérité de la difficulté respiratoire, écrivent les auteurs du rapport de la Société québécoise des médecins de soins palliatifs. Ainsi, si le patient a une difficulté légère (RDOS de 3 points), il a une dose plus faible qu’un patient ayant une difficulté sévère (RDOS de plus de 7 points). Les doses ont été considérées comme potentiellement excessives, car le score RDOS n’est pas forcément le reflet d’une détresse respiratoire au sens de l’INESSS [Institut national d'excellence en santé et en services sociaux] qui doit inclure un élément de panique, d’anxiété, de suffocation, etc. Par ailleurs, les doses, en particulier si elles sont associées à une difficulté sévère (RDOS plus de 7), sont jugées trop élevées, puisqu’elles ne prennent pas en compte le fait qu’un patient soit âgé, frêle et naïf aux opioïdes. Un patient « naïf aux opioïdes » signifie qu'il n’en a jamais pris.

Les protocoles utilisant l’échelle RDOS sont inspirés d’une formation diffusée en début de pandémie par la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec [FMOQ], notent les auteurs du rapport.

Au CHUM, leur protocole a été jugé acceptable pour les niveaux légers et modérés, mais potentiellement excessif pour les patients avec symptômes sévères advenant qu’ils soient naïfs aux opioïdes, indique-t-on.

Par ailleurs, d’autres protocoles ayant recours à des perfusions chez les patients COVID-19 affichent également des doses potentiellement excessives, en particulier au CISSS de Laval, de la Gaspésie, ainsi qu’au CIUSSS du Centre-Sud-de-l'Île-de-Montréal dans le cadre des protocoles pour les congés à domicile. Les perfusions se font par pompe conventionnelle ou par infuseur.

Aucun protocole proposant des doses potentiellement excessives n’a été identifié par la Société dans les protocoles de détresse respiratoire pour les patients non COVID-19, soulignent les auteurs.

Selon le groupe de médecins, devant les recommandations hors Québec et la pratique clinique, notre équipe a conclu que la bonne pratique voulait que les doses utilisées lors d’une détresse respiratoire pour les patients COVID-19 et non COVID-19 soient similaires.

Le contexte de la COVID-19 apporte des défis qui peuvent justifier des pratiques différentes, reconnaissent les auteurs, notamment de donner des doses légèrement plus élevées pour minimiser les entrées et les sorties dans une chambre en isolement gouttelette-contact et pour s’assurer que le patient soit soulagé le plus possible, en particulier en situation de manque de personnel.

Une affiche en forme de coeur devant un CHSLD.

Lors des premiers mois de la pandémie, bien des infirmières et des médecins ont eu à prodiguer des soins palliatifs à des patients atteints de la COVID-19 dans des conditions inédites.

Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers

Des changements demandés

L’équipe de médecins de la Société est à ce point préoccupée par les conclusions du rapport qu’elle est intervenue ces derniers jours auprès des établissements et de la FMOQ.

On se devait à court terme d’informer des CMDP [Conseil de médecins, dentistes et pharmaciens] des établissements que leur protocole était inapproprié à la lumière d’un état de situation qu’on a fait à partir des documents que vous avez obtenus, explique la présidente de la Société québécoise des médecins de soins palliatifs. On leur propose un protocole de détresse respiratoire qui répond aux bonnes pratiques.

Compte tenu de l'évolution des connaissances, nous avons également demandé à la FMOQ de retirer de leur plateforme la formation Prise en charge de la détresse respiratoire chez les patients atteints de COVID-19 avec niveau de soins C et D afin d'éviter que des médecins moins expérimentés en soins palliatifs, en toute bonne foi, appliquent ces protocoles qui pourraient causer des surdosages, ajoute la médecin Christiane Martel.

Ces patients de niveau de soins C et D sont généralement ceux qui sont le plus gravement atteints de la COVID.

Les auteurs du rapport suggèrent également à des organismes comme l’INESSS un meilleur encadrement des dosages.

Il serait intéressant que les autorités compétentes encadrent mieux la prescription sécuritaire d’opioïdes et de benzodiazépines pour le soulagement des symptômes, dont la détresse respiratoire, écrivent-ils.

Méthodologie

  • L’équipe de la Société québécoise des médecins de soins palliatifs a réalisé son analyse à partir des documents obtenus par Radio-Canada ces derniers mois par la Loi d’accès aux documents des organismes publics;
  • 11 médecins membres du C. A. de la Société ont participé à l’analyse des protocoles de détresse respiratoire;
  • Les médecins responsables se sont assurés que les protocoles jugés divergents étaient révisés par plusieurs évaluateurs indépendants;
  • Afin de guider et de standardiser le plus possible la cueillette de données, les médecins ont reçu un tableau d’aide à l’analyse, comprenant les doses répertoriées dans des articles et/ou guides produits à l’échelle nationale et internationale pour soulager les patients atteints de COVID-19. Pour les doses des protocoles des patients non COVID-19, les doses standards ont été tirées d’une des références en soins palliatifs les plus utilisées au Québec, soit le « Guide pratique des soins palliatifs : gestion de la douleur et autres symptômes », produit par l’Association des pharmaciens en établissements de santé du Québec;
  • Le rapport final a été approuvé par le conseil d’administration de la Société qui regroupe une centaine de médecins partout au Québec pratiquant des soins palliatifs à temps partiel ou à temps plein;
  • Les établissements suivants n’ont pas donné suite à notre demande d’accès aux documents : CISSS de Lanaudière, CIUSSS du Centre-Ouest-de l’Île-de-Montréal, Régie régionale de santé et de services sociaux du Nunavik, Conseil cri de la santé et des services sociaux de la Baie James;
  • La Loi concernant les soins de fin de vie définit les soins palliatifs comme étant l’ensemble des soins dispensés aux personnes atteintes d’une maladie qui limite la durée de leur vie. Sans hâter ni retarder la mort, l’objectif des soins palliatifs est d’obtenir, pour les personnes et leurs proches, la meilleure qualité de vie possible et de leur offrir le soutien nécessaire. Les soins palliatifs sont organisés et offerts grâce aux efforts de collaboration d’une équipe soignante qui met à contribution la personne et ses proches.

La FMOQ retire les formations, des CISSS aussi

Radio-Canada a appris ces dernières heures que la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec a accédé à la demande de la Société québécoise des médecins de soins palliatifs.

Nous avons retiré les formations en ligne parce que la situation actuelle n’est plus la même qu’en avril 2020, confirme Jean-Pierre Dion, directeur des communications et des affaires publiques de la Fédération.

Les CMDP des CISSS et CIUSSS sont maintenant mieux outillés et bien en mesure de prendre en charge les cas, ajoute M. Dion. Tout matériel de Développement professionnel continu pour les médecins est évalué périodiquement quant à sa pertinence et à son contenu.

Radio-Canada a appris que certains établissements ont également cessé d’utiliser les protocoles de détresse respiratoire chez les patients COVID-19 basés sur une échelle d’évaluation de la détresse respiratoire.

Au CISSS de la Gaspésie, le porte-parole Jean Morin précise qu'en raison de nouvelles connaissances scientifiques, le protocole de détresse respiratoire chez les patients COVID-19 a été retiré ces derniers mois ainsi que l’échelle d’évaluation de la détresse respiratoire (RDOS) et les soignants du CISSS de la Gaspésie sont revenus aux protocoles usuels.

Réponse similaire du côté de la Montérégie-Ouest qui dit ne plus utiliser le protocole examiné par la Société. Il s’agit d’un protocole qui a été approuvé pour les zones chaudes communautaires au début de la 2e vague et qui n’est présentement plus utilisé, nous écrit la direction des communications et des affaires publiques du CISSS de la Montérégie-Ouest.

Le CMDP du CISSS de la Montérégie-Ouest a reçu les recommandations de la Société québécoise des médecins en soins palliatifs le 27 janvier 2022 qui sont basées sur l’expérience clinique acquise des derniers mois avec une nouvelle compréhension de la maladie.

Au CHUM, le protocole visé a été mis de côté.

Le protocole a été élaboré durant la première vague de COVID-19 et a été utilisé ​principalement lors de cette dernière [...] Lors des vagues subséquentes, l'application du protocole était peu fréquente et il a été désactivé officiellement à l’automne dernier, confirme la porte-parole Andrée-Anne Toussaint.

« Des recommandations européennes et canadiennes ont démontré que les patients en fin de vie atteints de la COVID-19 n’avaient pas des besoins d’opiacés et de benzodiazépines plus élevés que les autres patients en fin de vie avec insuffisance respiratoire. »

— Une citation de  Andrée-Anne Toussaint, porte-parole du CHUM

Au CIUSSS du Centre-Sud-de-l'Île-de-Montréal, le conseiller aux relations médias, Danny Raymond, nous a répondu que ce protocole avait été mis en place lors de la première vague de la pandémie [...] il a été retiré le vendredi 28 janvier dernier.

Au CISSS du Bas-Saint-Laurent, le porte-parole Gilles Turmel nous écrit que nous devons prendre le temps d’évaluer les protocoles et la littérature en regard de ce qui est mentionné par la SQDMSP.

Même son de cloche du côté de la Côte-Nord. Le CISSS de la Côte-Nord est disposé à participer à la révision de ses pratiques provenant de toute instance qui le demanderait, et ce, en fonction de nouvelles données cliniques ou de nouvelles recommandations, écrit son porte-parole Pascal Paradis. Des outils ont été utilisés à quelques reprises dans notre établissement et ont permis un bon soulagement chez les usagers qui en ont bénéficié, ajoute-t-il.

De son côté, l’INESSS dit ne pas avoir obtenu de mandat du gouvernement pour réviser l’encadrement des dosages. Sa porte-parole Olivia Jacques répond que malheureusement nous ne pouvons émettre de commentaire sur ce sujet, puisque nous n’avons pas reçu de mandat à cet effet, et donc nous n’avons pas l’information nécessaire à ce moment-ci pour nous prononcer.

Une médecin perplexe

Au CISSS de Laval, la médecin qui a développé le protocole de détresse respiratoire chez les patients atteints de COVID-19 avec niveau de soins C et D, examiné par la Société québécoise des médecins de soins palliatifs, s’étonne de leurs conclusions.

Je suis perplexe des actions et des propos de certains médecins représentant la SQMDSP, nous a écrit la Dre Marjorie Tremblay.

Pour ce qui est des doses suggérées, elles sont plus élevées que le protocole de détresse usuel pour s’adapter au contexte de la COVID-19, précise-t-elle. Une révision de 40 cas est décrite qui démontre l’efficacité des dosages pour rendre les patients confortables et malgré des doses qui a priori semblent élevées, les patients ont besoin souvent de deux ou trois protocoles à ces doses plus élevées avant d’être confortables. Alors, le résultat sur le confort est délétère si les doses ne sont pas ajustées à la hausse.

Cette dernière précise que le RDOS sert justement à pouvoir identifier si un patient avec état minimal de conscience est en détresse respiratoire ou non [car il ne pourra pas exprimer ses inconforts].

La Dre Tremblay ajoute que tous les témoignages des médecins qui les ont utilisés reçus par la FMOQ et moi-même [plusieurs dizaines de courriels et appels téléphoniques] sont excellents.

D’ailleurs, poursuit-elle, les trois webinaires sont devenus une formation coup de cœur de la FMOQ et j’ai même reçu la médaille de l'Assemblée nationale pour cela en février 2021.

La porte-parole du CISSS de Laval, Marie-Eve Despatie-Gagnon, rappelle que ce protocole est utilisé depuis le milieu de la première vague de la pandémie chez les patients atteints de la COVID-19, et est toujours en vigueur.

Elle précise cependant que, considérant l’enquête du coroner sur les CHSLD qui est toujours en cours, le CISSS de Laval ne peut se prononcer davantage sur la situation décrite [et] est prêt à participer aux révisions de toute instance qui l’exigerait.

Une femme assise dans une salle d'un palais de justice.

La coroner Géhane Kamel a mené une enquête publique sur les décès survenus en CHSLD.

Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers

Un protocole cité lors de l’enquête de la coroner sur les décès en CHSLD

Ce protocole du CISSS de Laval et son auteure, la Dre Marjorie Tremblay, ont fait l’objet de reportages ces derniers mois dans le cadre de l’enquête de la coroner Géhane Kamel sur les décès en CHSLD.

Il faut dire que la coroner Kamel avait sursauté au mois de juin en apprenant que des biberons contenant de la morphine (opioïde) avaient été administrés à des résidents du CHSLD Sainte-Dorothée à Laval souffrant de détresse respiratoire. La coroner avait aussitôt demandé au CISSS de Laval d’obtenir une copie du protocole.

Des familles avaient laissé entendre que leurs proches avaient été condamnés à mort, suggérant qu’on aurait pu les soigner plutôt que de leur offrir un cocktail de morphine, de benzodiazépine et d’anticholinergique.

Lorsqu’elle s’est présentée le 2 novembre à l’enquête publique de la coroner sur les décès en CHSLD, la Dre Tremblay s’est défendue d’avoir accéléré le décès de certains patients.

Il faut arrêter de penser que la morphine tue, a-t-elle insisté auprès de la coroner Kamel.

La Dre Tremblay avait été invitée par la coroner à venir expliquer le protocole et les soins palliatifs qui ont été implantés dans les CHSLD de Laval.

L’experte en soins palliatifs a expliqué qu’elle avait été mandatée dans l’urgence par le CISSS de Laval, lors de la première vague, pour créer un outil facilement utilisable afin que les professionnels de la santé puissent offrir une fin digne aux patients sévèrement atteints de la COVID-19, soit des patients de niveau C ou D.

Un niveau de soins C vise à assurer le confort prioritairement à prolonger la vie, tandis que le niveau D vise à assurer le confort uniquement, sans viser à prolonger la vie.

Source : INESSS

La Dre Tremblay a également mentionné que le protocole de soins palliatifs qu’elle a élaboré a été utilisé à Laval et ailleurs au Québec.

Je sais que le CISSS de Laval l’a implanté partout [...] Je sais qu’il a été utilisé en Gaspésie, Côte-Nord, Saguenay [...] et j’ai eu des dizaines de courriels de remerciement partout au Québec.

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