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Quels sont les enjeux de la communauté noire estrienne en 2022?

Février est le Mois de l’histoire des Noirs. Une occasion de souligner l’apport des personnes afrodescendantes à la société, mais aussi de réfléchir aux obstacles qui freinent leur intégration.

Mois de l`histoire des Noirs.

Février est le Mois de l'histoire des Noirs.

Photo : Radio-Canada

Juillet Edgard Douckaga, Sherbrookois d’adoption et bénévole à l’organisme Touche noire, parle sans détour des barrières qui se dressent depuis toujours sur le parcours de la communauté noire. Que ce soit celle qui se trouve à Sherbrooke, Montréal ou même aux États-Unis, il estime qu'elles vivent des enjeux semblables.

Natif du Gabon, en Afrique, Juillet Edgard est arrivé à Sherbrooke en 2005. Il estime qu’en 2022, les personnes noires sont encore discriminées et marginalisées. On gagne, on avance tranquillement, mais il en reste encore beaucoup, souligne-t-il.

Peut-être qu’aux États-Unis, on va dire que c’est extrapolé parce qu’il y a plusieurs choses qui amènent à certains événements. Cependant, la situation demeure la même. La discrimination demeure la même. Les enjeux pour les afrodescendants demeurent les mêmes, que ce soit sur le plan social, économique. Ce sont des batailles quotidiennes.

un homme qui sourit.

Juillet Edgard Douckaga croit que les communautés noires vivent toujours de la discrimination.

Photo : Juillet Edgard Douckaga

Alors que diversité et inclusion sont les mots de l’heure, il y voit toutefois un peu d’hypocrisie. Selon lui, certaines organisations affichent une volonté de s’ouvrir à la différence, mais la réalité tend à lui montrer autre chose. Regardez toutes les grandes entreprises en Estrie. Donnez-moi juste une seule où vous avez un gestionnaire noir ou encore un conseil d’administration qui est dirigé par un Noir ou une Noire. Je n’en connais pas.

Il souligne que la communauté noire ne se reconnaît pas dans les institutions, parce qu’elle n’y est pas bien représentée. L’absence de policiers noirs au sein du Service de police de Sherbrooke est un exemple qu’il déplore, et qu’il trouve anormal. Cependant, il salue certains gains, comme l’élection récente de Raïs Kibonge au conseil municipal de Sherbrooke.

« On est heureux de voir un conseiller à la Ville [mais] c’est un sparadrap sur une plaie ouverte. »

— Une citation de  Juillet Edgard Douckaga

Au cours de la dernière année, l’actualité a fréquemment mis à l’avant-plan des grands pans oubliés ou ignorés de l’histoire des Autochtones. Juillet Edgard Douckaga estime que l’histoire tragique de sa communauté est aussi occultée.

On vit sensiblement la même affaire. Il y a un passé, il y a une autre histoire du Canada qu’on se refuse de publier [...] comme s' il n’y a jamais eu de traite des Noirs.

« [Févier] est un mois où on commémore [l'histoire des Noirs], mais on s’est rendu compte que ça ne devrait pas être seulement au cours de ce mois qu’on doit s’intéresser à la communauté afrodescendante. [...] Pour nous, le mois de l'histoire des Noirs devrait être chaque jour. »

— Une citation de  Juillet Edgard Douckaga

Des stéréotypes qui perdurent

Cette histoire a d'ailleurs des relents jusqu’à aujourd’hui, souligne l’historien Jean-Pierre Le Glaunec, qui estime que les personnes noires ont été - et sont encore - victimes de stéréotypes. L’Estrie est cependant un terreau fertile pour les mouvements de contestation visant à briser cette discrimination. Ça fait vraiment longtemps que les personnes afrodescendantes à Sherbrooke, et dans la région, se mobilisent pour que l’on se souvienne d’eux autrement qu’à travers l’histoire de la domination ou l’histoire de l’esclavage en Nouvelle-France, au Bas-Canada, précise celui qui est aussi professeur à l’Université de Sherbrooke.

Jean-Pierre Le Glaunec

Jean-Pierre Le Glaunec, professeur d'histoire à l'Université de Sherbrooke.

Photo : www.usherbrooke.ca

Malgré cette mobilisation, Jean-Pierre Le Glaunec abonde dans le même sens que Juillet Edgard Douckaga, et affirme, lui aussi, que le combat contre la discrimination est loin d’être terminé dans la région. En exemple, il souligne que depuis un an et demi, il s’intéresse particulièrement à un objet du folklore nord-américain : la statuette de jardin qu’on appelle le n en plâtre, la plus commune étant certainement celle du pêcheur. Encore aujourd’hui, des statues ornent la devanture de certaines maisons en Estrie.

Je crois qu’il y a là un lien direct à faire avec l’histoire de l’esclavage et ensuite ce qui vient avec l’abolition, c’est-à-dire la perpétuation de l’idée de race et de la stéréotypie ou de l’infériorisation des personnes afrodescendantes, dans la façon dont on caricature leur corps, explique-t-il.

Jean-Pierre Le Glaunec souligne qu’une usine de Cookshire était d’ailleurs un important fabricant de ces statuettes vendues à travers le Canada et dans le nord des États-Unis. C’est à cette période que les mouvements de contestation s’amorcent, en réaction à la prolifération de cet objet dans la culture populaire.

Dans les années 80, il y a plein d’articles dans la Tribune qui relatent des vols de n en plâtre, des actes de vandalisme. On les détruit, on les déplace, on retrouve même des "n en plâtre" sur le toit de la Polyvalente Montcalm, en 1985. La police les collectionne. Il y a une entrée par effraction chez Ameublement Gagnon à l’été 85. Il y a plusieurs "n en plâtre" qui sont blanchis.

Des sculptures représentant des personnes noires pêchant dans un jardin.

Il est encore possible de voir en Estrie des sculptures de personnes noires dans certains jardins (octobre 2021).

Photo : Google Street View (Octobre 2021)

La solution passe par le mieux-vivre

Jean-Pierre Le Glaunec croit qu’il faut ouvrir les yeux sur l’importance de la communauté noire et de sa contribution à l’histoire de la région. [Faire découvrir entre autres] à quel point les personnes noires au 18e siècle étaient des hommes et femmes multilingues, très qualifiés, très doués, qui racontaient des histoires très habiles pour s’échapper, qui tentaient de rejoindre les États-Unis, qui tentaient de renouer des liens familiaux qui ont été coupés. Une histoire qui, si elle devient mieux connue, contribuerait selon lui à diminuer les stéréotypes et la discrimination.

Juillet Edgard Douckaga, croit, pour sa part, que la solution passe, au final par le mieux-vivre ensemble , par une intégration qui se fait de tous côtés. C’est l’insertion dans toutes les sphères de la société. C’est la seule chose, le mieux-vivre ensemble. On fait parfois des choses qui sont justes pour bien paraître. Mais en réalité c’est la base de se dire tous ensemble : "C’est quoi le problème?" Le premier enjeu est de reconnaître qu'il y a une situation problématique afin que l’on puisse travailler ensemble à trouver des solutions.

« Nous aussi, on a à s’intégrer. On a à faire des efforts de notre côté, mais de l'autre côté aussi il doit y avoir des efforts. C’est ensemble qu’on va pouvoir éradiquer le problème. »

— Une citation de  Juillet Edgar Douckaga

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