La « COVID longue », la face cachée de la pandémie
Les victimes du syndrome post-COVID-19 n'en peuvent plus de souffrir dans la solitude et ne comprennent pas le silence du gouvernement sur ce mal qui gâche leur vie.

Le Dr Alain Piché ausculte un patient qui souffre de symptômes résiduels de la COVID-19.
Photo : Radio-Canada
Selon les études disponibles, au moins 9000 Québécois souffrent du syndrome post-COVID-19, communément appelé « COVID longue ». En fait, deux ans après le début de la pandémie, il est toujours impossible de savoir combien de personnes sont réellement affectées par ce syndrome, et les ressources consacrées à la lutte contre ce mal sont pour l'instant très limitées.
Au Québec, il n’y a aucune mention du syndrome post-COVID-19 sur le site web du gouvernement. Seul l’Institut national d'excellence en santé et en services sociaux (INESSS) a publié un guide à l’intention des médecins pour la prise en charge des patients.
Selon plusieurs études dans le monde, entre 10 % et 20 % des patients atteints de la COVID-19 ont par la suite présenté, pendant au moins trois mois, des symptômes associés au syndrome, tels que des malaises post-effort, de la tachycardie, des troubles de mémoire, une impression de brouillard cérébral, des maux de tête, des douleurs musculaires, de l'essoufflement, etc.
Il n’y a toutefois pas de données, même préliminaires, publiées à ce sujet par le gouvernement du Québec. Cette affection post-virale est par ailleurs rarement évoquée par le premier ministre et le directeur national de la santé publique.
Et ceux qui en souffrent ne comprennent pas le silence du gouvernement.
Je suis déçue et frustrée par l’inaction du gouvernement. Ce n’est pas par ignorance; le gouvernement sait que la COVID longue existe. C’est un déni
, estime Carrie Anna McGinn, qui dirige un groupe de soutien sur Facebook pour les gens qui, comme elle, en souffrent.

Carrie Anna McGinn souffre de la COVID de longue durée et gère un groupe de soutien pour les personnes atteintes de ce syndrome. « On entend des histoires crève-cœur. Il y a des gens qui tombent dans les craques », dit-elle.
Photo : Cagdas Yoldas
Les travaux sur le syndrome post-COVID-19 ne sont pas terminés, affirme le gouvernement. Des données devraient être publiées dans quelques semaines
, mentionne-t-on dans un courriel. On ne précise toutefois pas si on publiera alors un rapport exhaustif ou seulement quelques données.
Pendant ce temps, plusieurs chercheurs, au Canada et ailleurs, se penchent sur la COVID de longue durée, certains depuis aussi longtemps que le printemps 2020.
Et toutes les données obtenues ailleurs dans le monde pointent vers un problème à grande échelle, souligne Simon Décary, chercheur au Laboratoire de recherche sur la réadaptation axée sur le patient de l’Université de Sherbrooke.
Plus on attend pour agir, plus le problème sera difficile à gérer, croit ce chercheur, qui consacre ses efforts à mieux comprendre ce syndrome.

Entrevue avec la journaliste de Radio-Canada Mélanie Meloche-Holubowski sur le syndrome post-COVID-19.
Entre-temps, sans données au Québec, il est difficile de comprendre l’ampleur du problème, mais aussi d’obtenir des fonds et des ressources pour aider les personnes qui en souffrent, déplore le Dr Alain Piché, qui dirige la clinique ambulatoire post-COVID à Sherbrooke.
Je pense que si on ne s’occupe pas de la COVID longue, il va y avoir un tsunami de personnes qui vont devoir vivre avec des incapacités, qui seront poussées hors du marché du travail
, prédit Carrie Anna McGinn.
Lorsque les données sur la COVID-19 de longue durée seront publiées, le gouvernement du Québec ne pourra plus ignorer le problème
, croit la Dre Anne Bhéreur, qui souffre elle-même de symptômes sévères de ce syndrome après avoir été infectée, en décembre 2020, dans le milieu de soins palliatifs où elle travaillait.
Le chercheur Simon Décary souligne d'ailleurs, au passage, que le nouveau directeur par intérim de la santé publique du Québec, Luc Boileau, est celui qui a autorisé le groupe de travail sur la COVID de longue durée à l’INESSS alors qu’il dirigeait cet institut. Il ne pourra pas dire qu'il ne connaît pas la COVID longue; il était directeur de l’institut qui gère ça…

Simon Décary est chercheur au Laboratoire de recherche sur la réadaptation axée sur le patient de l'Université de Sherbrooke et étudie le phénomène de la COVID de longue durée.
Photo : Simon Décary
Entre-temps, les témoignages de Québécois malades se multiplient et tous disent qu’ils n'en peuvent plus d'attendre pour recevoir les soins appropriés.
M. [François] Legault a dit qu’on va regarder cas par cas. Mais il y a des dizaines de milliers de personnes qui sont malades, à la maison, qui ne peuvent pas travailler, déplore Cäcilia Lauenstein, une enseignante en arrêt de travail après avoir été infectée à l’école en septembre 2020.
SVP, il doit rester du budget. Sortez les sous et aidez-nous. Ne pas avoir de données, c’est une excuse pour ne pas être obligés de faire quelque chose.
Un risque peu expliqué au public
La Dre Bhéreur est furieuse. Trop de Québécois malades n’ont pas la force de dénoncer l'inaction du gouvernement. De plus, dit-elle, trop de gens n’ont jamais entendu parler de la COVID de longue durée parce que Québec n'a jamais clairement expliqué au public les risques à long terme de la maladie ni pris en compte ce syndrome pour guider leurs décisions.
En effet, lorsqu’on consulte toutes les transcriptions des points de presse du gouvernement sur la COVID-19 depuis 2020, l’ancien directeur de santé publique, le Dr Horacio Arruda, n'a mentionné que deux fois le mot COVID longue
, tandis que les risques de développer des symptômes à long terme ne l'a pas été plus que cinq fois.

La Dre Anne Bhéreur, qui a été infectée en décembre 2020 dans le milieu de soins palliatifs où elle travaillait, souffre depuis de symptômes sévères de la COVID longue.
Photo : Radio-Canada / Jean-François Michaud
Même si vous êtes jeune, il peut y avoir des dommages à long terme au cerveau, au cœur, au foie. Donc, c'est dangereux, ce virus-là
, déclarait ainsi le premier ministre le 1er décembre 2020. Quelques mois plus tard, il ajoutait : c’est possible pour des gens de 20, 30, 40, 50 ans d'attraper la COVID, puis d'avoir des conséquences très graves.
Jamais, donc, le syndrome post-COVID n'a été décrit ou défini. Aucune donnée, même préliminaire, n’a été offerte au public.
Il y a des personnes qui vont rester handicapées à vie et probablement plus sévèrement que si les autorités avaient agi depuis qu’on savait que ça existait. Ça fait plus qu’un an [qu’on le sait ]…
Les personnes souffrant de ce syndrome veulent aussi que le public soit davantage informé des risques. En parler aurait peut-être incité certaines personnes à faire davantage attention, croient-elles.
Le gouvernement n’en parle jamais. Il n’y a jamais rien qui est fait. Les gens continuent à croire que c‘est une p’tite grippe
, déplore Pauline Tremblay, une Saguenéenne qui souffre désormais de douleurs chroniques et de tachycardie.
Honnêtement, chaque fois que j’en parle, on me regarde comme si je venais de nulle part, ajoute Sue-Anne Gravel-LeBlanc, une enseignante malade depuis septembre 2020. Les gens pensent qu’on meurt de la COVID-19 ou qu’on se rétablit. Ça n’incite pas les gens à faire attention.
Francis Duclos, infirmier souffrant du syndrome presque depuis le début de la pandémie, abonde dans le même sens. On parle beaucoup des hospitalisations et des soins intensifs, mais on ne parle pas assez de la COVID longue.

Francis Duclos, qui souffre de la COVID de longue durée depuis décembre 2020, ne sait pas si ses symptômes de fatigue et de brouillard cérébral seront permanents. « Je ne pense pas que c'est possible d'être en bonne santé mentale si tu as la COVID longue. On est plusieurs à être anxieux, parce qu'on ne le sait pas, ce que l'avenir nous réserve. »
Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers
Pas assez de ressources
Le gouvernement du Québec rappelle, cela dit, qu’il existe trois cliniques post-COVID dans la province et que d'autres pourraient se rajouter une fois qu'il y aura davantage de données disponibles.
Afin de définir la meilleure offre de service dans un contexte où nous détenons à ce jour peu de connaissance sur la COVID longue, le MSSS est en attente d’un état des connaissances sur les différents modèles d’organisation de services pour la prise en charge de la COVID longue au Québec et à travers le monde. Ce portrait de l’INESSS permettra au MSSS de mieux définir l’organisation des services à déployer pour répondre aux besoins des usagers atteints
, écrit un porte-parole dans un courriel.
Ces trois cliniques se sont remplies presque aussi vite qu’elles ont été ouvertes. Elles ont des listes d’attente avec des centaines de patients et leur financement est précaire. Jamais ces quelques cliniques ne réussiront à aider toutes les personnes souffrant du syndrome, souligne Simon Décary.

« On n’a pas la prétention de guérir les gens. L'emphase est mise sur la gestion des symptômes », dit Annik Jobin, conseillère-cadre pour le projet Co-Vie en Montérégie, qui aide les personnes souffrant de COVID longue.
Photo : CISSS de la Montérégie-Ouest
Par exemple, le projet de réadaptation à Laval compte présentement sur l’aide d’ergothérapeutes et de physiothérapeutes qui sont enceintes et ont été retirées par mesure de précaution. Quand elles seront de retour au travail, on ne sait pas ce qu’on va faire…
, dit Anne-Marie Spiridigliozzi, ergothérapeute, qui participe au projet de réadaptation post-COVID-19 à Laval, créé par l'Hôpital Juif de réadaptation du CISSS de Laval.
La pénurie de personnel touche aussi le projet Co-Vie en Montérégie. Dans le futur, comment on va gérer ça, on ne sait pas encore. On ne veut pas refuser, mais on a des services très limités
, dit Annik Jobin, conseillère-cadre pour le projet de réadaptation Co-Vie en Montérégie-Ouest.
La pénurie de personne touche toute la province, et de façon particulière l'ouest de la Montérégie
, ajoute Mme Jobin, en ajoutant que leur projet a dû faire des partenariats avec des cliniques privées.
Mme Jobin ajoute que le projet devra revoir ses critères d'admissibilité. Nos ressources ne sont infinies.
À Sherbrooke, les délais d’attente sont d’environ six mois pour être vu à la clinique du Dr Piché.
Ceux qui ont réussi à avoir un rendez-vous font parfois quatre ou cinq heures de route pour une consultation, faute de ressources dans leur région.
Il y a du monde qui tombe dans les craques. Et tant pis pour ceux qui sont infectés maintenant. Ceux qui arrivent après nous n’auront pas accès aux ressources.
On ne nous croit pas
Le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) affirme dans un courriel que les médecins de famille ont l'expertise nécessaire pour soigner les patients souffrant de la COVID de longue durée. Il ajoute que l’INESSS a élaboré des outils pour guider les professionnels de la santé avec la prise en charge des affections post-COVID-19.
Mais nombreux sont ceux qui se démènent corps et âme pour obtenir des ressources et qui désespèrent de se faire dire on ne peut rien faire pour vous
. D'autres digèrent mal s'être fait dire c’est dans votre tête
ou encore c’est de l’anxiété
.
C’est dur. On est énormément isolé et on se sent oublié. On n'a pas la force de se défendre
, dit Pauline Tremblay.
C'est criminel, ce qu’ils ont fait, déplore Dre Bhéreur. Les gens vont avoir besoin de psychologues. C’est énorme de vivre comme ça, avec un handicap et de l’incertitude. Les gens sont déprimés, anxieux. Ils veulent de l’aide, mais on leur dit que c’est dans leur tête.
Je n’en reviens pas, les jugements de valeur faits par les gens. Les gens n'inventent pas ça!
Dre Bhéreur craint par ailleurs que des milliers de Québécois récemment infectés ne réussissent pas plus à avoir de soins s’ils développent le syndrome post-COVID-19, parce qu’on leur a refusé un test PCR. Il y a beaucoup de médecins qui sont frileux de déclarer les cas par liens épidémiologiques. Que va-t-on faire avec toutes ces personnes qui officiellement n’ont pas de diagnostic?
C’est pourquoi elle espère qu’Omicron, qui a infecté des centaines de milliers de Québécois dans les dernières semaines, ne causera pas trop de cas. Mais il n’y a rien de solide pour l’affirmer. On ne le sait pas.