Manifestation des camionneurs : la vaccination obligatoire, pas le seul enjeu

Des camionneurs sont stationnés sur la rue Wellington, à Ottawa, vendredi.
Photo : Radio-Canada / Emmanuelle Poisson
Plusieurs milliers de personnes de tout le pays sont attendues à Ottawa vendredi avec le groupe Canada Unity, qui réclame le retrait des exigences de vaccination et des restrictions liées à la COVID-19. Mais dans l’industrie des camionneurs, les avis sur cette démarche sont partagés.
On ne supporte pas le convoi. Ce ne sont pas des mouvements que notre association trouve efficaces. Avec l’escalade et ce qui se passe, je pense qu’on a pris la bonne décision de s’éloigner de ça le plus possible. C’est devenu un mouvement pour les droits de la personne, la liberté, c’est rendu loin du camionnage
, estime Jean-Marc Picard, directeur général de l’Association du camionnage des provinces de l’Atlantique, en entrevue à l’émission Les matins d’ici.
Il craint que le rassemblement prévu dans la capitale fédérale samedi ne donne une image négative de l’industrie.
Les gens qui ont commencé ce convoi ne sont pas dans l’industrie du camionnage. Je crois qu’ils ont trouvé une industrie vulnérable et ont pris avantage de la situation.
Avec son association, M. Picard a essayé de convaincre le gouvernement de faire machine arrière, mais aujourd’hui, il est temps de passer à autre chose, dit-il.
On représente l’industrie depuis la pandémie, jour après jour, semaine après semaine, avec les gouvernements pour que les restrictions ne s’appliquent pas à nous autres et qu’on puisse continuer à faire notre travail, mais ce mandat-ci [de vaccination obligatoire], on a travaillé fort pour essayer de le suspendre ou le repousser à une date ultérieure jusqu’à la dernière journée, mais on n’a pas réussi. Donc, on a décidé de passer à autre chose et de s’occuper de notre industrie. Il va falloir s’adapter, c’est un mandat sur lequel le fédéral était ferme, il n’y avait pas de marge de manœuvre, et même s’il y en avait eu, les Américains ont mis leur mandat en place, donc…
Des conditions de travail rendues difficiles par la pandémie
Donald Foucault, camionneur de Montebello âgé d’une quarantaine d’années, a décidé de se joindre au convoi à Ottawa. Vacciné deux fois, en attente de sa troisième dose, ce n’est pas la vaccination obligatoire pour les camionneurs qu’il conteste.
La vaccination, c’est une infime partie [qui est contre]. Ce n’est pas réellement le problème. C’est que même vaccinés, on ne peut pas faire notre ouvrage
, explique-t-il.

Les camionneurs sont arrivés sur la rue Wellington, à Ottawa.
Photo : Radio-Canada / Emmanuelle Poisson
C’est après les restrictions sanitaires qu’il en a. Celles-ci ont rendu ses conditions de travail extrêmement difficiles depuis deux ans, dit-il.
Je ne franchis pas les douanes, je suis au Canada. Mon passeport sanitaire est supposé me servir pour mes besoins de base, qui sont de me nourrir, de me laver, et je ne suis pas capable de le faire, car les restaurants sont fermés, donc [...] je n’ai accès à rien. Je passe six jours dans mon camion, je vis dans 12 pieds carrés. [...] On est brûlés, on a plus de place pour relaxer
, raconte-t-il.
Même se stationner pour dormir est devenu difficile, ajoute-t-il, puisque, fermés, les restaurants, dont beaucoup permettaient aux camions de s’installer pour la nuit, ne déneigent plus leurs aires de stationnement.
On sait qu’au Canada, on n’est pas équipés pour le stationnement de camion. [...] Il n’y en a pas assez.
On fait nos besoins dans des sacs, dans nos camions, on s’amène à manger pour la semaine, on essaie d’équiper nos camions. Personnellement, j’ai rentré une cafetière, un micro-ondes… Faut s’équiper, parce que ça ne marche pas du tout.
Une situation difficile dont a bien conscience M. Picard.
Ça a été deux ans incroyablement difficiles pour l'industrie. [...] C’est certain que la frustration continue à monter après 24 mois. [...] Je ne peux pas les blâmer, ils veulent se faire entendre
, concède-t-il.
Mais ce sont les débordements et la récupération des revendications des camionneurs qu’il craint.
Comme association, on ne peut pas supporter ce qu’on voit là, ce n’est pas notre vision et nos membres ne le supportent pas non plus. Quelques-uns de nos camionneurs vont participer, mais c’est une très basse minorité.
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Toujours est-il que cette minorité pourrait décider de quitter le métier, alors que la pénurie de main-d'œuvre frappe le camionnage, comme beaucoup d'autres secteurs.
On est quand même 90 % vaccinés dans notre région, pour les camionneurs, donc ce sont des chiffres incroyables. Par contre, vu qu’on est une industrie si importante et si primordiale à l’économie, ces chiffres-là, même s’ils sont bons, ça va avoir un impact important si on commence à perdre des camionneurs
, avance M. Picard. La chaîne d’approvisionnement est très fragile en ce moment. On a une pénurie grave de chauffeurs. C’est certain qu’il y a des gens qui vont laisser l’industrie. [...] C’est certain que ça va [s’ajouter] à nos problèmes sur la chaîne d’approvisionnement.
Pour M. Foucault, ce sont surtout les conditions de travail actuelles qui risquent de faire fuir les travailleurs et de dissuader éventuellement les nouvelles recrues.
Il explique que les problèmes rencontrés dans la chaîne d’approvisionnement ne sont pas uniquement le fait d’un manque de camionneurs, mais aussi, à l’autre bout de la ligne, dans les entreprises qui ne peuvent même plus préparer des commandes faute d’employés.
Souvent, je vais partir à Toronto et redescendre vide à Montréal, et c’est moi qui vais assumer les frais
, dit-il.
Il espère donc que les différents gouvernements entendront le message des manifestants et lèveront les restrictions sanitaires.
On aimerait bien [que le gouvernement nous entende]. Le dernier mouvement de camionneurs, c’était en 1979. Y a rien eu depuis ce temps-là, parce qu’on est tous indépendants. On a tous nos affaires, nos clients, nos business. Là, si tous les camions se rassemblent, c’est pour être entendus et porter notre message : c’est que notre travail, nos conditions de travail, de se laver, de manger, de se nourrir. Les trois choses de base d’un humain, on ne les a pas.
Le mouvement se veut pacifique, assure-t-il.
Honnêtement, on ne peut pas garantir tout le monde. [...] Mais nous, dans le convoi, on se parle beaucoup [...] et le mot d’ordre est donné : on ne veut pas de grabuge. On ne s’en va pas faire la guerre. On va juste chercher le mode de vie normal qu’on avait.