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AnalyseUn coup d’État après l’autre en Afrique de l’Ouest

Des soldats et un véhicule militaire devant l'emplacement de la Radiodiffusion télévision du Burkina.

Des mutins gardaient le siège de la Radiodiffusion télévision du Burkina lundi matin.

Photo : La Presse canadienne / AP/Sophie Garcia

Le coup d’État du 24 janvier au Burkina Faso, qui a donné à voir des foules en liesse, des drapeaux français brûlés et des drapeaux russes brandis, est le troisième en neuf mois à se dérouler en Afrique de l’Ouest francophone. Et même le quatrième, si l’on inclut le Tchad où s’est produite en avril 2021, sur fond de violence, une passation des pouvoirs « militaro-familiale ».

L’ex-président tchadien Idriss Déby est officiellement mort au combat en allant physiquement défendre une frontière de son pays contre des commandos rebelles. Son fils a ensuite décrété l’état d’urgence et instauré une dictature militaire de facto.

Cette enfilade de putschs se déroule en parallèle avec les avancées du djihadisme dans le Sahel, vaste étendue semi-désertique de l’Afrique du Nord qui va de la Mauritanie au Tchad en passant par le Mali, le Niger et le Burkina Faso.

Avec une guérilla islamiste historiquement venue du Nord (conflits en Algérie, en Libye), qui fait de plus en plus de ravages. Depuis 2015, elle a tué 7000 personnes seulement au Burkina Faso et peut-être 20 000 dans toute la région, y compris parfois des étrangers attablés aux terrasses des restaurants.

Depuis six ou sept ans, des attaques terroristes fréquentes et meurtrières, visant des civils, des forces de l’ordre et des étrangers – l'attentat sanglant de janvier 2016 à l’hôtel Splendid de Ouagadougou a fait 30 morts, dont 6 Québécois – ont bouleversé le pays. Des milliers de personnes ont été tuées, des centaines de milliers déplacées de force.

Un homme traverse la rue alors que des débris brûlent autour.

Des manifestants contre le président burkinabé, Marc Christian Kaboré, ont installé des barricades enflammées à Ouagadougou, avant son renversement.

Photo : AFP / OLYMPIA DE MAISMONT

À Ouagadougou, capitale burkinabée, les événements se sont précipités après une manifestation antigouvernementale violemment réprimée, le samedi 22 janvier.

Le lendemain, des mutineries éclataient dans quelques casernes, les soldats se plaignant depuis longtemps de ne pas avoir de moyens adéquats dans la lutte contre le terrorisme.

Et puis, le lundi 24 janvier, le renversement du président Roch Marc Christian Kaboré était officiellement annoncé à la télévision par les militaires.

Mali, Guinée, Burkina…

Au Mali, c'était au printemps dernier : en fait, l’achèvement d’un putsch en deux temps.

En août 2020 déjà, les militaires maliens avaient chassé le pouvoir civil élu, mais en promettant de s’en aller vite et de rétablir la démocratie. Promesse non tenue. Ils ont doublé la mise en mai 2021 avec leur putsch phase II, les militaires annonçant cette fois qu’ils exerçaient le pouvoir et y resteraient pour des années.

En septembre 2021, c'est au tour de la Guinée-Conakry, où le président Alpha Condé, qui avait changé comme d’autres avant lui la Constitution pour se maintenir au pouvoir, est chassé à la pointe des armes.

Et finalement, en janvier 2022, le Burkina Faso, où pourtant le président Kaboré n’avait pas, lui, la réputation d’un tricheur ou d’un corrompu. Il avait été élu en 2015 et réélu en 2020 avec des majorités nettes et apparemment propres.

De nombreux hommes montrent leur joie dans une rue. Certains soufflent dans des vuvuzelas, d'autres brandissent des drapeaux du pays. Un homme couché au sol tient des affiches du nouvel homme fort du pays.

Ces Burkinabés célébraient ouvertement l'éviction du président Roch Marc Christian Kaboré, mardi, dans les rues d'Ouagadougou.

Photo : La Presse canadienne / AP/Sophie Garcia

Ce qu’on lui a plutôt reproché, de façon de plus en plus amère et radicale, c’était son impuissance face au djihad et au terrorisme.

De coup d'État en coup d'État, le scénario se répète : un président élu est déposé par un groupe d'officiers de l'armée, qui exigent plus de moyens pour faire face au terrorisme, se mutinent et passent à l’action, tout en dénonçant la présence militaire occidentale.

Un point décisif : le massacre d’Inata

Ces derniers mois au Burkina Faso, le point décisif aura sans doute été le massacre du 14 novembre à Inata, localité du nord-est du pays. Des miliciens affiliés à Al-Qaïda ont alors attaqué une caserne, tuant une cinquantaine de gendarmes, laissés pratiquement sans armes ni soutien logistique.

Les terroristes coupables de la tuerie – revendiquée – étaient membres du Groupe de soutien à l'islam et aux musulmans (GSIM), affilié à Al-Qaïda, qui avait précédemment chassé de cette même région un groupe ennemi, l'État islamique dans le Grand Sahara.

Infiltration des grands groupes terroristes rivaux, guerres intermilices, populations isolées prises en otages, déplacées de force, territoires immenses (le Mali est presque aussi grand que le Québec), États affaiblis et impuissants, recul de la démocratie locale, coups d’État militaires, Occidentaux pensant être venus pour aider, mais qui se font dénoncer comme des impérialistes, voilà le triste résumé de la géopolitique au Sahel en 2022.

Des manifestants maliens brandissent des pancartes sur lesquelles sont écrits des slogans favorables aux militaires putschistes et hostiles à la France.

Des manifestants maliens brandissent des pancartes sur lesquelles sont écrits des slogans favorables aux militaires putschistes et hostiles à la France, le 22 août 2020.

Photo : Reuters / Moussa Kalapo

Foule en liesse et drapeaux russes

Après le limogeage du président Kaboré à Ouagadougou, on a vu des manifestants prendre la rue et acclamer la junte en agitant des drapeaux, y compris des drapeaux russes!

Nous avons plusieurs fois demandé au président de partir, mais il ne nous a pas écoutés. Au lieu de cela, l'armée nous a écoutés et a compris, a affirmé un manifestant, interviewé par l’AFP dans un micro-trottoir à Ouagadougou.

En ce qui nous concerne, ce n'est pas un coup d'État, a déclaré une autre manifestante. C'est la libération d'un pays qui était gouverné par des gens incompétents.

Quelques heures après le coup d'État, un journaliste de l'agence de presse Reuters a vu un groupe brûler un drapeau français, avec des pancartes sur lesquelles était écrit : Ensemble, nous disons non à la France. On dit merde à la France!

Et encore un témoignage prorusse, celui-là recueilli par Reuters auprès d’un manifestant : Aujourd'hui, le peuple burkinabé demande le soutien de la Russie pour l'accompagner dans cette lutte acharnée qui nous est imposée.

Un soldat passe devant l'entrée d'une maison où se trouve une famille.

Un soldat faisant partie de l'opération militaire française antidjihadiste au Sahel patrouille dans les rues de Gao, au Mali.

Photo : afp via getty images / Thomas Coex

Offensive de Moscou en Afrique

Moscou, on le sait, est au milieu d’une grande offensive militaire, diplomatique, politique et symbolique pour affirmer, ou réaffirmer, la Russie comme puissance d’envergure mondiale, après la déconfiture soviétique du début des années 1990. D’abord face à l’Ukraine et à l’Europe, bien sûr, mais pas seulement.

En Afrique, on tente de capitaliser sur le sentiment anti-occidental, avec le déploiement de réseaux mercenaires, principalement le fameux Groupe Wagner, formé au début des années 2010 autour d’ex-militaires russes à la retraite.

Après avoir fait ses premières armes dans le Donbass en Ukraine et en Syrie, il est ensuite intervenu en Libye, en Centrafrique, et plus récemment au Mali et au Burkina Faso. Avec des détachements allant de quelques centaines à 1000 ou 1500 hommes. Officiellement non lié au Kremlin, ce groupe paramilitaire est en fait financé par le milliardaire Evgueni Prigojine, un ami proche de Vladimir Poutine.

Amnistie internationale et Human Rights Watch ont écrit que le Groupe Wagner s’est rendu coupable de violences contre des civils et de pillages des ressources minières, notamment en Centrafrique. À Bamako, et peut-être bientôt à Ouagadougou, le sentiment antifrançais semble susciter un rapprochement des nouvelles autorités militaires avec les Russes.

Il est très douteux que quelques centaines de paramilitaires russes puissent aller faire le travail contre Al-Qaïda et l’État islamique au Sahel, là où des milliers de militaires professionnels français auraient échoué.

Telle est pourtant une croyance de plus en plus répandue dans ces deux capitales, où la rhétorique anticolonialiste des nouveaux dirigeants putschistes – et d’une partie de la population qui les appuie – vise les Européens, mais pas les Russes, vus par certains comme les nouveaux sauveurs.

Retrait annoncé de la France

La séquence ouverte en janvier 2013 avec l’intervention militaire de la France à l’appel des autorités d’alors à Bamako (l’Opération Serval, plus tard rebaptisée Opération Barkhane, avec l’adjonction de soldats étrangers) semble tirer à sa fin, de façon assez piteuse.

La France a déjà amorcé un mouvement de retrait de ses quelque 5000 soldats au Mali qui, malgré quelques victoires ponctuelles contre les djihadistes, n’a pas empêché leur montée en puissance au fil des ans.

Plutôt que de partir unilatéralement, la queue entre les jambes, comme les Américains fuyant l’Afghanistan en août 2021, Paris espère encore maintenir une forme d’intervention, dans un cadre onusien ou européen.

Au nom de la guerre contre le terrorisme et de l'endiguement des migrations, les puissances européennes se demandent quoi faire. Mais ce qu’on voit depuis sept ans au Sahel n’est pas concluant et ressemble de plus en plus à un coup d’épée dans le sable.

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