Le narval du Saint-Laurent aura-t-il une progéniture?
À l’été 2016, un narval s’est invité parmi les bélugas du fleuve Saint-Laurent, et il y est toujours. Aujourd’hui, ce mammifère marin est en voie d’atteindre la maturité sexuelle. Aura-t-il aussi la chance de s’accoupler? Mystère!

Le narval (plus foncé) nage au milieu des bélugas dans le fleuve Saint-Laurent.
Photo : Groupe de recherche et d'éducation sur les mammifères marins (GREMM)
Ce n’est pas le premier narval à être observé dans le Saint-Laurent, mais c’est le premier à y être resté, année après année. En temps normal, les narvals peuplent surtout les eaux du Groenland, de l’Arctique et du nord-ouest de la baie d’Hudson; celui-ci a quitté ses congénères en 2016 pour s’aventurer dans d’autres eaux, à ses risques et périls.
En général, ces aventures marines se terminent mal. On n’a qu’à penser à la baleine à bosse qui est remontée jusqu’à Montréal en 2020. Isolée et sans repères, on l’a retrouvée morte quelques jours plus tard, probablement heurtée par un navire. Le narval du Saint-Laurent, lui, a eu plus de chance. Proche cousin des bélugas, il a retrouvé de la famille lointaine. Il a été en quelque sorte adopté
, malgré ses différences.
« Est-ce qu'il s'est imposé aux autres bélugas ou les bélugas l'ont invité à rester? Ça, on n'y répondra jamais, mais la chose la plus extraordinaire, c'est son intégration, en quelque sorte, dans le tissu social d'une autre espèce. »
Depuis six ans, Robert Michaud du Groupe de recherche et d'éducation sur les mammifères marins (GREMM) documente le comportement de ce narval au sein des bélugas. L’analyse des images, tournées en drone, permet de suivre sa croissance et son état de santé général.
Comme le souligne Robert Michaud, il constate que l’animal prend du poids. Sans savoir exactement ce qu’il mange, on sait qu’il se nourrit suffisamment pour se maintenir en bonne santé.
L’équipe du GREMM a pu, dès ses premières rencontres avec le narval, réaliser une biopsie en prélevant un minuscule échantillon de peau et de gras de l’animal. Elle contient sa signature génétique. Pour l’instant, cet échantillon est précieusement conservé en archives. Il pourrait éventuellement servir à identifier l’animal si, par malchance, on devait retrouver sa carcasse et qu'elle n’était pas reconnaissable. Son ADN pourrait aussi servir à établir un futur portrait de famille.
Ce jeune mâle est arrivé dans le Saint-Laurent à un âge estimé de six ans. Il aurait donc aujourd’hui une douzaine d’années et s’approcherait de sa maturité sexuelle.
« Si ce jeune narval se reproduisait dans la population des bélugas, on a la signature génétique de la fondation de cette nouvelle filiation avec les bélugas. »
Ce narval pourrait théoriquement se reproduire avec une femelle béluga. Du moins, cette possibilité a été documentée par des chercheurs danois.
Mikkel Skovrind, chercheur postdoctoral en génomique à Université de Copenhague, raconte que le musée d’histoire naturelle du Danemark disposait depuis des décennies d’un crâne étrange, récupéré par un chasseur au Groenland. Ce crâne présentait à la fois des éléments proches du narval et du béluga.
« Même si l’ADN du crâne était très endommagé, en utilisant des techniques pour étudier l’ADN ancien, on a pu tirer de l’information de ce crâne et retracer son origine. »
L’analyse minutieuse de ce crâne insolite par les chercheurs danois a révélé qu’il appartenait à un animal mâle, un hybride de première génération. Sa mère était un narval et son père, un béluga.
Si la preuve existe qu’un accouplement est possible entre un narval et un béluga, cela ne rend pas pour autant la relation imminente. Les chances de s’accoupler pour le narval dans le Saint-Laurent, dans les faits, sont plutôt minces. Il y a peu de femelles disponibles, chaque année, pour la reproduction (une femelle pour trois mâles) et l’accouplement est le fruit d’un long apprentissage et de la création d’alliances au sein du groupe de bélugas.
Qu’il établisse ou non sa descendance dans le Saint-Laurent, ce narval continuera d’avoir le loisir d’y vivre encore longtemps et surtout d’alimenter l’imagination des amateurs de bizarreries animales.
Le reportage d'André Bernard de Yanic Lapointe sera diffusé à l'émission Découverte dimanche à 18 h 30 sur ICI Radio-Canada Télé.