« On ne vous oubliera pas » : les portraits des victimes de l’attentat de Québec exposés
Aquil Virani peint le portrait d’Azzeddine Soufiane.
Photo : Aquil Virani
Pour souligner le cinquième anniversaire de la tragédie à la grande mosquée de Québec, l’artiste canadien Aquil Virani a réalisé des peintures en hommage aux six personnes tuées lors de l’attentat du 29 janvier 2017. Les œuvres sont exposées dès samedi au Centre culturel islamique de Québec, puis seront offertes aux familles des disparus.
Pour moi l’art, c’est contribuer et donner à la communauté
, explique Aquil Virani. L’artiste est originaire de Surrey, en Colombie-Britannique, et vit à Toronto depuis quelques années. Son père est musulman et originaire d’Inde et sa mère française.
La série de portraits qu’il expose à la grande mosquée de Québec a une signification particulière pour lui et c’est aussi le résultat d’une rencontre amicale et de liens forts qui se sont tissés avec la communauté musulmane de la capitale québécoise.
« C’est un projet puissant pour moi parce que je suis musulman, mon père m’a amené à la mosquée quand j’étais jeune. J’ai souvent pensé que ça aurait pu être mon père, ce jour-là. »
Pour l’artiste, il s’agit également de contribuer aussi à la mémoire collective, en rappelant les noms, mais aussi les visages des disparus : Ibrahim Barry, Abdelkrim Hassane, Mamadou Tanou Barry, Aboubaker Thabti, Azzedine Soufiane, Khaled Belkacemi.
Aquil Virani a reçu le prix d’Artiste pour la paix 2018, qui lui a été remis à Montréal.
Tout a commencé le lendemain de la tuerie, lors du rassemblement de solidarité envers les musulmans de Québec organisé à la station de métro Parc, à Montréal. Aquil Virani vivait alors dans la métropole et y a participé.
Il y avait créé une oeuvre collaborative, Stronger Together, une peinture représentant les mains d’une personne musulmane en train de prier. J’ai demandé aux gens présents la veillée d'écrire des messages d’espoir et de solidarité sur la toile
, raconte Aquil Virani.
C’est à ce moment qu’Aquil a rencontré une femme musulmane qui l’a mis en contact avec Amira Bahmed, originaire de Québec et vivant aussi à Montréal. Elle l’a aidé à livrer Stronger Together à la grande mosquée. C'était le début d’une belle relation avec la communauté musulmane à Québec
, explique l’artiste.
La genèse d'un projet
L'année suivante, il réalise une série de portraits de femmes canadiennes pour le corpus CélébrondLa (CelebrateHer). Parmi ces portraits, il y avait la mère d’Amira Bahmed, Zébida Bendjeddou.
« Une des veuves de la tuerie de Québec a vu le portrait de Zébida et elle a demandé si je pouvais être intéressé à créer une série de portraits commémoratifs. »
Amira Bahmed est aussi coordonnatrice au Québec pour l’organisme communautaire TakingITGlobal et a pu aider Aquil Virani à recevoir une bourse fédérale de 1500 $ pour réaliser son projet.
Ce sont Amira et Zébida, qui ont ensuite fait le lien entre l’artiste et les familles des victimes. C’est vraiment ma mère qui a fait le contact avec les familles, elle les connaît tous. Ça a été un long processus de communication, parce qu’on demandait, quand même, d’aller fouiller dans des photos et des souvenirs
, raconte Amira Bahmed.
Les veuves ont donné des photos de référence à l’artiste, à partir desquelles il a pu constituer les portraits. Mais Aquil Virani a aussi eu des échanges par courriel avec chacune d’elles. J’ai rencontré la famille de Khaled Belkacemi à Québec, on a passé un après-midi ensemble
, ajoute-t-il.
Aquil Virani raconte qu’il était important pour lui de parler aux familles et d’en apprendre davantage sur les victimes, la situation est délicate à cause de la tragédie et je voulais respecter cette délicatesse
, souligne-t-il.
J’ai souvent pensé durant le processus à la situation des photos, leur contexte, l’environnement dans lesquelles elles ont été prises, la plupart du temps c'était dans le quotidien. Personne ne savait ce qui allait se passer
, dit l’artiste.
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Montrer l’humanité
Son objectif, à travers son art, est de montrer l’humanité de chacun de ces hommes. Ils avaient des vies bien remplies, pleines de complexité, d’espoirs et de rêves, dit Aquil Virani. Selon lui, c’est dans les traits du visage qu’on peut lire cette humanité et cette complexité et c’est ce qu’il a voulu montrer ici.
« Pour moi le projet c’est de mettre au centre les victimes et les visages des victimes. »
Amira Bahmed se souvient de la réaction de l’une des veuves lorsque son organisme est venu lui présenter le portrait de son défunt époux.
Sa femme s’est rappelé du moment où avait été prise la photo, elle a commencé à nous raconter. Ce n’était pas triste, ça lui a permis de revivre un beau moment à travers le portrait. C’est vraiment pour dire à quel point Aquil a réussi à transmettre la personnalité de son mari à travers ce portrait
, dit Amira Bahmed.
Elle ajoute que c’est la force de l’artiste, selon elle, d’avoir réussi à faire ressortir la personnalité de chacune des victimes, à travers leur sourire, leur posture et leur regard.
« C'est un peu le "Je me souviens". On ne vous oubliera pas. Vous êtes là, vous êtes grands, vous êtes imposants, vous rayonnez. Vous rayonnez par votre sourire. Une des victimes c'est ses yeux qui sourient. Je ne l'ai jamais rencontré, mais je le sais en voyant ce portrait. »
Il y a aussi le portrait d'un homme que je connais depuis que je suis toute jeune. Il sourit toujours, parce que c'est quelqu'un de doux, de calme
, ajoute-t-elle.
Amira Bahmed parle des victimes au présent. Vous voyez, je parle encore au présent, je me souviens de lui mais pas dans le passé, c’est du présent. On a un jeune artiste qui a pensé à vous représenter et on pourra toujours se rappeler que vous aviez des yeux qui souriaient.
Les portraits ont été peints sur toile à l’acrylique et la bombe aérosol. Ils mesurent 75 cm par 165 cm (30 po x 65 po). Il y a du vert, couleur de l’Islam et du jaune, qui symbolise l’espoir pour l’artiste. Ils seront exposés une ou deux semaines à la mosquée puis seront offerts aux familles.