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« Je suis effondré » : le cri du cœur d’un étudiant africain refusé par Ottawa

Un comité fédéral va se pencher sur les pratiques d’Immigration Canada, qui refuse massivement les demandes provenant d’Afrique francophone.

Aurélien Ndamendeu Feze au Cameroun.

Aurélien Ndamendeu Feze a multiplié les demandes pour étudier au Québec, mais son dossier a constamment été refusé pour des motifs jugés obscurs par son avocate.

Photo : Gracieuseté

Aurélien Ndamendeu Feze a tout essayé. En vain. Malgré un solide dossier et une bourse délivrée par le gouvernement Legault, tout indique qu’il devra abandonner son « rêve » d’étudier au Québec.

Je ne comprends pas. Je suis abattu, lâche-t-il, la voix morne et désemparée, au cours d’un entretien virtuel.

Mi-décembre, ce Camerounais de 29 ans a reçu, pour la troisième fois en seulement quelques mois, une mauvaise nouvelle. Sa candidature à un permis d’études a de nouveau été refusée par un agent d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC).

« Venir au Canada, c’est un projet de vie. Je voulais faire une formation de haut niveau. Mais ces refus, ça fait énormément mal. »

— Une citation de  Aurélien Ndamendeu Feze

Pourtant, sur le papier, le profil d’Aurélien semble attrayant. Parfaitement francophone et diplômé en génie mécanique et productique au Cameroun, il s’est inscrit en DEP soudure-montage, dans une école professionnelle de Matane. Un domaine où le manque de main-d'œuvre est criant au Québec.

Ce dossier a d’ailleurs séduit le gouvernement du Québec qui, par le biais d’Éducation internationale, lui a offert une bourse d’excellence, l’exemptant des droits de scolarité.

Seule condition pour en bénéficier : l’étudiant, qui a un cousin installé dans la région de Québec prêt à l'aider et à l'appuyer lors de son arrivée, doit arriver au Canada avant le 31 mars. Une mission, désormais, quasi impossible.

Une étudiante fait ses travaux devant une fenêtre.

Le taux de refus des demandes de permis d'études provenant de certains pays d'Afrique francophone dépasse les 80 %.

Photo : Getty Images / Thomas Lohnes

Plus de 80 % de refus pour certains pays d’Afrique

Il n’est pas le seul à vivre cette situation frustrante. Selon des données obtenues par Radio-Canada, les demandes provenant du Cameroun sont massivement rejetées par IRCC. En 2020, on parle de 88 % de refus pour l'ensemble du pays.

On retrouve des taux similaires pour d’autres pays d’Afrique francophone, comme la Côte-d’Ivoire, le Bénin, l’Algérie, la République démocratique du Congo ou le Togo.

Au cours des derniers mois, des dizaines d’étudiants africains ont écrit à Radio-Canada pour raconter leur histoire, tout en pointant du doigt les motifs de rejet évoqués par Ottawa. Dans la majorité des cas, l’agent fédéral ayant traité leur demande dit ne pas être convaincu que [l’étudiant quittera] le Canada à la fin de [son] séjour.

Différentes précisions peuvent être ajoutées, comme des mentions génériques sur les voyages antérieurs, les liens familiaux au Canada ou la raison de votre visite.

Des motifs superficiels et déconnectés de la réalité du candidat, soutient l’avocate en immigration Marie-France Chassé, qui a demandé un énième réexamen du dossier d’Aurélien Ndamendeu Feze.

« C’est une injustice! Ce sont des motifs obscurs qui n’ont pas de sens. »

— Une citation de  Marie-France Chassé, avocate en immigration

Ces candidats qui ont un projet cohérent en lien avec leur parcours scolaire ne comprennent logiquement pas les refus du ministère fédéral, reprend-elle.

Ils vont donc s’entêter à renvoyer une demande et vont payer plusieurs centaines de dollars. C’est désolant. C’est beaucoup d’argent pour quelqu’un qui vient d’un pays défavorisé et qui a eu une bourse du Québec, estime Marie-France Chassé.

Le député de Lac-Saint-Jean, Alexis Brunelle-Duceppe, prend la parole aux Communes.

Le député bloquiste Alexis Brunelle-Duceppe

Photo : Courtoisie

Des recommandations à venir

Au Québec, la situation est jugée inquiétante par de nombreux établissements, cégeps et universités, qui, en fin d’année passée, ont élevé la voix face aux décisions prises par Immigration Canada.

Le taux de refus des demandes de permis d’études visant un établissement québécois – tous pays confondus – a bondi ces dernières années, passant de 36 % en 2017 à 61 % en 2020. Cette même année, la proportion de dossiers rejetés était de 50 % dans l’ensemble du Canada.

Cette hausse correspond également à la mise en place, au sein du ministère fédéral de l’Immigration, d’un système informatique nommé Chinook, utilisé pour étudier, trier et accélérer le traitement de ces demandes. Celui-ci est dénoncé pour son manque de transparence et son opacité.

Dès le début du mois de février, à l’initiative du Bloc québécois, le comité permanent de la citoyenneté et de l’immigration, composé majoritairement d’élus libéraux, va se pencher sur ces questions. Différents experts, fonctionnaires, avocats, représentants d’établissements et organismes seront interrogés.

Il y a une discrimination en fonction de la provenance du demandeur de permis d’étude, clame l’élu bloquiste Alexis Brunelle-Duceppe, vice-président de ce comité, qui espère aussi entendre l’opinion du ministre de l’Immigration, Sean Fraser.

« Est-ce que les étudiants africains francophones doivent se sentir floués? Est-ce qu’il y a injustice? Oui. »

— Une citation de  Alexis Brunelle-Duceppe, député du Bloc québécois

Le racisme n'a pas sa place dans notre société et le gouvernement fédéral a l'obligation de montrer l'exemple, indique de son côté la députée du Nouveau Parti démocratique (NPD) Jenny Kwan.

Cette dernière cite un troublant rapport interne, rendu public l’automne passé, où des fonctionnaires d’Immigration Canada comparent certains pays africains à des nations corrompues.

« Les libéraux doivent donner l'exemple avec leurs propres politiques pour s'assurer qu'elles ne sont pas discriminatoires ou partiales à l'égard de certains pays. »

— Une citation de  Jenny Kwan, députée du NPD

Aux yeux du Bloc québécois, c’est le Québec tout entier qui en paie le prix. Ce sont nos institutions scolaires qui ne peuvent recevoir ces étudiants, déplore Alexis Brunelle-Duceppe.

Soyez clair, c'est pour nous la meilleure des immigrations, la plus belle. Ce sont de jeunes femmes et hommes, avec un diplôme québécois en main, qui parlent français et qui se sont créé un cercle social tout au long de leurs études. Qu’est-ce qu'on veut de plus? C’est l’immigration parfaite.

Des recommandations et des solutions à mettre en œuvre à très court terme, avant l’automne, seront proposées, ajoute-t-il.

Le ministre de l'Immigration qui parle

Le ministère de l'Immigration, dirigé par Sean Fraser, jure examiner « de façon uniforme » toutes les demandes de permis d'études.

Photo : The Canadian Press / Justin Tang

Immigration Canada se défend

Alors que Justin Trudeau, interrogé sur ce sujet en décembre, avait jugé la discrimination [...] inacceptable sous toutes ses formes, le ministre de l'Immigration Sean Fraser s’est engagé à revoir nos politiques et nos programmes pour assurer qu'ils nous aident à répondre à nos besoins en matière d'immigration, affirme son entourage.

L'objectif, dit-on au sein du cabinet du ministre Fraser, est d'attirer davantage d'immigrants francophones au Québec et dans les communautés francophones d'un océan à l'autre.

« Nous savons que l’immigration est essentielle à la vitalité de langue française non seulement au Québec, mais dans les collectivités francophones partout au Canada. »

— Une citation de  Émilie Simard, porte-parole du ministre Fraser

Son ministère, de son côté, s'est défendu en jurant examiner de façon uniforme et en fonction des mêmes critères toutes les demandes de permis d'études peu importe le pays d’origine.

« Ces décisions sont prises par des agents hautement qualifiés qui évaluent soigneusement et systématiquement chaque demande en fonction des mêmes critères. »

— Une citation de  Nancy Caron, porte-parole d'IRCC

Le volume de demandes de visa de résidence temporaire et de permis d'études en provenance de l'Afrique a considérablement augmenté au cours de la dernière décennie, précise Nancy Caron, porte-parole d'IRCC.

Cependant, souligne--t-elle, il y a peu de différence entre le taux d'approbation des demandes pour les ressortissants des pays africains francophones et des autres pays africains.

Selon IRCC, une demande peut également être refusée en raison de documents frauduleux ou d'un dossier incomplet.

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