Les attentes démesurées envers les présidents des États-Unis

Le président des États-Unis Joe Biden.
Photo : Associated Press / Susan Walsh
L’arrivée de Joe Biden à la tête des États-Unis laissait croire à des jours meilleurs après la présidence chaotique de Donald Trump. Même si ses premiers mois à la Maison-Blanche furent prometteurs avec l'adoption d’un audacieux plan de relance économique, un an plus tard, le président démocrate affiche un taux de satisfaction à peine plus élevé que son prédécesseur à la même période.
Selon Karine Prémont, professeure à l’École de politique appliquée de l'Université de Sherbrooke et directrice adjointe de l’Observatoire des États-Unis de la Chaire Raoul-Dandurand, son parti est divisé par sa branche plus progressiste, et ses projets de réforme ambitieux ne passent pas auprès des électeurs plus centristes. La pandémie qui s’étire, l’inflation qui a grimpé en flèche et une stratégie de communication déficiente placent d’ailleurs, selon elle, le 46e président dans une position vulnérable en vue des élections de mi-mandat. Joe Biden échoue-t-il vraiment à la tâche ou est-il victime d’une tendance qui s’ancre de plus en plus lourdement dans la population américaine : la difficulté à satisfaire et à rassembler la nation? Karine Prémont nous fait part de son analyse.
L’élection de Joe Biden annonçait le retour à une certaine normalité à la Maison-Blanche et nourrissait aussi l’espoir d’un pouvoir un peu plus fédérateur à Washington. La désillusion semble être de retour. Le nouveau président, qui qu’il puisse être, n’est-il pas condamné à décevoir une grande partie de l’électorat dès la première année de son mandat?
Oui, parce qu’on leur prête presque des pouvoirs infinis. Quand on connaît bien le système politique américain, le pouvoir, ce n’est pas à la présidence qu’il réside, c’est au Congrès. [Pourtant], on leur demande d’être des leaders, mais en même temps de faire des compromis. On leur demande d’écouter tout le monde et en même temps de ne pas se laisser influencer par les sondages. On leur demande toutes sortes de choses contradictoires qui sont irréconciliables.

Karine Prémont, professeure à l'École de politique appliquée de l'Université de Sherbrooke.
Photo : Radio-Canada / ANDRÉ VUILLEMIN
C’est très difficile de faire avancer ton programme législatif. Et c’est ce qui se passe avec Joe Biden. Il a une majorité très courte au Congrès, et il doit justement travailler avec des dissensions au sein de son parti. Donc, c’est à peu près impossible de réussir à tenir parole.
Même Trump, qui avait une majorité importante, n’a pas du tout obtenu tout ce qu’il souhaitait pendant la première année. [Mais] Trump, c’est différent parce que les gens n’avaient tellement pas d’attentes, les gens étaient juste contents qu’il n’y ait pas de guerre mondiale après sa première année. C’est une caricature, mais c’est un peu ça. On s’attendait au pire et finalement le pire ne s'est pas produit.
Le cas d’Obama était [aussi] particulier parce qu’on le voyait après Georges W. Bush comme un sauveur, le premier président afro-américain, un jeune homme charismatique, un grand orateur. On lui prêtait des vertus. Il a eu deux ans pour faire ce qu’il pouvait parce qu’il avait sa majorité au Congrès, mais à partir du moment où tu perds ta majorité, tu as pratiquement les mains liées.
On voit la présidence comme une personne omnipotente, et ce n’est pas du tout ça. Alors forcément, on est déçu.
Est-ce encore plus difficile aujourd’hui pour un président de répondre aux attentes considérant la polarisation politique aux États-Unis?
Oui, parce que justement, cette zone de compromis là n’existe à peu près plus. Quand on pense par exemple aux années Reagan dans les années 80, Ronald Reagan était quand même assez conservateur. C’est quelqu’un qui ne faisait pas du tout l’unanimité. Les démocrates ne l’aimaient pas beaucoup, mais on avait ce compromis avec le Congrès et le speaker de la Chambre des représentants Thomas "Tip" O’Neill. Ils réussissaient ces deux-là à trouver une zone de compromis.

Sous l'ère Reagan, le compromis était encore possible entre les partis.
Photo : Domaine public
À partir des années 90, cette zone-là s’effrite passablement parce qu’on a de nouvelles stratégies chez les républicains avec Newt Gingrich qui arrive sous l’ère Clinton. Ce nouveau speaker de la Chambre des représentants a une stratégie "eux versus nous", où l’autre parti devient un ennemi. On ne travaille plus ensemble pour faire avancer les projets de loi, mais on est en rivalité constante.
Et là, la fin justifie les moyens à ce moment-là. Aujourd’hui, ce qu’on voit, c’est qu’aussitôt qu’un républicain est d’accord avec quelque chose que les démocrates disent ou font, il se fait ostraciser au sein de son propre parti. On le voit bien avec la mainmise de Trump. Même après son départ, les républicains ont encore peur de dire que l’élection n’a pas été volée, parce qu’ils savent que ça va les ostraciser, que le financement de leur campagne va diminuer, qu’ils vont peut-être même mettre leur siège en jeu au sein de leur comté.
Il y a une transformation radicale du discours politique qui fait en sorte qu’on est prêt à défendre les pires mensonges, les pires aberrations parce que, politiquement, ce n’est pas payant parce que cette zone de compromis n’existe plus.
La colistière de Joe Biden, Kamala Harris, a connu aussi une première année difficile. Comment aurait-elle pu faire mieux?
Les attentes étaient importantes dans la mesure où Joe Biden avait dit qu’il choisirait une personne qui puisse prendre sa succession d’une certaine façon. Kamala Harris a brisé plusieurs barrières en devenant la première femme et la première Noire à la vice-présidente. En même temps, c’est une fonction un peu terrible, dans la mesure où c’est ce que le président veut bien en faire. Il n’y a pas de fonctions définies à la vice-présidence dans la Constitution, sauf de trancher [en cas] d’égalité de votes au Sénat.

Kamala Harris a du mal à s'imposer sur la scène politique américaine comme une potentielle successeure à Joe Biden.
Photo : Getty Images / Alex Wong
Son autre fonction, c’est de remplacer le président s’il meurt. Dans les dernières années, les vice-présidents ont des fonctions de plus en plus importantes, [mais] on ne sait pas exactement quelles sont les tâches de Kamala Harris, parce que Biden lui a confié de gros dossiers comme l’immigration ou les restrictions au droit de vote, qui sont très lourds. [Ce sont des sujets] très complexes et politiques, alors ce n’est pas nécessairement l’idéal pour former quelqu’un à la présidence, pour la faire bien paraître.
À part se casser les dents, il n’y a pas grand-chose qu’elle peut faire avec [les responsabilités confiées par Biden].
Le tandem Biden-Harris est [aussi] assez particulier dans le sens où, habituellement, les présidents sont peu expérimentés et vont se choisir un vice-président qui connaît davantage la politique de Washington. Là, c’est l’inverse. On n'a pas plus insider que Joe Biden.
N’est-elle pas aussi de cette façon exposée à toutes les critiques?
[Les vice-présidents] servent beaucoup de punching bag à l’opinion publique et au président aussi, des fois. Et en même temps, il y a aussi des questions de sexisme et de racisme qui sont associées à Kamala Harris. On le sait, le traitement médiatique accordé aux femmes en politique versus les hommes est différent, c’est bien documenté. [Mais] elle est surtout victime des circonstances, c'est-à-dire d’avoir ce président très expérimenté qui n’a pas vraiment besoin d’elle.

Contrairement aux autres présidents, Joe Biden n'a pas vraiment besoin de l'appui d'une vice-présidente.
Photo : Getty Images / ROBERTO SCHMIDT
Les élections de mi-mandat arrivent dans moins d’un an. Est-ce que la cote de popularité à la baisse du président Biden peut remonter assez pour faire une différence?
Les pronostics ne sont pas très bons pour le Parti démocrate. C’est toujours normal que le parti du président perde des sièges lors des élections de mi-mandat parce que c’est une espèce de référendum sur la présidence. Comme on le disait, [les électeurs] sont invariablement insatisfaits de la première année [d’une présidence], alors forcément ça se reflète dans le vote. Obama avait connu une raclée historique en 2010.
Il faudrait que la pandémie se règle, il faudrait que l’inflation cesse, il faudrait que la polarisation diminue.

Les pronostics ne sont pas très bons pour les élections de mi-mandat de Joe Biden.
Photo : Associated Press / Andrew Harnik
Donald Trump exerce encore une grande influence au sein du Parti républicain. Est-ce qu’on risque de le voir davantage au cours de la prochaine année?
Oui, et même quand il n’est pas là, on parle de lui parce que le Parti républicain est encore fortement sous son emprise. Les grands donateurs l’aiment beaucoup. Il attire l'attention, il fait parler de lui. Il y a beaucoup de manipulations qui se font dans les États pour s’assurer que les processus électoraux soient favorables aux républicains.
Il y a [aussi] beaucoup de choses qui se passent aux États-Unis, qui sont inquiétantes [...] en ce qui concerne les discriminations raciales. Le Mississippi notamment a adopté une loi qui interdit aux professeurs de dire que les Blancs sont avantagés à cause de leur peau et les Noirs désavantagés. Le Mississippi est l’État où la population noire est la plus élevée. Il y a toutes sortes de choses aux États-Unis qui laissent présager des jours sombres encore.
Que Trump se représente ou pas, qu’il gagne ou pas en 2024, la situation aux États-Unis est préoccupante à bien des égards.