Parents en renfort dans les écoles : à quoi s’attendre?
La pandémie malmène le corps enseignant. Les parents pourraient être appelés à la rescousse dans les classes, a décidé Québec. Notre journaliste a effectué une journée de suppléance dans une école primaire pour découvrir ce qui les attend.

À l'école Tournesol, Maude Montembeault a fait de la suppléance.
Photo : Radio-Canada / Émilie Robert
Le jeudi 20 janvier, 8 h 05.
Mon iPhone sonne. L’afficheur indique « CSS La Riveraine ».
« Bonjour, ici madame Nancy de l’école Tournesol. On aurait besoin d’un suppléant aujourd’hui. Êtes-vous disponible? »
Le lundi précédent, j’avais contacté trois centres de services scolaires pour leur proposer mes services lorsqu'ils en seraient à faire appel aux parents. J'avais bien précisé : je voulais en tirer un reportage.
L’école Tournesol, à Saint-Léonard-d’Aston, au Centre-du-Québec, n’est pas à l’étape d’appeler des parents et espère ne pas avoir à le faire.
Mais quand la directrice et la secrétaire ont su qu’une nouvelle personne figurait enfin sur la liste de suppléance du centre de services, elles ont sauté sur l’occasion.
D’abord, un énorme merci
, furent les premiers mots de madame Nancy lorsque je suis arrivée peu après.
Depuis six mois, la plateforme Scolago, qui aide à gérer les demandes de remplacement, ne propose aucune candidature. Les secrétaires s’arrachent les suppléants. Des offres d’emplois et de contrats se multiplient sur la page Facebook du Centre de services scolaire de la Riveraine.
Certains postes sont pourvus par des candidats qui n’ont pas de baccalauréat en enseignement. Trouver des enseignants pour des matières comme la science, les mathématiques, la musique et l’anglais est parfois difficile, confie le directeur général du centre de services, Pascal Blondin.
En date d’aujourd’hui, illustre-t-il, c’est 35 personnes qui sont absentes en raison de la COVID-19, dont 15 enseignants
. Des absences qui s’ajoutent à des congés de maladie, de maternité, et à des retraits préventifs.
- Je fais quoi aujourd'hui?
- Ça, c'est la feuille, me répond madame Nancy.
La feuille est en quelque sorte mon plan de match. C’est l’enseignante en soutien pédagogique, Frédérique Dubois, qui l’a gentiment préparée. Elle-même suppléante jusqu’il y a trois ans, elle est bien placée pour en connaître l’utilité.
- J’arrivais dans la classe le matin et, sur mon bureau, il y avait un post-it Bonne journée!
Je n’avais pas de planification. Donc, ça s’appelle : débrouille-toi.
La classe de 5e de madame Myriam
À l’école Tournesol, l’enseignant d’anglais n’a pas de classe attitrée. C’est lui qui se déplace d’une classe à l’autre.
Je dois, en théorie, effectuer quatre périodes d’enseignement de l’anglais. Puisque je ne pouvais pas arriver à temps pour la première période (j’ai reçu l’appel à 8 h 05 pour commencer à 8 h 30), je n’en ferai que trois, en commençant par la classe de 5e année de madame Myriam.
Je lis sur la feuille : Faire les pages 33 à 37. Tu fais ce que tu peux!
Sur le coup, ça m’a semblé peu de chose.
Et je ne serai pas complètement laissée à moi-même pour le premier cours. Une technicienne en éducation spécialisée et sa stagiaire suivent le groupe de madame Myriam, puisque certains jeunes ont des besoins particuliers.
- Allô tout le monde.
- Allô!
- Ça va bien? Je suis la suppléante aujourd'hui.
- Pourquoi t'as un micro?
Déjà, les questions.
- J'ai un micro parce que je suis journaliste à Radio-Canada. C'est mon vrai métier. Je vais me faire appeler madame Maude, OK? Et c'est un cours d'anglais ici. So is it OK if I speak English only with you guys?
En équipe, les élèves font les exercices dans leur cahier. Ils lèvent la main quand ils ont des questions. Et ils en ont beaucoup. Je n'ai pas eu une minute de pause et, déjà, la cloche de la récréation sonne.
Finalement, cinq pages d’exercices, c’était une tâche colossale.
La classe de 1re-2e de madame Stéphanie
La récréation m’offre quelques minutes pour tenter de trouver certains repères : les locaux, les outils, dont le tableau interactif, les règlements de la classe, etc.
Frédérique Dubois propose de m’aider.
- As-tu le temps de me montrer?
- Oui, je pourrais faire ça.
- Je ne sais pas où sont les crayons pour écrire au tableau, lui confié-je, alors que nous entrons dans la classe.
- Ça, c’est la réalité de l’enseignement. Quand on arrive comme suppléant, on court partout et on essaie de comprendre. On se fait garrocher d’une classe à l’autre. On essaie d’assimiler le plus de choses qu’on peut. C’est ça qui n’est pas évident.
Frédérique s’installe devant l’ordinateur portable branché au tableau interactif. Elle entre un nom d’utilisateur et un mot de passe.
- Là, on va aller sur Chenelière.
Le nom ne me dit absolument rien. C’est en fait une maison d’édition qui offre une plateforme d’exercices en ligne.
- Ça va m’être utile pour quoi exactement?
- Pour faire les pages en ligne en même temps qu’eux dans leur cahier.
- Mais pour les remplaçants, c’est un peu difficile d’utiliser ça, à brûle-pourpoint, non?
- Oh oui, effectivement, y'a ça, elle en convient.
Les premiers enfants entrent alors dans la classe. Sans masque, avec le masque de travers ou trempé après avoir joué dehors.
Frédérique quitte la classe, me fait comprendre que c’est correct si je n’arrive pas à faire fonctionner tous les outils.
- Allô mon grand, as-tu lavé tes mains? Je lance. Un petit coup de désinfectant? Est-ce que tout le monde qui était là ce matin est arrivé?
Un oui unanime retentit dans la classe.
- Comment allez-vous?
- Bien, répondent-ils encore ensemble.
Ce sera suivi de bruits de toux. Les élèves de première année de madame Stéphanie toussaient ce jour-là, notamment une belle princesse dans la première rangée, devant moi.
- Tu tousses pas mal hein?
- Oui, mais c’est juste un rhume.
11 h 25. Le cours est commencé depuis trente minutes. Une main se lève.
- C’est bientôt la pause pour dîner?
La fatigue se fait sentir lors de la dernière période de la matinée. Il reste une demi-heure au cours. Bien qu'exigeante, la suppléance apporte aussi de petites douceurs. Quand la cloche finit par sonner, la petite princesse qui toussait vient me voir.
- J'étais très contente de te rencontrer.
- Ahhhh, merci!
Mon cœur fond devant cette petite attention, qui fait oublier tous les défis de la suppléance.
La classe de 3e-4e de madame Geneviève
Après une tentative infructueuse d’utiliser le tableau interactif (toutes les réponses se sont affichées, créant la plus belle des surprises pour les élèves), je me résigne à le laisser de côté pour le dernier cours de la journée.
- Devinez quel pourrait être mon vrai travail si j’utilise des écouteurs et un micro?
-M’en sacre! répond un des élèves, les yeux au ciel.
[...]
Je fige devant une telle réponse.
Avis aux futurs suppléants non qualifiés.
Il y a des trucs au niveau de la gestion de classe
, me soumet Pascal Blondin. Des fois, c’est une étape qu’on fait un petit peu vite quand on manque d’expérience. Puis, on paye un petit peu après parce que l’enseignement devient un peu plus difficile, car je n’ai pas pu établir ma gestion de classe.
J’ai aussi figé quand deux jeunes se sont disputés. Et je me suis fait avoir en en autorisant deux autres à aller à la salle de bain. Après plusieurs minutes d'absence, j’ai réalisé que les deux fillettes devaient bien s'amuser aux toilettes pendant que le cours continuait.
L’école Tournesol compte 231 élèves de niveaux préscolaire et primaire. Treize enseignants, six techniciennes en éducation spécialisée et cinq éducatrices en services de garde y travaillent.
Son indice de défavorisation est de neuf sur une échelle de dix.
Pourriez-vous revenir?
Malgré la méconnaissance des outils, de la matière et du métier, un suppléant non qualifié aide grandement l'équipe-école, croient les enseignantes, dont Stéphanie, à qui j’avais parlé peu avant de prendre sa classe en charge.
On m’aurait probablement demandé de faire ma période si l'on n’avait trouvé personne ce matin, m'explique-t-elle. J'ai quatre élèves absents pour la semaine, donc je dois envoyer le travail à la maison. Je planifie aussi ma semaine prochaine et je réponds à deux parents.
Le 2 février, elle devra s’absenter pour un rendez-vous médical. En plus des éclosions de cas de COVID, il y a les absences régulières.
Si vous êtes disponible le 2 février au matin, j'accepterais que vous reveniez dans mon groupe
, elle me dit.
Je sens que les enseignants apprécient ma présence. Mais les élèves? Ont-ils reçu un service à la hauteur de ce qu’ils méritent? Ce n’est pas pour rien que l’option des parents est l'ultime recours et que le ministre de l’Éducation a lancé une offensive de recrutement de personnel qualifié.
« Bien qu’on veuille voir des parents à l’école, on espère tout de même ne pas avoir à leur demander de faire de la suppléance. Si on se rend là, c’est clair qu’il faut avoir une grande préoccupation pour nos élèves vulnérables, qu’ils aient le service dont ils ont besoin. »
Avant de quitter l’école, la secrétaire, madame Nancy, me demande si elle pourra me rappeler pour du remplacement.
Si je n’avais pas déjà un métier qui me passionne, j’y songerais probablement. Malgré les embûches, c’est tout un privilège de former la prochaine génération. Si vous avez le goût de l’aventure et une bonne capacité d’adaptation, pensez-vous que l'expérience vous tenterait?
Un suppléant est payé 232 $ par jour. Une journée comprend un minimum de quatre périodes. Les enseignants retraités qui décident de reprendre du service en faisant de la suppléance peuvent retrouver l’équivalent du taux qu’ils gagnaient avant leur retraite, ce qui équivaut à environ 400 $ par jour.
P.-S. : Je n’ai pas été rémunérée par le centre de services scolaire pour ma journée de suppléance.