5 ans après l’attentat, des musulmans croient en l’avenir sans oublier le passé

Mohamed Labidi, vice-président de la mosquée où s'est produit l'attentat, entouré du premier ministre Philippe Couillard et du maire de Québec Régis Labeaume. (Archives)
Photo : Radio-Canada / Maxime Corneau
Cinq ans après l’attentat de la mosquée de Québec, des musulmans de la capitale se sentent encore soulevés par la vague de solidarité exprimée à leur endroit au lendemain de l’attaque. Un élan qui demeure fragile, selon eux, car ballotté par des politiques qu’ils jugent polarisantes.
Mohamed Labidi était vice-président du Centre culturel islamique lors du drame qui a emporté six de ses frères musulmans le 29 janvier 2017.
Le lendemain, entouré de dignitaires, il s’adressait aux Québécois devant des dizaines de journalistes à l’hôtel de ville de Québec.
Nous sommes très touchés par cette solidarité, ça fait chaud au cœur et ça diminue notre chagrin, vraiment
, avait-il dit, en pleurs.
Un drame qui ne s'efface pas
Cinq années se sont écoulées depuis. La grande mosquée de Québec a changé. Elle a été rénovée, la sécurité y a été renforcée. Mohamed Labidi aussi n’est plus le même.
On ne peut pas effacer un tel drame. C’est quelque chose que l’on va porter toute notre vie. On essaie de tourner la page avec une certaine difficulté
, dit-il.
Mais chaque drame, croit-il, amène heureusement du bon : les Québécois ont été conscientisés par la tragédie, ils sont maintenant plus ouverts.
« Il y a beaucoup de monde qui ont révisé leur position. On le voit facilement. Tout le monde dans la communauté le voit toujours cinq ans plus tard. »
À commencer par l’ancien maire de Québec, Régis Labeaume.
On ne se connaissait pas avant. J’ai l’impression que sa perception envers notre communauté a tourné à 180 degrés après la tragédie
, explique-t-il.
En effet, Régis Labeaume est devenu l’un de leurs meilleurs alliés. C’est lui qui a déniché un terrain en 2019 pour l’aménagement d’un cimetière musulman, après l’échec de St-Apollinaire en 2017.
Mohamed Khabar est du même avis. D’origine marocaine, il s’est établi au Québec en 2009. Il tient un salon de coiffure dans un petit centre commercial de Sainte-Foy. Ses blessures l’empêchent de rester longtemps debout.
Le 29 janvier 2017, une balle lui traversait la jambe, une autre, le gros orteil.
Après l’attentat, les gens se sont réveillés. Québec est encore pour moi une terre d’accueil
, dit-il.
On est sur le bon chemin, mais...
Il y a quelque chose qui manque, par contre, pour réellement aller de l’avant, selon les deux hommes.
« On est sur le bon chemin, mais il y a des choses qui nous retiennent en arrière. »
La loi 21 nous a terrorisés. Le gouvernement a fait des dégâts. Pour vivre ensemble, ce n’est pas cela le modèle. Il y a des gens qui n’acceptent pas seulement de manger et dormir. Il y a des gens qui tiennent à leurs droits
, déplore Mohamed Khabar.
Une dizaine de couples qu’il connaît ont décidé de quitter le Québec depuis sa mise en vigueur. Adoptée en 2019, la loi interdit à certains employés de l'État en situation d'autorité, y compris les enseignants des écoles primaires et secondaires publiques, d'afficher des signes religieux dans l'exercice de leurs fonctions.
C’est une loi qui vient nous chercher. On voit dans ça une discrimination claire et nette
, affirme quant à lui Mohamed Labidi.
Propos haineux
Selon lui, les gouvernements n’en font pas assez non plus pour protéger les citoyens des propos haineux sur les réseaux sociaux.
« Il y a encore des choses qui nous rappellent la tragédie. En 2017, on a reçu des centaines de messages haineux. »
Mohamed Labidi ne comprend pas non plus pourquoi c’est encore aussi facile de se procurer des armes à feu au Canada.
Les deux hommes espèrent que les dissensions politiques n’auront pas raison de ce qui a émergé de la tragédie.
Dans ce cas, le fils de Mohamed Khabar, âgé de cinq ans, trouvera au Québec une terre d’accueil où s'épanouir.
Si les changements continuent, il aura une belle vie ici
, conclut-il.