Harcèlement et discrimination au sein de la police d’Ottawa, selon un rapport
Un cabinet d'avocats a mené 116 entretiens avec des officiers et des employés civils

Plus d'une centaine d'officiers et d'employés civils du SPO ont été interrogés.
Photo : Radio-Canada / Hugo Belanger
Les employés du Service de police d'Ottawa (SPO) ont déclaré à un enquêteur indépendant que la culture en milieu de travail de la police continue de les pénaliser pour avoir signalé le mauvais comportement de leurs collègues, que les femmes sont considérées comme des objets sexuels et que les agents racialisés sont injustement considérés pour des comportements similaires à ceux de leurs homologues blancs.
Ces conclusions proviennent d'un rapport d'évaluation en milieu de travail commandé conjointement par la Commission de services policiers et par le SPO
dans le cadre de leurs efforts pour lutter contre la violence et le harcèlement sexuel au travail.Le cabinet Rubin Thomlinson LLP a été embauché pour mener un projet pilote, en 2020. Lancé pour la première fois en mai de cette année-là, quelques mois seulement après qu'un chef adjoint ait été accusé d'inconduite pour des allégations de harcèlement sexuel et d'attouchements non désirés. Uday Jaswal fait maintenant face à des accusations pour trois plaintes formulées par des employées du SPO.
En plus de mener une évaluation en milieu de travail, l’initiative prévoyait également que le cabinet d'avocats agisse comme enquêteur indépendant afin d’examiner de plus près, puis d’investiguer sur les plaintes de harcèlement au sein du service. Toutes les conclusions détaillées du rapport de 76 pages, rendu public cette semaine, concernent uniquement l'évaluation en milieu de travail.
Rubin Thomlinson a déjà été embauché par CBC pour enquêter sur la manière dont la société avait traité les allégations portées contre un ancien de ses employés, Jian Ghomeshi.
116 entretiens, 25 déclarations d'employés
L'entreprise a mené 116 entretiens avec des officiers et des employés et a reçu 25 réponses confidentielles par courriel.
Le SPO
emploie environ 2200 personnes, mais le rapport ne propose aucune autre ventilation des employés ayant participé à l'enquête.La majorité des personnes interrogées ont choisi par elles-mêmes de participer au processus
, indiquent les enquêteurs dans le rapport.
Bien que l'entreprise ait également agi à titre d'enquêteur indépendant au moment de l'évaluation en milieu de travail, aucune démarche n’a été entreprise pour enquêter sur les allégations des participants ou pour déterminer si elles étaient vraies.
Les personnes interrogées ont décrit une situation incluant de la violence sexuelle, du harcèlement, de la discrimination et de l'intolérance, ainsi qu'un milieu de travail empreint de commérages, de cliques et de comportements irrespectueux
, dit le rapport. En supposant que ce qu'on nous a dit est vrai, la totalité de ce qui nous a été décrit contrevient à l'engagement du SPO , par le biais de ses diverses politiques, d'offrir à tous ses membres un milieu de travail respectueux, exempt de harcèlement et de discrimination.
Des femmes soumises à des commentaires dérangeants
, pelotées
Presque toutes les femmes interrogées ont déclaré avoir été soumises à des commentaires sexuels inappropriés et à des "plaisanteries", des gestes, des "farces" et des agressions
, selon le rapport.
Les employées ont donné des exemples passés et présents de harcèlement sexuel et de violence, décrivant entre 11 et 20 incidents dont ont été témoins d'autres employés, y compris des superviseurs qui, selon les plaignantes, ne sont, soit, pas intervenus, soit, ont activement encouragé ces comportements
, peut-on lire dans le rapport.
Les personnes interrogées ont raconté avoir été tripotées et soumises à des commentaires "dérangeants", à des discussions de nature sexuelle et à des messages inappropriés.
Le rapport donne l'exemple d'un homme décrit par les personnes interrogées comme un prédateur sexuel bien connu
des services policiers, qui, selon les membres féminines du SPO , a fait des commentaires de nature sexuelle à l’égard de ses collègues féminines et en a agressé sexuellement plus d'une. Cet employé a depuis démissionné, selon le rapport.
Les femmes interrogées ont rapporté que le SPO n'a pris aucune mesure jusqu'à ce que même comportement soit signalé par des membres du public y ayant été soumis eux aussi
.
Une femme a déclaré lors de l’enquête : Je suis un objet. Ils se fichent de mon intelligence. Ils ne se soucient pas de mon niveau d'éducation. Ils n’ont aucun intérêt à ce que je peux apporter au sein de l’équipe, autre que d'être un objet sexuel.
Également fréquente, la culture de rabaisser la réussite des femmes à un concours de promotions, en racontant qu’elles n'avaient eu cette opportunité qu'en raison de leur sexe et/ou en échange de faveurs sexuelles ; il était rarement reconnu qu'elles étaient les plus qualifiées.
Discrimination raciale ouverte et cachée
Selon le rapport, presque toutes les personnes racisées interrogées disent avoir vécu des expériences quotidiennes négatives et des traitements discriminatoires au sein du SPO , ouverts et cachés
.
Le rapport ne précise pas combien d'employés racisés ont été interrogés ni si ce groupe comprenait des femmes ni quel effet cela a eu sur leurs expériences.
Selon ces employés racisés, le SPOdeux cas notables de comportement discriminatoire
- l'un, la création et la diffusion d'un mème d'agents pour la plupart racisés victimes d'inconduite, et l'autre, d'un collègue du service conduisant un véhicule de la police d’Ottawa avec un autocollant antimusulman.
Des employés disent avoir été soumis à des commentaires fondés sur la race, avoir entendu des collègues se moquer de l’accent de membres racisés et demander que ces membres soient changés de postes et/ou suivent une formation supplémentaire
, et avoir été regardés de travers pour avoir demandé des accommodements religieux.
« En tant que minorité, si vous vous plaignez à la mauvaise personne, vous êtes fini. »
L'évaluation en milieu de travail a révélé que certaines personnes interrogées ont également l'impression que l'inconduite d’un membre racisé avait souvent été plus scrutée et punie que pour des membres non racisés qui se comportaient de la même manière ou pire
.
Comme les femmes interrogées, les employés racisés ont également souligné une culture masculine à prédominance blanche qui, selon eux, laissait peu de place pour établir le type de relations informelles qui mènerait au mentorat.
Les employées ayant des obligations parentales ont déclaré qu'elles ne pouvaient pas souvent participer aux soirées ailes de poulet
ou aux 5 à 7 après le travail, tandis que les employés racisés ont dit ressentir les mêmes limitations s'ils ne buvaient pas, ne jouaient pas au hockey ou ne jouaient pas au golf.
Les membres des deux groupes d'employés ont déclaré qu'ils avaient parfois ressenti le besoin de faire des blagues de nature sexuelle, sexistes ou raciales pour s'intégrer.
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Crainte persistante de représailles
Les employés se sont plaints auprès du cabinet d’avocats menant l’enquête d'un système sans dents
qui ne tenait pas ses pairs responsables, mais continuait de punir ceux qui s'exprimaient.
C'est la raison pour laquelle beaucoup de gens ne veulent pas se manifester, car sinon ils sont diabolisés et traités comme de la merde
, a déclaré un employé.
Les personnes interrogées ont déclaré aux avocats qu'il y avait un coût social élevé
à déposer une plainte officielle contre un collègue.
Cela a souvent entraîné la fin d'amitiés, de relations et de support au sein du SPO .
Les représailles dont les employés disent avoir été victimes comprenaient l'ostracisme sur le lieu de travail, la microgestion de leur performance par leurs supérieurs, le blocage des transferts de poste ou de promotions et l'affectation à des tâches dégradantes ou que personne ne veut faire.
Les agents ont souligné un risque inhérent à la sécurité lorsqu'ils signalent le comportement d'un collègue sur lequel ils pourraient ensuite devoir compter comme renfort lors d'un appel.
On nous a également fait part de membres du SPO victimes de vandalisme et de menaces après le dépôt d'une plainte.
Toutes les recommandations seront mises en œuvre
Rubin Thomlinson fait 18 recommandations à la Commission de services policiers et au SPO , qui les adopteront toutes, ont assuré la présidente de la Commission, la conseillère Diane Deans et le chef de la police d'Ottawa, Peter Sloly, cette semaine.
Ces recommandations incluent la création d'un bureau d'enquête en milieu de travail
interne, afin de recevoir les plaintes, de s'assurer que les enquêteurs et les agents d'audience qui traitent les affaires disciplinaires comprennent les droits de l'homme et permettent aux employés de déposer des plaintes collectives.
Une autre recommandation est d'examiner tous les litiges en suspens, y compris les plaintes relatives aux droits de l'homme, et de faire du mieux possible pour les résoudre.
Il est également recommandé de mettre à jour les politiques en milieu de travail du SPO
et d'établir un code de conduite qui indique clairement les attentes en matière de comportement sur le lieu de travail.En faisant ces recommandations
, a écrit Rubin Thomlinson dans le rapport, nous avons examiné si ce que les personnes interrogées ont décrit va au-delà de l'expérience subjective individuelle, en particulier parce que, comme nous l'avons noté au début de ce rapport, la plupart des personnes interrogées ont choisi elles-mêmes de participer. Nous nous sommes demandé si les histoires que nous avions entendues relevaient d'anecdotes d'un petit groupe d'employés du SPO ayant vécu des expériences malheureuses, ou révélaient un problème plus général en milieu de travail. En nous basant sur l’ensemble de notre démarche et les thèmes récurrents qui ont émergé, nous pensons que la seconde réponse est la bonne, et non la première.
Dans une déclaration écrite, cette semaine, le SPOplan d'action pluriannuel pour la sécurité en milieu de travail
.
Ce plan, a déclaré le chef Sloly, est la prochaine étape de nos efforts continus pour prévenir ces incidents préjudiciables sur le lieu de travail - pour accroître la confiance des membres dans le signalement des incidents - pour fournir un meilleur soutien aux victimes/survivants touchés - et - pour traiter tous ces incidents dès qu’ils surviennent.
Ce programme devrait coûter environ 8,2 millions de dollars au cours de ses cinq premières années de fonctionnement, avant que les coûts annuels ne diminuent, ensuite, d'une année à l'autre.
Avec les informations de Shaamini Yogaretnam, CBC