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Les origines autochtones d’un professeur de l’Université Carleton remises en question

Les prétentions identitaires d'un professeur québécois provoquent la colère de nombreux Autochtones, qui accusent d'usurpation celui qui se proclame Métis de l'Est. Les tensions sont vives alors que Carleton est à élaborer une politique d'embauche spécifique aux Autochtones.

Affiche à l'entrée du campus où on peut lire le nom de l'établissement.

L'Université Carleton d'Ottawa.

Photo : Radio-Canada / Francis Ferland

La question de l'usurpation identitaire bouleverse les pratiques universitaires et avive les tensions entre les murs des établissements au pays. À l'Université Carleton d'Ottawa, un malaise grossit autour de la personne du professeur de droit Sébastien Malette, dont les prétentions à une identité autochtone sont remises en question par plusieurs.

Dernière en date, le 8 novembre dernier, l’association étudiante du Département de droit de Carleton, la Graduate Law and Legal Studies Association, envoyait une lettre à la présidente du département, Betina Appel Kuzmarov, réclamant la suspension du professeur québécois en raison de ses prétentions à l’identité autochtone. Un secret de polichinelle, écrit-elle.

Ces prétentions érodent la confiance dans le département et aliènent les étudiants, en particulier les étudiants autochtones, lit-on dans la lettre interne, dont Radio-Canada a obtenu copie.

La lettre a été envoyée dans la foulée de révélations de cas d’usurpation identitaire dans d’autres universités en Saskatchewan et en Ontario et disait faire écho à diverses informations sur les origines réelles du professeur ayant circulé sur les réseaux sociaux cet été.

Un dialogue sur l’usurpation identitaire doit être entamé, écrit l’association, sans que les étudiants en craignent les répercussions.

Sébastien Malette, professeur au Département de droit et d'études juridiques, se dit autochtone, mais n’a pas d'ancêtres des Premières Nations avant la 11e génération, au 17e siècle, selon Dominique Ritchot, une généalogiste que Radio-Canada a consultée.

Le professeur québécois, qui a déjà aussi enseigné au Collège Kiuna, dans la communauté d’Odanak, près de Trois-Rivières, mène des recherches sur l’existence des Métis de l’Est, dont il se réclame, et milite pour leur cause.

Plusieurs disputes au fil des ans

Les allégations à son endroit ne se limitent pas à la lettre de l'association étudiante. Au fil des ans, Sébastien Malette a eu plusieurs accrochages avec des Autochtones qui remettent en question ses origines.

Un ancien étudiant de M. Malette, l’Anichinabé Freddy StoneyPoint, affirme avoir été rencontré par la direction de Carleton et menacé d’expulsion au printemps 2018 après avoir remis en question les origines autochtones de M. Malette sur les réseaux sociaux. Une expérience qui lui laissé un goût amer, dit-il, et l'a poussé à quitter l’université, qu’il accuse de protéger le professeur.

Une autre étudiante, l’Inuk Aliqa Illauq, affirme avoir été dissuadée par la direction de l’université de porter plainte contre le professeur Malette pour fraude identitaire, notamment. Ça contribue à créer un environnement qui n’est pas sécuritaire pour les Autochtones à l’université, affirme la jeune femme, qui a elle-même parlé avec son ancien professeur pour contester ses origines.

Sébastien Malette en veston cravate.

Le professeur de l’Université Carleton Sébastien Malette.

Photo : Radio-Canada

Le malaise a pris une telle ampleur qu’en décembre 2018, le professeur métis à l’Université d’Ottawa Darren O’Toole a envoyé une plainte de 16 pages au recteur de Carleton, Benoit-Antoine Bacon. Il décrit le professeur Malette comme un homme blanc canadien-français qui, sous couvert d'être Autochtone, n'occupe pas seulement de l'espace autochtone dans votre université, mais en fait un espace hostile pour les personnes qui sont vraiment autochtones.

Sa plainte a été rejetée par le bureau du recteur, car elle allait à l'encontre du droit à l'exercice de la liberté académique de M. Malette. En tant que membre permanent du corps professoral de Carleton, le Dr Malette a droit à la liberté d'effectuer des recherches et d'en publier les résultats, à la liberté d'enseigner et de discuter de son sujet et à l'absence de censure institutionnelle, lui répond-on.

Plus tôt, en septembre 2018, un autre professeur, l’Anichinabé Veldon Coburn, était visé par une plainte adressée au recteur, une semaine à peine après son embauche à Carleton. Écrite par l’avocate Daphne Williamson, la lettre l’accuse de violence latérale pour avoir, sur les réseaux sociaux, traité des groupes métis autoproclamés d’usurpateurs d’identité autochtone.

Le professeur Malette affirme ne pas être l’auteur de la plainte, mais confirme avoir fourni, à la demande des clients de Mme Williamson, des captures d’écran de tweets en lien avec les idées et propos tenus publiquement par Veldon Coburn niant l’existence des Métis de l’Est.

Dans cette plainte, Veldon Coburn est accusé par ses propos de contribuer à une forme de génocide culturel, au même titre que les pensionnats pour Autochtones.

Le professeur Coburn a trouvé la comparaison peu élégante. Aucun de ces faux Métis ni leurs familles ne sont allés à ces pensionnats, dit le membre de la communauté de Pikwàkanagàn, qui enseigne aujourd’hui à l’Université d’Ottawa.

À l’hiver 2018, Rob Innes, professeur cri à la Faculté des sciences sociales de l'Université McMaster, en Ontario, est à Ottawa à l’invitation de la Minwaashin Lodge, un centre de soutien pour femmes autochtones. M. Innes prend la parole, quand le professeur Malette l’interrompt et l’accuse en haussant le ton d’avoir été hostile envers lui, raconte-t-il.

Le professeur Innes ne se souvient pas d’avoir interagi avec M. Malette par le passé. Seulement, dit-il, d’avoir participé à un échange sur Twitter sur la question de l’identité autochtone de M. Malette.

Je lui ai simplement exprimé en toute transparence mon mécontentement, affirme pour sa part Sébastien Malette à propos de l’incident.

Un ancêtre au 17e siècle

En 2013, alors qu’il est étudiant, Sébastien Malette a écrit à la recherchiste en généalogie Dominique Ritchot. Dans un courriel, il affirmait désirer établir les preuves généalogiques démontrant [sa] filiation métisse afin de demander son statut de Métis auprès d’une organisation ontarienne.

Mme Ritchot a fait la généalogie de M. Malette, qui a grandi à Gatineau de parents québécois. Elle lui a trouvé deux ancêtres autochtones à la 11e et 12e génération, un dans chaque lignée. Deux femmes nées au 17e siècle, Symphorose Tapakoé et Marie Asemgamasoua, dont on ne sait pas grand-chose, dit-elle, sauf que plusieurs milliers de Québécois en descendent.

Pourtant, Sébastien Malette, qui porte occasionnellement des vêtements ou accessoires traditionnels autochtones –  manteau à frange, bourse sacrée ou ceinture fléchée métisse – affirmait dans une publication Twitter en 2016 avoir été élevé par son père comme un sang-mêlé. Le professeur soutenait en outre avoir des ancêtres wendat, anishinabés, de même que michigamea, un groupe de nations autochtones qui vivaient dans ce qui est aujourd’hui l’Illinois, aux États-Unis.

Dans un courriel envoyé à Radio-Canada, Sébastien Malette se définit comme un Métis canadien-français, selon la compréhension inclusive articulée [par le chef métis] Louis Riel. Sur son site web, le professeur écrit que pour Riel, une goutte de chaque sang suffirait à faire de quelqu'un un Métis. Une interprétation que réfutent d’autres universitaires, dont Darren O’Toole, estimant que M. Malette cite le chef métis hors contexte.

Sébastien Malette dénonce par ailleurs le procès qui lui est fait sur les réseaux sociaux. Mon point de vue au sujet des tactiques utilisées sur les réseaux sociaux pour discréditer des identités autochtones est clair : je dénonce les attaques qui utilisent souvent l’anonymat, l’intimidation et le doxxing [NDLR : pratique qui consiste à divulguer sur Internet des informations sur l’identité ou la vie privée d’une personne en vue de la discréditer], ainsi que des travaux généalogiques bâclés ou incomplets, écrit-il.

Il estime que ses détracteurs font fi de la tradition orale et de la transmission culturelle .

Mais la chercheuse Dominique Ritchot affirme que la généalogie sert justement à confirmer ou à infirmer ces traditions orales, et que les registres de l’état civil sont complets et ne laissent donc pas place au doute sur la généalogie véritable.

Carleton revoit son processus d’embauche

Contactée par Radio-Canada, la direction de l’Université Carleton n’a pas voulu commenter le cas spécifique de Sébastien Malette, mais dit prendre au sérieux les risques associés à la détermination de l'identité autochtone.

La direction de l'établissement indique qu’elle est présentement en discussion avec des communautés autochtones et des experts juridiques dans l'élaboration d'un processus visant à protéger les opportunités pour les peuples autochtones.

Le 7 décembre, l’université a précisé son approche par voie de communiqué. Elle annonçait alors être en train d'élaborer une politique d'embauche spécifique aux Autochtones, qui sera pilotée par trois Autochtones. Un processus de consultation devrait être lancé ce mois-ci.

Dans sa stratégie autochtone publiée en 2020, l’Université Carleton constatait déjà la nécessité d'élaborer une politique d'embauche plus rigoureuse lors d'entretiens avec des membres potentiels du corps professoral, qui se penche sur les prétentions douteuses à une identité autochtone.

Le processus d'embauche, poursuivait le rapport, devrait par exemple exiger une lettre d'appui d’une communauté autochtone qui authentifie les prétentions d'identité autochtone.

Interpellé à ce sujet, le professeur Malette a dit accueillir favorablement toutes mesures visant une plus grande inclusion [à l’université] de tous les Autochtones, à condition que cette inclusion vise également les Métis issus de l’est du pays et les Autochtones sans statut.

Investiguer sur la présence de Métis dans l’Est

Le nombre de Québécois qui s’identifient comme Métis a explosé dans les dernières années. Ils étaient 69 000 en 2016, un bond de 150 % par rapport à 2006, selon les données les plus récentes de Statistique Canada. Un phénomène similaire se produit ailleurs en Ontario (+54 %) et dans les Maritimes, comme en Nouvelle-Écosse (+125 %).

En 2003, la Cour suprême du Canada a statué que, pour être Métis, il fallait notamment démontrer l’existence d’une communauté historique et d’une culture distincte (l'arrêt Powley), comme l’ont fait les Métis de l’Ouest canadien, qui ont leur propre langue ancestrale, leur culture et leur territoire.

Depuis, des groupes de l’Est s’autoproclamant Métis tentent d’obtenir une reconnaissance officielle – avec les droits de chasse ou de pêche qui y sont associés – et mènent des batailles juridiques qu’ils financent à même les cotisations de leurs membres. Sans succès pour le moment.

Sébastien Malette, co-auteur de Bois-Brûlés, un livre visant à démontrer l’existence de Métis en Outaouais, a agi comme témoin expert pour l’un de ces groupes à Maniwaki. Ce dernier cherche à prouver devant les tribunaux l’existence d’une communauté métisse historique et contemporaine en Outaouais, territoire traditionnel des Anichinabés.

Dans une décision datant d’avril 2016, le juge Pierre Dallaire de la Cour supérieure du Québec affirme qu’il serait plus facile de clouer du Jell-O sur un mur que de comprendre les allégations remarquablement vagues et insaisissables du groupe pour prouver l’existence d’une telle communauté en Outaouais.

Sébastien Malette a récemment obtenu deux bourses de 203 999 $ et de 25 000 $ du Conseil de recherche en sciences humaines (CRSH) visant à investiguer sur la présence des Métis en Nouvelle-Écosse. Ce qui a provoqué une levée de boucliers chez les Premières Nations mi'kmaw.

Savez-vous que vous financez des projets de recherche et des organisations qui ont eu leurs revendications réfutées politiquement, juridiquement et académiquement, et qui parlent ouvertement contre les Mi’kmaq [...] et portent atteinte aux peuples autochtones et à leurs droits ancestraux? écrivent des chefs mi’kmaw et le Ralliement national des Métis dans une lettre au CRSH, envoyée en décembre 2020.

Le professeur Veldon Coburn abonde dans le même sens. Il [M. Malette] utilise son argent [du CRSH] pour fabriquer de nouveaux peuples qui menacent l'existence, le titre et les droits des peuples autochtones, estime-t-il.

Le Conseil de recherche en sciences humaines affirme à Radio-Canada que la demande de subvention du professeur Mallette a été jugée administrativement admissible.

Comme c’est le cas pour d’autres recherches, nous reconnaissons que les résultats de recherche découlant de ce projet pourraient éventuellement susciter certaines controverses, ajoute une porte-parole.

Un phénomène qui touche les universités canadiennes

Ce type de débats a cours dans des universités partout au Canada. La professeure à l’Université de la Saskatchewan Carrie Bourassa, qui se disait Métisse, a récemment été mise en congé sans solde à la suite d’une enquête du réseau anglais de Radio-Canada. Elle n’avait aucun ancêtre autochtone.

L’Université Queen’s, en Ontario, a récemment décidé de lancer des consultations pour réviser notamment son processus d’embauche après que des professeurs avec des prétentions autochtones eurent été accusés de fraude identitaire.

En 2020, l’Université du Québec à Montréal avait sévi contre une chargée de cours qui se prétendait atikamekw et qui avait reçu une bourse pour étudiants autochtones.

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