L’Europe mènera-t-elle le Québec vers un assouplissement des mesures sanitaires?

Au Québec, le gouvernement a ordonné la fermeture des bars le 20 décembre. (Archives)
Photo : CBC/Evan Mitsui
Après l’Angleterre, la France et l’Ontario, le Québec pourrait-il être le prochain à lâcher du lest? Au moment où la cinquième vague semble avoir atteint un pic dans la province, le Québec peut se permettre un allègement graduel des mesures sanitaires, croient des experts.
Vivre avec le virus, ça veut dire prendre des risques. Considérant ce qui se passe ailleurs, cette ouverture serait la bienvenue
, pense Benoît Barbeau, professeur au Département des sciences biologiques de l’UQAM et spécialiste en virologie.
En Ontario, le premier ministre Doug Ford a annoncé jeudi que les salles à manger des restaurants, les gyms et les bars rouvriront à la fin janvier, mais avec un nombre limité de clients.
Au Royaume-Uni, le premier ministre britannique Boris Johnson, embourbé dans une crise politique, a quant à lui annoncé la levée prochaine de presque toutes les mesures sanitaires. Le président français devrait lui aussi annoncer un plan de déconfinement jeudi.
Selon Benoît Barbeau, la situation sanitaire actuelle au Québec permettrait au premier ministre François Legault d’emboîter le pas à ces gouvernements.
Dans les prochains jours, le gouvernement devra bouger.
La pression est d'ailleurs de plus en plus forte sur le gouvernement du Québec pour alléger les mesures sanitaires. Plusieurs industries, notamment celles de la restauration (Nouvelle fenêtre) et de la quincaillerie, haussent le ton à l'égard du gouvernement.
Trop tôt pour les hôpitaux
En conférence de presse, jeudi après-midi, François Legault a toutefois écarté un assouplissement des mesures sanitaires à court terme, en raison de la situation qui demeure critique dans les hôpitaux.
La santé publique nous recommande de ne pas faire d’autres assouplissements
, a affirmé le premier ministre. Il a précisé que son gouvernement travaille à créer une plus grande marge de manoeuvre dans le réseau hospitalier.

Le premier ministre François Legault juge que l'heure n'est pas encore venue de relâcher les mesures sanitaires.
Photo : La Presse canadienne / Graham Hughes
Maude Laberge, professeure au Département d'opérations et systèmes de décision de l'Université Laval, fait le même constat. Selon elle, le Québec ne peut pas se permettre, pour l'instant, de suivre l'exemple de la France ou du Royaume-Uni.
La France a beaucoup plus de lits hospitaliers que le Québec. Même si leur situation épidémiologique pourrait être comparable, leur système de santé n'est pas pareil et la capacité de leur système de santé n'est pas la même que celle du Québec
, nuance-t-elle.
L'influence grandissante de l'opinion publique
Reste que plusieurs commerçants et restaurateurs ont été frustrés d'apprendre que Québec n'avait pas l'intention de lever certaines mesures à court terme.
Je suis énormément déçue
, lâche Kathy Rioux, propriétaire du Café Krieghoff de Québec. Je comprends qu'on est dans une situation qui est épouvantable, sauf que nous aussi, on est dans une situation épouvantable.
Éric Montpetit, professeur au Département de science politique de l'Université de Montréal, ne serait toutefois pas surpris que des assouplissements soient annoncés bientôt. Selon lui, les gouvernements occidentaux sont de plus en plus influencés par l'opinion publique dans leur gestion de la crise sanitaire.
Les projections qui sont catastrophiques depuis quelques semaines sont de moins bons prédicteurs de la sévérité des mesures sanitaires
, observe-t-il. En revanche, l'opinion publique devient un meilleur prédicteur.
La lassitude de la population est en cause, croit-il, puisqu'au début de la pandémie, celle-ci était davantage favorable à l'imposition de mesures strictes. Un bon exemple de l'influence de l'opinion publique sur les décisions gouvernementales au Québec est la levée rapide du couvre-feu cet hiver.
Cette décision-là a été moins informée, je pense, par ces modèles [épidémiologiques] que par le ras-le-bol de la population, mais aussi une espèce d'incapacité des experts à justifier le couvre-feu, qu'on n'était pas plus capable de justifier l'hiver dernier
, explique Éric Montpetit. De toute évidence, pour le gouvernement, c'était intenable.
Protection à court terme
Même si la situation est toujours difficile dans les hôpitaux, Gaston De Serres, médecin épidémiologiste à l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ), croit que, du point de vue épidémiologique, le Québec est en bien meilleure posture qu’il ne l’était au début du mois de décembre.
Au cours des prochains jours, on devrait assister à une baisse significative du nombre de patients hospitalisés en raison de la COVID-19, estime le scientifique. Les projections de l’INESSS dévoilées jeudi laissent également entrevoir une diminution des hospitalisations d’ici les deux prochaines semaines.
Puisque les Québécois sont nombreux à avoir reçu une troisième dose ou à avoir été infectés par le variant Omicron, la population est beaucoup mieux protégée contre le virus qu’elle ne l’était avant les Fêtes, souligne Gaston De Serres.
Cette protection n’est pas efficace à long terme pour prévenir l’infection, prévient M. De Serres. Selon lui, on ne doit donc pas encore considérer la COVID-19 comme un virus endémique, contrairement à ce qu’a affirmé le premier ministre britannique.
La population a hâte, mais je pense que [le variant] Omicron a changé la donne
, croit Gaston De Serres, qui invite encore à la prudence.
Vivre avec le virus... et le risque
Benoît Barbeau, lui, croit que l'année 2022 sera marquée par une transition dans la façon dont les gouvernements affrontent le virus.
Vivre avec le virus, c’est aussi apprendre à accepter qu’il circule.
Même si le taux d’infection risque de fluctuer encore au gré des mesures sanitaires, l’expert croit justement qu’il faut tenter d’avoir de moins en moins recours à un confinement strict. Cela ne veut toutefois pas dire que les mesures sanitaires doivent toutes être levées.
Le port du masque va rester plus que jamais, je ne crois pas qu’il va disparaître
, nuance-t-il.
Quant à Gaston De Serres, il avertit qu’un relâchement trop hâtif pourrait donner un second souffle au variant Omicron et que le nombre d’hospitalisations pourrait repartir à la hausse.
Compte tenu du nombre d'individus vulnérables qu’il reste dans la population, il faut penser que si on retournait à un mode de vie sans contrainte, l'Omicron reprendrait sa course très rapidement.
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Avec les informations de Pascal Poinlane