Achetez maintenant, payez plus tard : l’envolée des plateformes de paiement différé

Les plateformes de paiement différé, comme PayBright et Afterpay, gagnent en popularité ces dernières années.
Photo : Radio-Canada / Philippe de Montigny
Les plateformes de paiement différé – comme PayBright, Afterpay et Klarna – ont connu une forte croissance durant la pandémie, si bien que des agences de réglementation et de protection des consommateurs à l’échelle mondiale enquêtent sur cette nouvelle tendance.
Autrefois réservés à des transactions plus coûteuses comme des voitures ou des meubles, ces services semblent de plus en plus populaires pour tous types d'achats, que ce soit des vêtements, du maquillage ou un nouveau MacBook.
JoAnnie Lefebvre se sert notamment des plateformes PayBright et Sezzle pour régler certaines transactions en ligne. Entre le magasinage des Fêtes et l’achat d’un nouveau manteau d’hiver, la résidente d’Ottawa affirme que ces services lui ont permis d’alléger le fardeau financier du mois dernier.
On sait tous que le mois de décembre, c'est très cher, dit-elle. On achète des cadeaux pour tout le monde, donc c'était le fun d'avoir l'option de pas nécessairement dépenser autant d'argent d'un coup et de pouvoir le répartir sur quelques semaines.

JoAnnie Lefebvre se sert de plateformes telles que PayBright pour régler des transactions en ligne.
Photo : JoAnnie Lefebvre
Une croissance phénoménale
La plateforme torontoise PayBright, qui a vu le jour en 2017, permet aux utilisateurs de régler leur facture en quelques versements sans intérêt. Après quatre ans d’existence, la jeune pousse a été avalée par la firme américaine Affirm pour 340 millions de dollars canadiens.
Wayne Pommen, qui dirige la division canadienne de l’entreprise fusionnée, a piloté la croissance du service PayBright depuis ses débuts. La plateforme compte aujourd’hui près de 9 millions d’utilisateurs à travers le monde, dont environ un million de Canadiens.
C’est une aventure vraiment amusante d’avoir été pionnier de ce marché au Canada
, lance l’homme d’affaires.
Il y a cinq ans, personne n’avait entendu parler de nous et là nous travaillons avec certains des plus grands détaillants dans le monde.
Plus de 102 000 détaillants offrent maintenant le service PayBright, y compris Apple, Samsung, La Baie, Peloton et eBay. De nouveaux partenariats avec Amazon, Walmart et Shopify amplifient également la portée de l’entreprise.

Wayne Pommen chapeaute l'évolution de la plateforme PayBright depuis son lancement en 2017.
Photo : Affirm
Selon M. Pommen, les marchands voient leurs ventes grimper lorsqu’ils offrent le paiement par versements, bien qu’ils doivent payer des frais sur chaque transaction effectuée.
Il ajoute que moins de clients abandonnent leur panier virtuel. Selon un récent sondage réalisé par Visa, environ un Canadien sur trois aurait laissé tomber un achat si l’option du paiement par versements n’avait pas été disponible.
La Compagnie de la Baie d’Hudson dit attirer de nouveaux clients depuis qu’elle offre le paiement en différé. Le panier moyen a aussi grossi de 24 %, indique son directeur du numérique, Adam Powell.
Offrir cette flexibilité grâce au paiement différé aide les clients à mieux gérer leurs achats, en particulier pour les articles plus chers
, affirme-t-il.
Ça nous aide à rester pertinents aux yeux des consommateurs.

Le magasin United Sport & Cycle, situé à Edmonton, offre depuis plus d'un an le service de paiement différé PayBright pour les achats de plus de 500 $.
Photo : United Sport & Cycle
Le magasin United Sport & Cycle à Edmonton, qui propose le service PayBright pour les achats en ligne de plus de 500 $, constate aussi une hausse de revenus.
Nous avons vu une augmentation des ventes de plus de 20 % depuis qu’on offre cette option de financement
, affirme le gérant Kelly Hodgson.
Les gens ont tendance à vouloir acheter un meilleur modèle ou de l’équipement un peu plus cher, mieux adapté à leurs besoins, ajoute-t-il. Lorsqu’on peut payer tout ça en quatre versements sans intérêt, ça va de soi.
Concurrence féroce
Un autre grand joueur, la société australienne Afterpay, compte près de 100 000 détaillants. En date du 30 juin 2021, près de 20 millions de clients avaient utilisé la plateforme en Amérique du Nord seulement.
En 2020, l’entreprise a géré des ventes totalisant 11 milliards de dollars, une hausse de 112 % par rapport à l’année précédente.

La société australienne Afterpay a discrètement lancé son service de paiement différé au Canada en août 2020.
Photo : Afterpay
La plateforme de paiement numérique PayPal s’y est aussi convertie : depuis, plus de 9 millions de personnes ont utilisé son service de paiement différé. Lors du Vendredi fou, cinq fois plus de clients ont choisi cette option comparativement à 2020.
C’est vraiment un marché en plein essor.
L’entreprise a d’ailleurs acheté la société japonaise Paidy – qui se spécialise dans les paiements par versements – pour 2,7 milliards de dollars américains, l’automne dernier.
Des compagnies de crédit ont aussi décidé d’emboîter le pas. Visa offre l’option achetez maintenant, payez plus tard
à ses détenteurs de cartes de Desjardins et de la Banque Royale, par exemple.
Attention aux dépenses excessives
Mais le concept pourrait pousser certains consommateurs à dépenser au-delà de leurs moyens, sans compter que certaines plateformes imposent des frais lorsque les paiements sont effectués en retard.
Fayza Abdallaoui, éducatrice financière et entrepreneure torontoise, indique que l’option peut être très tentante
en magasinant en ligne, mais que tenir compte de plusieurs achats avec différents échéanciers peut être compliqué.
La pente peut vite glisser, donc je m'en méfie. Il faut y aller avec l'esprit clair.
Jean-Marie Chan Kin, fondateur de Money Coach JM, abonde dans le même sens. On encourage les dépenses excessives. Tous les paiements sont dans le futur et, à moins que tu sois très discipliné, il est très difficile de gérer ça
, affirme-t-il.
Dans le cas de la plateforme PayBright, cependant, l’entreprise Affirm assure qu’elle n’impose aucune pénalité aux utilisateurs qui ne respectent pas leur plan de remboursement. Le service tentera d’abord de les aider à se remettre sur la bonne voie.
Si en fin de compte, nous ne sommes pas en mesure de recouvrer le paiement d’une facture, c'est une perte pour nous
, explique Wayne Pommen.
Au long de la dernière année, environ 1 % des sommes prêtées par Affirm à ses clients américains accusaient d’un retard d’au moins 30 jours, selon un rapport remis aux investisseurs.
C’est assez bas et facile à gérer
, affirme le porte-parole.
Afterpay, de son côté, affirme qu'environ 5 % des utilisateurs ne paient pas leurs versements à temps. Comme l'entreprise ne récolte pas d'intérêt ni de frais de retard au Canada, les défauts de paiement mènent simplement à la désactivation du compte, ce qui est suffisamment incitatif pour qu'ils budgétisent de manière appropriée
, selon une porte-parole.
Sous la loupe des régulateurs
Aux États-Unis, le Bureau de protection des consommateurs en matière financière (CFPB) enquête sur les entreprises qui offrent le paiement en différé, comme Affirm, Afterpay, Klarna et PayPal. Ces sociétés sont invitées à clarifier leurs pratiques afin que les clients soient bien informés des risques qu'ils courent.
Le directeur du CFPB, Rohit Chopra, affirme que le phénomène, qui a explosé depuis le début de la crise sanitaire, pourrait être soumis à des règles plus strictes, alors que les risques se multiplient. Le consommateur obtient le produit immédiatement, mais contracte aussi une dette immédiatement
, a-t-il déclaré dans un communiqué.
L’Agence de la consommation en matière financière du Canada, de son côté, a récemment publié une étude préliminaire (Nouvelle fenêtre) sur ces nouvelles options de paiement par versements, en sondant une soixantaine d’utilisateurs au pays. La majorité des répondants ont signalé que leur expérience a été généralement positive
.
Cependant, [ces plateformes] laissent entrevoir des risques qui nécessitent une recherche et un examen plus approfondis
, conclut l’étude. L’agence fédérale veut notamment mieux comprendre comment les Canadiens financièrement vulnérables utilisent ces services, quelles circonstances mènent à des conséquences défavorables et comment les différends sont réglés.
Des exigences liées à la communication de renseignements, aux délais de grâce minimums, aux pratiques de recouvrement de dettes et au consentement exprès pourraient également s’appliquer aux prêts que ces établissements octroient
, souligne le porte-parole Michael Toope.