Parents appelés à prêter main-forte dans les classes : les réactions fusent
Le plan de contingence pour le retour en classe au Québec, dont Radio-Canada a obtenu copie, indique que les directions d'école devront identifier des personnes-ressources, comme des « parents volontaires », pour pouvoir prendre le relais en cas de manque de personnel enseignant ou de remplaçants. Les réactions à plusieurs mesures de ce plan sont nombreuses et critiques dans le milieu scolaire.

Le retour en classe au primaire et au secondaire est prévu pour le 17 janvier au Québec.
Photo : Associated Press / LAURENT GILLIERON
« C'est du jamais-vu! » Nicolas Prévost, président de la Fédération québécoise des directions d'établissement d'enseignement (FQDE), a été assez surpris, lors de la rencontre préparatoire de différents acteurs du milieu de l'éducation avec des représentants du ministère, hier, d'apprendre que le gouvernement était prêt à aller aussi loin que de permettre à des parents de faire de la surveillance en classe.
Toutefois, l'ampleur de la pénurie de personnel que le milieu éducatif connaît présentement le justifie peut-être, selon lui.
Le document de neuf pages n'a pas encore été diffusé largement au sein du réseau scolaire. On peut y lire que le contexte pandémique actuel fait en sorte qu'un très grand nombre de salariés [du réseau scolaire] devront s'isoler quelques jours dans les prochaines semaines
.
Nicolas Prévost confirme d'ailleurs que les taux d'absentéisme et la pénurie de personnel dans les écoles grimpent à des niveaux jamais atteints auparavant
.
Puisque la nouvelle recommandation de la santé publique sur la gestion des cas et des contacts vise à éviter les fermetures de classes et d'écoles afin de garder les élèves présents à l'école, le ministère de l'Éducation prévoit donc un plan de contingence qui permettra d’éviter le pire et de poursuivre l’obligation de service aux élèves du Québec
.
Ce plan sera déployé lorsque les mécanismes de remplacement prévus aux conventions collectives seront épuisés, précise-t-on.

Le ministre québécois de l'Éducation, Jean-François Roberge
Photo : La Presse canadienne / Ryan Remiorz
Les directions d'école sont invitées à identifier des personnes-ressources à l'intérieur de l'école qui sont disponibles pour prêter main-forte au personnel d'enseignement, au cas où un enseignant doit quitter sa classe pour s'isoler. Il pourrait s'agir de personnel de soutien ou d'étudiants dans un programme d’enseignement (ou connexe à ce domaine).
Les établissements scolaires doivent également, en vertu de ces directives ministérielles, identifier des personnes-ressources à l'extérieur de l'école.
Apparaît ici la possibilité d'avoir recours à des organismes externes comme Alloprof ou encore à des parents volontaires aptes à soutenir les élèves en classe dans leurs apprentissages durant l’absence physique de l’enseignant
.
Les qualifications de la personne seront analysées avant de lui confier des responsabilités qui soient davantage du ressort de la surveillance d'un groupe ou encore de l'enseignement.
Appelées à remplacer des enseignants, les personnes-ressources externes ne seront pas soumises à la Loi sur la laïcité de l'État, qui interdit aux employés de l'État en situation d'autorité de porter des signes religieux en milieu de travail.
Une solution moins qu'idéale
qui fait réagir
Nicolas Prévost se dit prêt à ce que ses membres aient recours à des parents volontaires pour surveiller des classes s'il le faut
. Il évoque comme scénario possible qu'un parent assure la surveillance d'un groupe pendant qu'un enseignant, faiblement malade mais isolé chez lui, assure à distance un enseignement aux élèves en classe.

Nicolas Prévost est président de la Fédération québécoise des directions d'établissement d'enseignement.
Photo : Radio-Canada
On va le faire si ça nous permet la poursuite des services éducatifs. Mais est-ce que c'est idéal? Clairement, non. On commence à étirer l'élastique loin, très loin!
Même si, en point de presse jeudi après-midi, le ministre de l'Éducation Jean-François Roberge a bien précisé que le recours à des parents se ferait en dernier recours et de manière temporaire, la Fédération autonome de l'enseignement (FAE), elle, estime qu'ouvrir cette porte trahit l'échec de la stratégie gouvernementale pour limiter la propagation du virus dans les écoles primaires et secondaires, qui rouvriront lundi.
Être parent, c’est pas être enseignant, et être enseignant, c’est pas être parent
, lance son président, Sylvain Mallette. Ça pose un problème sérieux sur la qualification des gens à qui on va confier des responsabilités qui, normalement, relèvent des enseignants.
Sylvain Martel, du Regroupement des comités de parents autonomes du Québec, réitère de son côté que les parents sont soulagés du retour en classe et ajoute qu'il est content de connaître enfin les intentions de Québec. C’est un plan qui met les choses au clair, dit-il. C'est agréable qu’on nous dise les vraies choses. Qu'on soit rendus là, c'est triste, mais c'est la réalité, et on est capables de vivre avec ça.
Si on a besoin de parents pour prêter main-forte, ils vont comme d'habitude répondre à l'appel.
Si les enfants se retrouvent à répétition dans une situation où les services éducatifs ne peuvent pas être rendus par du personnel qualifié, il faudra toutefois que leur niveau de progression et d'apprentissage soit évalué pour s'assurer de les amener là où ils devraient être à la fin de l’année
, réclame le représentant des parents.

Sylvain Martel, porte-parole du Regroupement des comités de parents autonomes du Québec
Photo : Radio-Canada
Priorisation des services et réorganisation scolaire permise
Le plan de contingence du gouvernement demande également que les directions d'école et les centres de services scolaires identifient des clientèles à soutenir en priorité, par exemple les élèves handicapés ou en difficulté d'adaptation ou d'apprentissage, ou encore les élèves de certains cycles.
On leur exige aussi de réaliser une analyse de faisabilité pour une organisation scolaire différente
. On envisage ainsi, par exemple, qu'un enseignant puisse s'occuper de plus d'un groupe d'élèves, avec l'aide d'une autre ressource. Du côté des services de garde, on évoque la possibilité de restreindre l'offre de services en réduisant leurs heures d'ouverture et le soutien de clientèles prioritaires.
Le document enjoint également aux directions d'école d'identifier des services dits complémentaires, par exemple ceux d’orthophonistes ou de soutien pédagogique, qui pourraient être suspendus temporairement dans le but de procéder à un éventuel délestage.
Nicolas Prévost, de la FQDE, y voit certains avantages, dont celui d'avoir des coudées plus franches. D'avoir une certaine marge de manœuvre pour l'organisation scolaire, c'est une bonne chose pour les direction d'école, dit-il. Parce qu'on prévoit déjà devoir le faire à la lumière de la situation actuelle.
Un plan de délestage
comme en santé, selon plusieurs
Voilà un plan de contingence qui fait beaucoup penser à un plan de délestage comme ceux qu'on voit actuellement se déployer dans le réseau de la santé, selon Nicolas Prévost.
Pourtant, questionné en conférence de presse à ce sujet, le ministre Roberge a refusé de parler de délestage
, ce qui fâche Sylvain Mallette, de la FAE.

Sylvain Mallette, président de la FAE
Photo : Radio-Canada / Coralie Mensa
C’est bel et bien un plan de délestage, et quiconque essaie de faire la démonstration du contraire cherche à camoufler la réalité.
Ce dernier déplore que ce plan vise à délester certains services auxquels ont accès des enfants parfois vulnérables parce que, selon lui, le gouvernement a fait le choix de laisser les classes ouvertes coûte que coûte
.
Les grandes centrales syndicales très critiques
Par voie de communiqué, la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ) s'est dite inquiète et sceptique
relativement à ce plan de contingence. La FTQ dit craindre que ce dernier provoque une gestion improvisée
qui placerait des élèves et le personnel dans des situations inacceptables
.
La Centrale des syndicats du Québec (CSQ), de son côté, déplore l'improvisation d'un plan de dernière minute
qui viendra changer du tout au tout l'approche du gouvernement dans la gestion des cas dans les écoles. Des changements qui, selon la CSQ, se feront sur le dos du personnel de l’éducation
Quand on voit les mesures mises de l’avant par le gouvernement, on se demande si l’école ne serait pas devenue une garderie plutôt qu’un milieu de vie au service des apprentissages
, déclare Josée Scalabrini, présidente de la FSE-CSQ.