Le tunnel Québec-Lévis « à la limite » du réalisable
L'ingénieur Bruno Massicotte croit qu'un pont serait plus approprié et moins risqué.

Le tunnel sera aménagé sur deux étages avec un total de six voies de circulation, dont deux réservées au transport en commun.
Photo : Gouvernement du Québec
Avec ses 6 voies sur 2 niveaux, ses 8 kilomètres de long et ses presque 20 mètres de diamètre, le tunnel Québec-Lévis mis de l’avant par le gouvernement Legault est « à la la limite de ce qui est techniquement réalisable », selon l'ingénieur Bruno Massicotte. Ce dernier craint un gouffre financier et invite l’État à « repenser le projet » de fond en comble.
Bruno Massicotte connaît bien le dossier.
Il avait été mandaté par le précédent gouvernement libéral afin d’évaluer la faisabilité ainsi que les coûts d’un troisième lien entre Québec et Lévis. Il avait analysé en 2016 la possibilité de construire un tunnel à la pointe ouest de l’île d’Orléans. Le coût de construction estimé était de 4 milliards de dollars. Il recommandait cependant au gouvernement de faire des études plus approfondies, qualifiant son travail de préliminaire
.
Cinq ans plus tard, des voyants se sont allumés sur son tableau de bord après la présentation de la présente mouture du troisième lien, estimée au bas mot à 7 milliards de dollars.
Sans remettre en question la pertinence d’un nouveau lien entre les deux rives de la région, surtout que les ponts Pierre-Laporte et de Québec sont vieillissants, l’ingénieur n’est plus convaincu de la pertinence d’un tunnel, et encore moins du tracé choisi.

Une capture d'écran de la vidéo de présentation du projet de 3e lien.
Photo : Gouvernement du Québec
Les projets de tunnels viennent en effet avec un haut niveau d’incertitude en raison principalement de la nature des sols, en partie inconnue. Il n’est pas rare que ce genre de projet voie son échéancier prolongé et engendre des dépassements de coûts importants
, écrit-il dans une lettre ouverte dont Radio-Canada a obtenu copie.
« Très peu d’entreprises de construction dans le monde sont présentement en mesure de réaliser pareil ouvrage et aucune ne s’aventurera dans un tel projet sans avoir la garantie que le propriétaire absorbera les dépassements budgétaires associés aux imprévus. »
L’actuel projet sur la table à Québec repose selon lui sur des technologies qui n’ont pas été éprouvées suffisamment à travers le monde. Dès qu’on est à la limite de ce qui est fait en technologie, ça coûte toujours plus cher
, soutient-il lors d’une entrevue accordée à Radio-Canada.
Peu de gains de fluidité
M. Massicotte n’est pas non plus convaincu par le choix du tracé. En faisant sortir le tunnel sur l’autoroute Laurentienne, près de la rue Soumande, l’expert n’entrevoit aucune amélioration à la fluidité de la circulation automobile.
Les automobilistes en provenance de la rive sud vont selon lui se retrouver directement au carrefour des autoroutes Laurentienne et Félix-Leclerc, surchargé en permanence
. Au niveau de la fluidité additionnelle qu’amènerait le tunnel, ce gain-là est minime, et même selon moi probablement nul.
Dans le contexte, les résidents de Québec qui empruntent ce tronçon quotidiennement, sans nécessairement avoir à prendre le tunnel, paieraient le prix fort. Ce sont eux qui subiront les contrecoups [...] sans en tirer de bénéfices tangibles. [...] La proposition actuelle constitue un choix que l’on devrait remettre en question
, affirme aussi M. Massicotte dans sa lettre.
Au-delà des coûts et des faibles gains de fluidité, il note également des lacunes concernant les normes de sécurité de l’infrastructure mises de l’avant par le gouvernement Legault. Plutôt qu’un seul tube, l’ingénieur estime que deux tubes parallèles seraient davantage appropriés.
Les usagers doivent avoir accès à des issues de secours menant à des corridors protégés et ventilés. Les services d’urgence doivent aussi pouvoir accéder rapidement au site de l’accident. Pareilles conditions seront difficiles à mettre en place pour un tunnel à six voies de circulation sur deux niveaux. Un double tunnel avec des interconnexions régulières serait sans doute préférable
, explique-t-il.
Mieux vaut un pont
Bruno Massicotte le répète : sa sortie ne vise pas à tuer le projet, mais bien à le repenser. La création d’un lien routier additionnel ne doit donc pas être écartée, surtout dans un contexte de développement durable où la fermeture prolongée de l’un des ouvrages existants entraînerait des répercussions désastreuses sur les plans économique et environnemental
, dit-il.
À son avis, le troisième lien, dans sa forme actuelle, devrait être scindé en deux.
Il propose d’une part la construction d’une connexion de centre-ville à centre-ville, réservée au transport collectif. Pour la portion autoroutière, son choix s’arrêterait sur la construction d’un pont. Le scénario idéal serait à son avis de le construire à côté des deux ponts déjà en place. Il y voit une occasion de limiter l'étalement urbain et de profiter des infrastructures routières qui s'y trouvent, lesquelles devront toutefois être réaménagées.
Il mentionne au passage deux autres tracés passés potentiels. Le premier serait à la pointe de l'île d'Orléans, soit le premier tracé retenu par le ministre Bonnardel. Ce tracé obligerait la construction d'un pont très long et plus coûteux
, selon M. Massicotte, mais présenterait des avantages pour le transport commercial.
Une seconde option serait à l'ouest de Cap-Rouge, laquelle provoquerait cependant des perturbations en milieu agricole.
Pour lire la lettre de Bruno Massicotte :
Repenser le 3e lien Québec-Lévis by Radio-Canada on Scribd