Suicide en prison : une coroner formule 26 recommandations pour le Québec

Le Québec est l'endroit au Canada où les suicides en prison sont les plus fréquents.
Photo : La Presse canadienne
Après avoir analysé les dossiers de cinq détenus qui se sont enlevé la vie dans un établissement de détention du Québec, une coroner affirme que « des drapeaux rouges étaient présents pour chacune des situations ». Le ministère de la Sécurité publique est prié de mettre en place pas moins de 26 recommandations pour atténuer le fléau du suicide en prison.
Ouvrir des postes de psychologue dans les prisons provinciales; attirer des employés spécifiquement à l’évaluation du risque suicidaire; augmenter le nombre d’activités offertes aux personnes purgeant des peines de moins de six mois.
Ces recommandations et plusieurs autres figurent dans un rapport de 44 pages déposé en décembre dernier par la coroner Karine Spénard, au terme d’une enquête publique ayant nécessité la tenue d’audiences en novembre 2020 et mars 2021.
Bien que Me Spénard n’ait analysé que cinq suicides survenus dans des établissements de détention du Québec entre 2017 et 2019, alors qu'il y en a beaucoup plus, la coroner précise dès les premières lignes de son rapport qu’il s’agit d’un sérieux problème dans la province.
D’ailleurs, Radio-Canada publiait l’année dernière une enquête démontrant que le Québec est l’endroit au Canada où le plus de personnes incarcérées s’enlèvent la vie et que plusieurs éléments défaillants du système de détention provincial contribuent à perpétuer le problème.
Évaluer les risques
Des éléments identifiés dans notre enquête se retrouvent d’ailleurs dans le rapport de la coroner Spénard, notamment les limites des outils utilisés pour dépister le risque suicidaire des détenus et l’absence de psychologues dans les prisons provinciales.
Dans les cinq décès examinés au cours des journées d’audience, des drapeaux rouges étaient présents pour chacune des situations. Plusieurs signes alarmants ont été ignorés, ou encore oubliés ou simplement omis
, écrit la coroner dans son rapport.
« À mon avis, plusieurs éléments auraient dû attirer l’attention du personnel des établissements de détention pour mettre en place des mesures appropriées. »
Parmi les recommandations adressées au ministère de la Sécurité publique, la coroner propose notamment que tous les agents correctionnels soient formés en prévention du suicide et qu’ils fassent partie d’une équipe d’intervention spécialisée ou non.
Elle recommande aussi que des formations de rappel en matière de prévention du suicide soient offertes sur une base annuelle dans les établissements de détention du Québec.
En outre, Me Spénard propose qu’une personne incarcérée soit réévaluée pour son risque suicidaire après avoir comparu en cour compte tenu des changements qui peuvent survenir après une telle étape
.
La ministre de la Sécurité publique, Geneviève Guilbault, n’a pas souhaité commenter le rapport de Me Spénard. Au moment d’écrire ces lignes, son ministère n’avait pas encore répondu à nos questions.
Un rapport qui ne fait que répéter
Jean-Claude Bernheim, qui a pris part à l’enquête de la coroner à titre de témoin expert, se dit déçu
du contenu du rapport, qui ne fait que répéter ce qui a été dit antérieurement
.
Selon M. Bernheim, qui s’intéresse au phénomène des suicides en prison depuis des décennies, les recommandations de Me Spénard sont surtout d’ordre technique
et échouent à prendre en considération la réalité dans laquelle se trouvent les personnes incarcérées
.
La coroner soulève des questions de fond, des questions réelles, mais pour ce qui est des suites à donner, c'est là que se trouve le bât qui blesse
, résume M. Bernheim.
« Les recommandations [...] sont formulées d'une manière tellement peu incitative qu'on peut penser que la situation va perdurer telle qu'elle est et que les choses, au bout du compte, ne changeront pas. »
M. Bernheim rappelle que les personnes incarcérées sont jusqu’à sept fois plus susceptibles de s’enlever la vie que le reste de la population, d’après diverses études.
Il y a des explications. Il y a des causes. On sait qu'effectivement, les gens qui se retrouvent en prison ont des problèmes psychologiques, ont des problèmes d'insertion sociale. Si on sait que ces gens-là ont ce type de problème, comment se fait-il que rien n'est fait pour essayer de les aborder?
, demande-t-il.
Manque d’audace
M. Bernheim réaffirme que la majorité des peines purgées dans les prisons provinciales sont très courtes et concernent des petits délits. Or, peu de ressources sont déployées pour favoriser la réinsertion sociale des individus incarcérés pour moins de six mois.
Il déplore que Me Spénard n’ait proposé aucune échéance au ministère de la Sécurité publique pour mettre en œuvre ses 26 recommandations.
Par exemple, bien que la coroner demande que les infirmeries des établissements de détention de Montréal et de Québec cessent d’être sous l’égide de la Sécurité publique et soient transférées au ministère de la Santé et des Services sociaux, elle ne suggère aucun délai pour que ce changement se concrétise.
Elle aurait dû avoir l'audace de donner une date butoir
, tonne M. Bernheim, qui craint que le Québec se retrouve à nouveau face aux mêmes débats dans quelques années.
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