La Chine bouge, l’Occident ne sait plus sur quel pied danser

Des interprètes portant des uniformes militaires participent à une représentation pour célébrer le centième anniversaire de la fondation du Parti communiste chinois, à Pékin, le 28 juin 2021.
Photo : Getty Images / NOEL CELIS
Prenez note que cet article publié en 2021 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Pékin affirme sa puissance économique et militaire de façon chaque fois plus marquée. Les dirigeants chinois ne se gênent pas pour menacer ceux qui osent leur tenir tête, alors que les craintes d’une invasion de Taïwan augmentent. Quelles options pour les pays occidentaux face à cette Chine conquérante?
Une mobilisation plus agressive
Elbridge Colby a été sous-secrétaire adjoint à la Défense pour la stratégie et le développement des forces sous l’administration Trump (2017-2018). Il s’inquiète de l’influence grandissante de la Chine. L'objectif de la Chine est de devenir un hégémon, à tout le moins en Asie, et comme l'Asie représentera bientôt plus de 50 % du marché mondial, si elle atteint l'hégémonie en Asie, elle sera dominante dans le monde entier,
affirme-t-il.
« Ce n’est pas simplement de l’ordre du possible, c’est plutôt hautement probable, à moins que nous prenions des mesures pour l'éviter. »
Militairement, cependant, les Chinois ne sont pas près de rattraper les Américains. Leur budget militaire (252 milliards de dollars américains) est le deuxième du monde, mais loin derrière celui des États-Unis (778 milliards).
Les Américains ont une avance qualitative et quantitative très significative en matière de matériel militaire
, croit Marc Julienne, chercheur, responsable des activités Chine au Centre Asie de l'Institut français des relations internationales (IFRI). Pékin fait toutefois du rattrapage accéléré. Les Chinois sont en train de construire un troisième porte-avions et disposent d’un impressionnant arsenal de missiles balistiques.
La menace est-elle réelle?
Washington en rajoute sans doute un peu afin de justifier sa politique envers Pékin, souligne Marc Julienne. De l’autre côté, la Chine le fait aussi, en tenant un discours de puissance dans lequel elle répète à qui veut l'entendre qu'elle est une grande puissance et qu'elle est en mesure de faire face à toute provocation, y compris sur le plan militaire
, souligne le chercheur.
Si l’Occident veut empêcher la Chine de dominer la région, ce qu’elle tenterait actuellement de faire, il doit agir rapidement en collaborant avec des alliés régionaux tels que l’Inde, le Vietnam, la Corée du Sud et le Japon, pour établir un meilleur rapport de force, estime M. Colby. Actuellement, on parle beaucoup, mais on agit peu, déplore-t-il.
« On fait bien des déclarations sur la Chine, mais en réalité, notre position militaire est figée. Il y a plus de paroles que d’actions. »
Les États-Unis devraient réduire au minimum leur présence militaire au Moyen-Orient et en Europe afin de se concentrer sur l’Asie, croit-il, tout en poussant les Japonais et les Taïwanais à augmenter leur propre budget de défense. Ce sont des choses que nous avons dit que nous allions faire, mais qui ne se produisent pas.
Masser des troupes américaines dans la région ne risque-t-il pas, au contraire, de provoquer Pékin?
Fort possible, pense Marc Julienne, responsable des activités Chine au Centre Asie de l'IFRI. L'émergence militaire et l'assurance stratégique de la Chine sont très préoccupantes. En revanche, je ne sais pas si la meilleure manière d’y répondre est une surenchère, notamment militaire.
Est-ce que la méthode américaine est la bonne, dans le sens où elle va permettre de rétablir un équilibre stratégique favorable aux États-Unis et de faire reculer la Chine dans ses ambitions et ses objectifs? J’ai peur, au contraire, que cela pousse la Chine à augmenter son développement militaire et à affirmer encore un peu plus sa puissance et sa coercition sur ses voisins.
« Sur la vision de la Chine, on peut assez facilement tomber d'accord. Mais sur la méthode à employer, je ne suis pas sûr du tout. »
Une vraie coalition
Il faut parler aux voisins de la Chine pour exercer une pression politique dans le cadre de partenariats et d’organisations internationales, prône M. Julienne. Tout le contraire de ce qui a été fait avec AUKUS (une alliance entre l’Australie, le Royaume-Uni et les États-Unis), un pacte négocié secrètement au nez et à la barbe des alliés
qui risque de fragiliser les alliances existantes, dont l'OTAN, croit le chercheur.
Le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, a parlé d’un coup de poignard dans le dos
en référence à ce partenariat, qui implique le partage d’intelligence artificielle, de capacités cybernétiques et de technologies quantiques.
Outre la France, qui a perdu un contrat de sous-marins de près de 84 milliards de dollars, les pays de la région, comme l’Indonésie, les Philippines, Singapour, la Malaisie, mais aussi le Japon et la Corée du Sud, auraient dû être au courant avant l’annonce, estime-t-il.
« C'est un drôle de signal envoyé aux alliés des États-Unis, dont ils ont besoin dans la région indo-pacifique. »
M. Julienne préconise plutôt une approche qui prend en compte la réalité de ces pays, très dépendants de la Chine sur le plan économique. Ils ne veulent pas avoir un choix de guerre froide entre la Chine et les États-Unis, puisqu'ils ont besoin de commercer avec la Chine et ont besoin des États-Unis comme partenaire de sécurité. Or on a le sentiment que l'approche américaine est un jeu à somme nulle : vous êtes avec nous ou contre nous.
La stratégie européenne, présentée cet automne, prend en compte les enjeux économiques, la gestion du changement climatique et les questions environnementales, pas seulement les aspects militaire et sécuritaire, avance M. Julienne.
« C'est une vision qui repose sur la paix, la coopération et le dialogue. Elle ne doit pas être naïve, mais elle est inclusive, c'est-à-dire qu’elle n'est pas fermée à la Chine. »
Quel rôle pour le Canada?
Elbridge Colby s’étonne de ne pas voir le Canada jouer un rôle plus important dans la lutte contre l’hégémonie chinoise.
Si vous regardez les Five Eyes [Alliance des Cinq yeux, qui inclut les États-Unis, le Canada, le Royaume-Uni, l’Australie et la Nouvelle-Zélande], vous verrez que le Royaume-Uni et l'Australie sont très actifs, alors que du côté du Canada, il ne se passe pas grand-chose
, note-t-il.
Le Canada a pourtant dû se frotter aux façons de faire chinoises avec la détention arbitraire, en 2018, de Michael Kovrig et de Michael Spavor, emprisonnés en Chine après l’arrestation au Canada de Meng Wanzhou, directrice financière du géant chinois des télécoms Huawei, à la demande des autorités américaines.
Étant donné les engagements passés du Canada, son silence dans ce dossier est frappant
, croit l’analyste. Il garde espoir que le pays s’engagera plus résolument dans la défense de nos intérêts
.
« Si les États-Unis craignent la Chine, le Canada devrait certainement en avoir peur aussi. »
Le gouvernement libéral n’a pas encore fixé sa stratégie Asie-Pacifique, promise lors de la campagne électorale et attendue impatiemment par plusieurs secteurs.