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À l’ère de la décarbonisation, quel avenir énergétique pour l’Ontario?

Dans les cinq prochaines années, la province prévoit tripler ses émissions de gaz à effet de serre dues à la production d'électricité.

La ville de Toronto illuminée, de nuit.

Toronto ne dort jamais. Les lumières de la ville sont visibles depuis le ciel toutes les nuits.

Photo : La Presse canadienne / Mark Blinch

En 2004, l'Ontario se targuait d’être le premier gouvernement nord-américain à éliminer la production d'électricité au moyen du charbon. Aujourd’hui, son gouvernement mise sur le gaz naturel pour combler les futurs besoins énergétiques. Dans la province la plus peuplée du Canada, le chemin vers une énergie propre apparaît plus cahoteux que jamais.

C’est l’injonction commune des années 2020 : la crise climatique impose d’en finir avec les énergies fossiles (charbon, pétrole, gaz). Pour y parvenir, il faudrait réduire la consommation générale d’énergie – une gageure quand la population est amenée à croître – mais aussi électrifier tout ce qui peut l’être.

Entre les efforts de décarbonisation et l’accroissement anticipé de la population, la tendance est claire : la consommation en électricité de demain sera bien plus gourmande qu’aujourd’hui.

Dans le scénario le plus frugal, la demande de l'Ontario augmenterait de 33 % sur les deux prochaines décennies. Mais elle pourrait croître jusqu’à 50 % de plus qu’aujourd’hui en raison des besoins industriels, décrit David Devereaux, directeur principal à la Société indépendante d’exploitation du réseau d’électricité (SIERE) de la province.

Complètement hors champ, la décroissance n’a même pas été envisagée dans les projections des experts. Quand nous considérons une utilisation plus efficace de l'énergie, nous pensons que cela tempérerait la croissance, mais nous ne voyons pas de réduction réelle de la demande à ce stade, justifie-t-il.

La prospérité du secteur agricole, dans le Sud-Ouest de l’Ontario, le développement des serres et celui des mines dans le nord, mais aussi l’électrification des transports contribueront à faire augmenter la demande énergétique bien plus que ce à quoi nous nous attendions en 2020, reconnaît M. Devereaux.

La démolition de la centrale de Nanticoke, dont une cheminée chute dans un nuage de fumée.

L'ancienne centrale électrique de Nanticoke a été démolie en 2018 après avoir produit de l'électricité pour l'Ontario depuis 1973. Elle a été la plus grosse centrale thermique au charbon en Amérique du Nord.

Photo : La Presse canadienne / Peter Power

Ces estimations sont tirées d’un rapport annuel publié en décembre, sorte de pronostic de la situation énergétique de demain où les courbes cambrées de mégawattheure (MWh), l’unité de mesure de base, se plient aux projections d’offre et de demande jusqu’en 2042.

Plusieurs indicateurs du rapport sont au rouge : pour éviter d’être plongés dans le noir, de nouvelles capacités de production seront nécessaires pour répondre aux attentes énergétiques toujours plus fortes.

Il y a un an, on était pourtant loin d’imaginer une reprise économique aussi rapide, comme en témoignent les projections de décembre 2020. Elles prévoyaient alors une augmentation moyenne d'environ 1 % par an de la demande énergétique dans les deux prochaines décennies. Aujourd'hui, les évaluations misent plutôt sur 1,7 %.

En route vers l’électrique?

Une chose est sûre : la transition vers les véhicules électriques accentuera la pression sur le réseau de la province.

C’est un énorme changement qui se dessine dans un avenir relativement proche, prévient Jean-Thomas Bernard, professeur associé en économie de l’énergie à l’Université d’Ottawa. Proche, parce qu’à partir de 2035 on ne pourra plus acheter en Ontario de véhicules neufs à essence, ni ailleurs au Canada ou en Europe.

Comme les véhicules légers demeurent en circulation pendant environ quinze ans, en exigeant que tous les véhicules soient zéro émission d’ici 2035, le Canada anticipe de pouvoir atteindre la carboneutralité d’ici 2050.

Si la mesure doit contribuer à répondre aux objectifs environnementaux, elle peine encore à convaincre les acheteurs automobiles. En 2020, seulement 1,8 % des véhicules neufs immatriculés en Ontario étaient des véhicules à émission zéro (VEZ), selon Statistiques Canada, un chiffre en baisse par rapport aux 2,05 % de 2018.

Le ministère des Transports ontarien préfère rester optimiste. Il prévoit que, d’ici 2030, une automobile vendue sur trois sera électrique.

Il a même récemment mis sur pied un Conseil de l’électrification des transports dans le but de stimuler l’adoption des VE dans toute la province pour un usage personnel, commercial et de transport en commun. Opération de séduction en cours, donc.

Une conductrice cherche ses clés devant des bornes de recharge électrique.

En octobre 2021, 66 757 véhicules électriques étaient immatriculés en Ontario.

Photo : La Presse canadienne / Frank Gunn

Autre preuve que les Ontariens résistent encore à prendre le virage électrique : les stations de recharge restent très inférieures en Ontario (1708) par rapport au Québec (2988). Des bornes devraient fleurir de plus en plus au bord des routes afin que, dans un avenir très proche, cela ne soit plus un problème, a assuré le ministre de l'Environnement Steven Guilbeault.

Dans les usines de production automobile, la transition énergétique se prend aussi avec prudence. Le premier ministre Doug Ford a récemment annoncé qu’il comptait encourager la production de 400 000 véhicules électriques et hybrides, en Ontario d’ici 2030... une broutille quand on sait que la province a produit plus de 1,8 million de véhicules neufs pour l’année 2019.

Au cours des 20 dernières années, la production automobile en Ontario a décliné du quart, en se déplaçant vers des cieux plus concurrentiels, le sud des États-Unis et le Mexique. Le gouvernement Ford continue d'investir des millions de dollars pour tenter de se repositionner sur le marché. Le plan s'intitule Piloter la prospérité, avec 56,4 millions de dollars pour aider à faire décoller ce secteur.

Malgré tout, la démocratisation de l'innovation automobile semble avancer au ralenti. Sur la base des coûts de production, le véhicule électrique n’est pas encore accessible à monsieur Tout-le-Monde, relève le professeur d’économie Jean-Thomas Bernard, et ce, en dépit des primes fédérales pour encourager l’achat d’un véhicule électrique avec un coup de pouce d’au plus 5000 $.

Nouveau sursaut du gaz naturel

En prévision de la transition énergétique et du boom électrique, c’est surtout l’entrée dans la décennie 2030 qui risque de poser problème au réseau ontarien actuel, selon le plus récent rapport énergétique de la province (Nouvelle fenêtre).

Face à la demande croissante d’électricité, l’Ontario anticipe de se tourner vers le gaz naturel pour répondre, à court et moyen terme, aux besoins énergétiques de la province. À l’origine de ce revirement : la fermeture de la centrale nucléaire de Pickering d’ici début 2026 et la réfection des autres réacteurs.

La centrale nucléaire de Pickering.

La centrale nucléaire de Pickering a été mise en service en 1971.

Photo : La Presse canadienne / Darren Calabrese

L'Ontario a tout fait pour tenter de repousser cette fermeture au-delà de la date prévue en 2024. L'enjeu est de taille. La production en électricité de la centrale répond aux besoins d’une ville de 1,5 million d’habitants. À moyen terme, la province n'a pas d'autre choix que d'augmenter sa production de gaz naturel, selon la SIERE.

La province appuie déjà 28 projets d’accès au gaz naturel. Peu convaincues de cette politique énergétique, une trentaine de municipalités demandent plutôt l'élimination progressive de la production au gaz naturel, lequel sert principalement à chauffer les maisons et les bâtiments.

Impossible, répond la SIERE en vantant ses avantages : en tant que ressource très flexible, le gaz fournit de l'énergie au moment où l'on en a le plus besoin [...].

Dans une réponse envoyée à Radio-Canada, le ministre de l'Énergie Todd Smith justifie le choix du gaz naturel par une étude démontrant clairement qu'un retrait progressif de la production de gaz sans période de préparation adéquate ajouterait environ 100 $ par mois à la facture résidentielle moyenne d'ici 2030.

« Les répercussions importantes sur l'accessibilité financière et la fiabilité sont inacceptables pour le gouvernement, car elles n'affecteraient pas seulement les consommateurs actuels, mais entraveraient d'autres mesures progressives de réduction des émissions, comme la décarbonisation et l'électrification. »

— Une citation de  Todd Smith, ministre de l'Énergie

De son côté, la SIERE prévoit que la dépendance croissante à l'égard du gaz naturel se traduira inéluctablement par une augmentation des émissions de GES, et c'est l'un de nos défis, reconnaît l'organisme.

C'est ici que les impacts environnementaux ressortent nettement. Son rapport évalue que les émissions de GES du secteur électrique devraient tripler dans les cinq prochaines années et être supérieures de 500 % en 2042.

C'est une conversation que nous encourageons, [...] difficile à avoir, et ça pose beaucoup de questions, reconnaît M. Devereaux.

Autre paramètre non négligeable, la tarification du carbone à laquelle est soumise l'Ontario pourrait faire grimper encore plus le coût de la production au gaz.

Aberration environnementale

Pour Dianne Saxe, ancienne commissaire à l'environnement de l'Ontario, le gouvernement Ford laisse le CO2 envahir l’atmosphère comme une baignoire se remplit d’eau. À contre-courant des efforts collectifs à mener.

Ce que disent ces projections, c'est que nous allons être une province sale, avec de l'électricité sale, incapables de nous passer des combustibles fossiles. Pas le profil idéal pour attirer un investisseur international digne de confiance, se désole la cheffe adjointe du Parti vert de l'Ontario.

Des aciéries polluantes de Hamilton au bord de l'eau.

L'Ontario a soutenu, en vain, que la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre était anticonstitutionnelle.

Photo : La Presse canadienne / Nathan Denette

Pierre-Olivier Pineau, expert en politiques énergétiques et professeur à HEC Montréal, abonde dans le même sens. C’est un plan assez conservateur, pas fait pour être compatible avec une décarbonation de type 2050 de l’économie ontarienne. Selon lui, les institutions ne sont pas conçues pour gérer une transformation en profondeur comme celle qui s’impose pour endiguer la hausse des températures.

Preuve que ce retour au gaz naturel passe mal même au sein du gouvernement Ford, le ministre de l'Énergie a commandé à l’organisme SIERE une étude sur ce à quoi ressemblerait le système énergétique sans les centrales au gaz. Rendez-vous est pris pour la remise du rapport, dans un an exactement.

Nous choisissons les moins chers

Pourquoi ne pas se tourner vers le Québec, puisqu'il existe déjà des échanges d'hydroélectricité entre les deux provinces, suggère Pierre-Olivier Pineau. Si le gouvernement ontarien était à l’écoute de ce qui se passe, il aurait réalisé que New York vient de signer un contrat d’approvisionnement de plus de 10 TWh avec Hydro-Québec.

Voilà un exemple à suivre d’interconnexion entre voisins, fait-il valoir, mais l’Ontario semble refuser cette approche-là, et même minimalement ne pas l’étudier. Pourtant, l’intégration régionale s'avère une solution importante aux difficultés de décarboner l’électricité, poursuit-il, car les complémentarités entre régions permettent de pallier l’intermittence des sources éoliennes et solaires.

L'éolienne est proche d'une grange.

Éolienne dans un champ à Chatham-Kent en Ontario

Photo : Radio-Canada / Nicolas Pham

Du côté de la SIERE, on préfère recourir à un système de vente aux enchères de capacités d'énergie. Nous choisissons ainsi les moins chers, explique David Devereaux.

À la dernière vente d'énergie, les compagnies les plus offrantes se sont partagé 1286 MW pour l'été 2022 et près de 841 MW pour la période d'hiver 2022/23.

Le retour du nucléaire

Dans la lutte contre le réchauffement climatique, la solution pourrait bien passer par une revalorisation du nucléaire.

C'est, en tout cas, ce que suggère fortement l'accord récent d'un milliard de dollars entre Hitachi Nuclear Energy (GEH) et BWXT Canada. Un milliard pour lancer une production ontarienne de composants de petits réacteurs nucléaires (SMR).

Présentée comme la première grande possibilité d'exportation de cette technologie ontarienne, cette production destinée à la Pologne pourrait bien séduire d'autres marchés reconvertis au nucléaire. Et lancer une chaîne de fabrication très lucrative pour l'Ontario.

En ce qui concerne les énergies renouvelables (éolien, solaire, bioénergies), l'horizon ne s'éclaircit guère. Bien qu'elles constituent environ un quart du bouquet énergétique, elles ne sont pas favorisées par les politiques en vigueur, constate David Devereaux. Notre mandat est la fiabilité avec un œil sur les coûts de réparation. Une fiabilité rentable. Or, pour produire de l'électricité avec des éoliennes, il faut du vent, incontrôlable, ce que les spécialistes appellent l'intermittence. Pareil pour le solaire.

Dès la première année de son mandat, Doug Ford a annulé environ 750 contrats d'énergie verte, dont celui du parc éolien White Pines dans le comté de Prince Edward. En 2019, le ministre associé de l'Énergie, Bill Walker, avait rétorqué que l'Ontario n'avait pas besoin de surplus d'électricité. Coût des pénalités pour rupture de contrat : 231 millions de dollars.

Dans tous les cas, la stratégie énergétique que développe l'Ontario pourrait être altérée par les prochaines élections, en juin 2022.

Sans l'atout hydro-électrique du Québec et avec le coût plus élevé de l'énergie renouvelable qui avait ligué de nombreux Ontariens contre les politiques du gouvernement libéral de Kathleen Wynne, la marge de manœuvre de la province reste extrêmement mince.

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