Risques de surdoses plus élevés chez les Autochtones au pays
Les Autochtones sont plus à risque de surdoses que les autres Canadiens, un écart aggravé par la pandémie, disent des intervenants du milieu.
Les personnes autochtones sont plus à risque d'être victimes de surdoses, selon plusieurs rapports.
Photo : Radio-Canada / Ben Nelms
Stacity Bailie attendait l'approbation pour entrer dans un programme de désintoxication lorsqu'elle est décédée d'une surdose, le 22 octobre. La femme de 27 ans ne consommait pas d'opioïdes illicites depuis longtemps, selon son père, Gary Bailie, mais elle avait une dépendance à l'alcool pendant plus d'une décennie.
Elle avait un si grand potentiel, comme tous ces jeunes qui meurent d'une surdose.
Stacity Bailie était membre de la Première Nation Kwanlin Dun, au Yukon, et sa mort s'inscrit dans une augmentation des décès par surdose d'Autochtones au Canada pendant la pandémie.
Je veux mettre un visage sur le problème parce que ces décès ne sont pas que des statistiques
, dit Gary Bailie à propos de sa décision de raconter l'histoire de sa fille.
Une situation aggravée par la pandémie
Dans le sud du Yukon, comme le montrent les données de la Régie de la santé des Premières Nations de la Colombie-Britannique (FNHA), les Autochtones sont cinq fois plus susceptibles de faire une surdose et trois fois plus susceptibles d'en mourir que les autres résidents. L'écart a été encore aggravé par la pandémie de COVID-19, précise la FNHA
.Nel Wieman, médecin-chef adjointe par intérim de la (FNHA ), estime que la réponse gouvernementale à la pandémie a joué un rôle dans l'augmentation des taux de surdose.
Le nombre de décès avait diminué en 2019, mais les fermetures ont forcé les gens à s'isoler, et de plus en plus de personnes ont consommé des drogues seules, ajoute-t-elle.
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Les ressources en santé mentale étaient limitées, certains centres de traitement ont fermé ainsi que les frontières, ce qui a réduit l'approvisionnement en drogues illicites et entraîné une augmentation des concentrations disponibles de l'opioïde fentanyl, explique la Dre Wieman.
Les conséquences imprévues des mesures de santé publique liées à la pandémie de COVID-19 ont exacerbé les événements et les décès liés aux médicaments toxiques, sans parler de la toxicité accrue de l'approvisionnement en médicaments. Cela n'a jamais été aussi toxique et mortel
, ajoute-t-elle.
Le même constat ailleurs au pays
En Saskatchewan, les données provinciales montrent que les Autochtones ont représenté plus de la moitié des décès liés aux opioïdes au cours des trois dernières années, bien qu'ils ne forment que 16,3 % de la population.
Un rapport publié en novembre par les chefs de l'Ontario et un réseau ontarien de recherche sur les politiques en matière de drogues (ODPRN) a révélé que le taux de mortalité par surdose illicite chez les Autochtones avait doublé au cours de la première année de la pandémie.
Il y a eu 116 décès par intoxication aux opioïdes chez les Autochtones entre mars 2020 et mars 2021, une augmentation de 132 % par rapport à l'année précédente, tandis que le reste de la population de l'Ontario a connu une augmentation de 68 %.
Au Yukon, le service du coroner a déclaré que son taux de surdose d'opioïdes est désormais le plus élevé au Canada, avec 48,4 décès pour 100 000 personnes.
La coroner en chef, Heather Jones, a précisé que les décès représentaient plus de 20 % de tous ceux sur lesquels elle a enquêté entre janvier et le 26 novembre de cette année. Elle a affirmé qu'il s'agissait d'une « crise médicale », la plupart des gens mourant seuls chez eux et le médicament contre les surdoses, la naloxone, devenant moins efficace contre « la toxicité croissante des médicaments ».
Le service du coroner du Yukon a déclaré qu'il ne recueillait pas de données spécifiques à l'origine ethnique, mais la chef des Kwanlin Dun, Doris Bill, a dit que les membres des Premières Nations sont touchés de manière disproportionnée.
Ce n'est plus une crise. C'est une urgence
, a-t-elle affirmé. Nous avons besoin de plus de ressources et nous avons besoin que le gouvernement fédéral intervienne pour nous aider.
Un traumatisme générationnel
La Dre Wieman souligne que le traumatisme intergénérationnel joue un rôle important dans la crise.
Lorsque nous parlons aux communautés, c'est le lien. Leurs générations ont des traumatismes non guéris, pas seulement des traumatismes historiques comme les pensionnats pour Autochtones ou la rafle des années 1960, mais des traumatismes contemporains qui se produisent dans la vie des gens, en particulier au cours des deux dernières années
, explique-t-elle, faisant référence à la pandémie, aux incendies de forêt et aux inondations en Colombie-Britannique
Gary Bailie fait le même lien dans le cas de sa fille, Stacity. Sa mère a été maltraitée lorsqu'elle était enfant et s'est suicidée quand sa fille avait 6 ans.
Les gens [qui consomment de la drogue] essaient simplement d'échapper à leur douleur. Le traumatisme se développe, et elle essayait juste de se soigner et de s'évader
, raconte Gary Bailie.
M. Bailie dit qu'il a l'intention de consacrer sa vie à soutenir la fille de Stacity, âgée de 6 ans. C'est ma dernière chance de briser le cycle.
L'effet sur les petites communautés est amplifié, explique la Dre Weiman, car tout le monde se connaît et que l'accès à un approvisionnement sûr en médicaments est plus difficile.
Un système de santé accusé de racisme
Le racisme est également répandu dans le système de santé de la Colombie-Britannique, et cela contribue probablement à la crise des drogues toxiques parce que les gens ne se présentent pas pour demander de l'aide, non pas parce que le service n'est pas là, mais parce qu'ils craignent la façon dont ils vont être traités.
L'année dernière, la juge à la retraite Mary Ellen Turpel-Lafond a publié un rapport qui a révélé « des stéréotypes, du racisme et du profilage généralisés des peuples autochtones » en Colombie-Britannique.
Dans une récente entrevue, Mme Turpel-Lafond a déclaré qu'il faudrait mener davantage de recherches sur les effets aggravants de la crise des surdoses et de la COVID-19, en tenant compte du problème global du racisme dans les soins de santé.
Ce que j'aimerais, c'est qu'il y ait plus d'analyses pour savoir s'il existe des services de traitement efficaces, s'ils sont culturellement sûrs, accessibles et s'ils se trouvent là où ils sont nécessaires
, a-t-elle dit.
La Colombie-Britannique a déclaré que la crise des surdoses était une urgence de santé publique il y a près de six ans. Selon la Dre Wieman, continuer à parler d'une « urgence » après plus de cinq ans a perdu son sens.
Il y a un peu de négligence de l'urgence de ce problème à cause de la stigmatisation et des stéréotypes, et c'est la grande différence entre la COVID-19 et la crise des drogues toxiques. Le message à travers la COVID-19 a toujours été : "Nous sommes tous dans le même bateau", et le message subtil pendant la crise des drogues toxiques est : "Je suis content que ce soit toi et pas moi"
, avance-t-elle.
Un combat pour la décriminalisation de la possession simple
Le gouvernement de la Colombie-Britannique a demandé à Ottawa de permettre à la province d'être la première au pays à décriminaliser la possession de petites quantités de drogues illicites.
En décriminalisant, nous supprimons un obstacle au traitement et aux services. J'entends dire que la honte et la peur poussent les gens à cacher leur consommation de drogue et les poussent à consommer des drogues seuls
, a expliqué Sheila Malcolmson, ministre de la Santé mentale et des Dépendances de la Colombie-Britannique, en novembre.
RoseAnne Archibald, la cheffe nationale de l'Assemblée des Premières Nations, estime que la pandémie de COVID-19 a été « spirituellement nocive », car elle a empêché les processus de deuil traditionnels et communautaires, ce qui a ajouté au « traumatisme collectif » des peuples autochtones.
La connexion guérit, et c'est si difficile en ce moment. C'est pourquoi on constate une augmentation des problèmes de toxicomanie et de santé mentale
, affirme Mme Archibald. Les gouvernements fédéral et provinciaux doivent investir dans des services et des programmes de guérison qui renforceront la résilience.
Un texte de Brieanna Charlebois, La Presse canadienne