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Rénovation et construction d’écoles : du sable dans l’engrenage au Québec

Des projets de construction, d’agrandissement ou de rénovation d’établissements scolaires sont retardés et pourraient ne pas voir le jour en raison de la crise dans le milieu de la construction.

Un enfant joue avec des jouets, dont un camion de construction.

Des enfants pourraient voir des travaux dans leurs écoles reportés, ou même annulés, en raison de la crise dans le secteur de la construction, qui complique le processus d'appels d'offres pour les centres de services scolaires.

Photo : getty images/istockphoto / portishead1

Prenez note que cet article publié en 2021 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.

La surchauffe du milieu de la construction n’embête pas seulement ceux qui souhaitent rénover leur maison. Elle touche tout le secteur public depuis des mois et a frappé de plein fouet le secteur scolaire l'été dernier.

Au total, 66 appels d’offres, dont sept pour des projets de construction ou d'agrandissement d’écoles, ont été annulés en raison de facteurs liés à la crise dans le milieu de la construction, selon des informations transmises à Radio-Canada par une quarantaine de centres de services scolaires (CSS).

Dans plusieurs cas, ces contretemps entraîneront des retards dans la réalisation de ces projets, alors que la vétusté des écoles du Québec est encore criante.

Le plus souvent, les motifs invoqués pour l’annulation des appels d’offres sont l’absence ou le manque de soumissionnaires, voire des soumissions beaucoup plus élevées que les budgets alloués.

Des exemples frappants

Dans certains cas, les dépassements de coûts projetés étaient majeurs. L’abandon de l’appel d’offres pour le projet d’agrandissement de l’école des Avenues à Sherbrooke, en Estrie, en est un exemple éloquent.

Seuls deux entrepreneurs ont soumissionné pour ce chantier alors que, pour ce genre de projet, nous avions l’habitude d’avoir au moins quatre ou cinq soumissionnaires, a écrit dans un courriel Donald Landry, directeur des communications du Centre de services scolaire de la Région-de-Sherbrooke.

La soumission la plus basse s’élevait à près de 7 millions de dollars, alors que le montant budgété était de 4,1 millions de dollars, ce qui représentait 70 % de coûts supplémentaires. Le projet a été annulé, car le dépassement de coûts est trop important, a indiqué M. Landry avant d’ajouter que son CSS discute actuellement avec le ministère de l’Éducation pour relancer ou pour modifier le projet avorté.

Au Centre de services scolaire des Laurentides, depuis le début de 2021, le directeur des ressources matérielles, Marc-Antoine Brissette, a dû annuler quatre appels d'offres parce qu’aucun soumissionnaire ne s’était manifesté. Et il est en négociations avec le gouvernement pour bonifier le budget d’agrandissement d’une école primaire sur son territoire.

Un homme pose devant une école primaire.

Marc-Antoine Brissette est aux premières loges pour comprendre les défis reliés à la mise à niveau des infrastructures scolaires dans un contexte de surchauffe du secteur de la construction.

Photo : Radio-Canada / Fannie Bussières McNicoll

Avant, les gens se battaient pour venir travailler chez nous. Maintenant, il faut être plus attractif, résume M. Brissette. Il s’est donc résolu à payer davantage, parfois 20 % ou 30 % supplémentaires, pour des travaux indispensables.

« On ne pouvait pas se permettre d’attendre un an de plus à ne rien faire. On a un parc immobilier qui a un certain âge et on veut les plus belles écoles du Québec. Il faut composer avec la réalité du marché! »

— Une citation de  Marc-Antoine Brissette, directeur par intérim des ressources matérielles au Centre de services scolaire des Laurentides

Au Centre de services scolaire au Cœur-des-Vallées, en Outaouais, les deux soumissions présentées pour un projet de rénovation estimé à environ 400 000 $ étaient supérieures à 550 000 $.

Pour un autre projet (le remplacement d'une toiture dans ce cas-ci), la seule soumission conforme reçue était presque deux fois plus élevée que le budget prévu. Dans ces conditions, les deux appels d'offres ont été annulés, a confirmé Jasmin Bellavance, secrétaire général du CSS.

Certains centres de services scolaires ont admis n’avoir annulé aucun projet, mais avoir tout de même ressenti la pression de la crise dans l’industrie de la construction.

À Laval, par exemple, on indique que l’explosion des coûts de construction crée une pression sur notre organisation. En Estrie, le CSS des Sommets affirme avoir reporté de quelques mois le lancement d’appels d’offres pour certains projets de maintien des bâtiments dans l’espoir de voir l’échauffement se stabiliser ou diminuer.

La situation est si épineuse que plus d’un centre de services scolaire a préféré ne pas commenter publiquement la situation. Le porte-parole de l’un d’entre eux a refusé notre demande d’entrevue par crainte, a-t-il écrit, que cela puisse avantager d’éventuels soumissionnaires ou encore contribuer à influencer à la hausse un marché qui est déjà en déséquilibre.

Un contexte extraordinaire

Une conjoncture de facteurs fait en sorte que les soumissionnaires sont moins nombreux qu’à l’habitude à se présenter sur les lignes de départ, explique Denis Brière, coprésident de la firme Comco Entrepreneurs.

Au cœur du problème : une pénurie de main-d’œuvre qualifiée qui limite les capacités de production ainsi que des problèmes d’approvisionnement en matériaux qui gonflent les prix et allongent les délais, fait valoir M. Brière, qui soumissionne régulièrement pour des projets d'infrastructures scolaires en Estrie.

Un homme devant un chantier de construction dans un hôpital à Magog.

L'entrepreneur général Denis Brière estime que les conditions de travail sur un chantier d'hôpital, comme celui qui est sous sa responsabilité à Magog, sont plus faciles à gérer que celles, plus contraignantes, du secteur scolaire.

Photo : Gracieuseté : Denis Brière

On est capables de faire moins de projets qu’à l’habitude parce qu’il manque toujours une pièce quelque part pour pouvoir finir le travail, déplore-t-il. On attend parfois quatre à six mois pour des portes d’acier. Ça rallonge les chantiers. Et plus longtemps un chantier dure, moins on est disponibles pour un autre chantier.

« C’est toute une chaîne qui s’emballe! On travaille énormément, mais en même temps, tout est au ralenti. L’efficience n’est pas là! »

— Une citation de  Denis Brière, coprésident de Comco Entrepreneurs

La pandémie a entraîné des pénuries et des hausses de prix de matériaux clés en construction de bâtiments scolaires, ajoute l’entrepreneur. Le prix de l’acier a presque triplé depuis le début de la crise sanitaire et la poudre de béton était introuvable l'été dernier, ce qui a mis en danger bien des chantiers, confie-t-il.

Ajoutons à cela des départs massifs à la retraite dans le secteur de la construction et l’arrivée de recrues peu expérimentées. Ça a pour conséquence que la productivité est moindre sur les chantiers, résume Denis Brière.

De plus, les budgets prévus par les professionnels du gouvernement sous-estiment souvent les coûts réels de production, ajoute-t-il. On parlait d’une augmentation des prix de 3 % à 5 % par an, et là, on parle de 30 % à 35 % depuis le début de la pandémie. Donc, les budgets, ils ne fonctionnent plus! fait-il remarquer.

Processus lents et contrats en surabondance

Danielle Pilette, professeure de gestion à l’UQAM, abonde dans ce sens. Les processus d’établissement des contrats sont lents. On est toujours un peu en décalage par rapport à l’évolution du marché.

Et c’est surtout vrai en ce moment, où la surchauffe a entraîné une évolution très rapide des prix, ajoute-t-elle. Il y a trop de projets publics en même temps, constate-t-elle.

Dans son Plan québécois des infrastructures 2021-2031, le gouvernement Legault prévoit des investissements substantiels de 20,9 milliards de dollars pour le maintien et la bonification du parc immobilier scolaire. Dans la province, 54 % des écoles sont jugées en mauvais ou en très mauvais état.

Une femme aux cheveux noirs pose dans le corridor d'un pavillon de l'UQAM, à Montréal.

La spécialiste en gestion Danielle Pilette constate que le Québec fait du « rattrapage » en matière de mise à niveau et d'entretien des infrastructures scolaires.

Photo : Radio-Canada / Fannie Bussières McNicoll

Mais le secteur scolaire n’est pas le seul à faire partie des priorités du gouvernement. Voilà justement une partie du problème, selon Danielle Pilette.

« C’est tout le secteur public qui se met à niveau simultanément. Il y a beaucoup de projets, que ce soit pour les routes, les hôpitaux, les maisons des aînés ou les écoles. Donc, ça crée de la concurrence pour des ressources limitées. »

— Une citation de  Danielle Pilette, professeure associée à l’École des sciences de la gestion de l’UQAM

Denis Brière est bien d’accord. Il y a trop de projets publics en même temps et on ne suffit pas à la tâche. Le marché était déjà saturé quand on a lancé la construction des maisons des aînés à toute vapeur, soutient-il.

En conséquence, les travaux publics et les travaux privés se sont retrouvés à entrer en compétition pour de la main-d’œuvre et pour des matériaux déjà raréfiés.

Et les projets dans le secteur scolaire ne sont pas nécessairement les plus attrayants, estime Danielle Pilette. Les soumissionnaires, qui ont l’embarras du choix, vont favoriser les gros contrats et surtout ceux qui peuvent s’étaler dans le temps, dit-elle. L’inconvénient avec le secteur scolaire, c’est que les travaux doivent se concentrer dans la saison estivale seulement.

Encore une fois, Denis Brière est d'accord. Dans un contexte où il y a beaucoup, beaucoup de travail, où personne ne se tourne les pouces, évidemment, on va choisir ceux qui nous semblent les plus intéressants et les plus réalistes. Les travaux dans les écoles, qui sont soumis à des échéanciers plus serrés et à des horaires plus compressés durant l’été, représentent une tâche plus complexe et moins tentante, reconnaît-il.

Le résultat de cette crise a des effets concrets : des travaux dans les écoles parfois retardés et qui coûtent souvent plus cher, confirment tous les intervenants interrogés.

Le gouvernement sous pression

Le ministère de l'Éducation explique être bien au fait de cette situation qui complique l’élaboration des projets d’infrastructures et que des situations problématiques à cet effet ont été portées à son attention.

« Ces conditions représentent un réel défi de financement pour le ministère. »

— Une citation de  Extrait d'une déclaration du ministère de l'Éducation du Québec

Reconnaissant que le nombre de travaux effectués diminue puisque le coût individuel des projets augmente, le ministère ajoute faire tout en son pouvoir pour accorder le meilleur niveau d’investissements possible chaque année pour limiter les impacts sur l’état du parc immobilier scolaire.

Jean-François Roberge en point de presse.

Le ministre de l'Éducation, Jean-François Roberge

Photo : Radio-Canada / Guillaume Croteau-Langevin

Au cabinet du ministre de l'Éducation, Jean-François Roberge, on indique suivre la situation de près tout en rappelant que des investissements records ont été faits dans les écoles et que, pour une grande partie des projets, les échéanciers suivent leur cours.

Adapter les manières de faire

Le directeur des ressources matérielles au CSS des Laurentides, Marc-Antoine Brissette, est bien placé pour comprendre la complexité de la situation actuelle, qu’il qualifie de sans précédent.

La priorisation et la phase de planification des projets sont devenues cruciales dans son travail. Et surtout, il a adapté son approche dans la structure des projets et des appels d'offres lancés.

« Il a fallu être imaginatif. Au lieu de faire des mégaprojets qui risquaient de ne pas voir le jour parce que plusieurs entrepreneurs spécialisés devaient se coordonner, on a fait des travaux plus ciblés, par corps de métier, pour favoriser nos chances de réussite. »

— Une citation de  Marc-Antoine Brissette, directeur par intérim des ressources matérielles au Centre de services scolaire des Laurentides

Le phénomène du déplacement de populations dans des régions comme les Laurentides a aussi posé son lot de défis à ce spécialiste en bâtiment de formation. Si on avait eu seulement des projets d’entretien à faire, on aurait déjà été assez occupés. Mais là, on a des projets de construction et d’agrandissement en plus! C’est assez complexe à gérer, concède-t-il.

L’entrepreneur général Denis Brière assure qu’il a lui-même de la difficulté à trouver des entrepreneurs spécialisés disponibles, ce qui complique les travaux d’envergure. Il juge que les centres de services scolaires n’auront pas le choix de revoir leurs façons de faire. Il va falloir permettre aux entrepreneurs que la durée des travaux dans les écoles soit étalée au-delà de la saison estivale. On n’a pas le choix! opine-t-il.

Autrement, il craint que le report ou même l’annulation de projets importants deviennent inévitables. Danielle Pilette est d’accord avec cette analyse.

« Ce contexte et ces dépassements de budget font en sorte qu’on reporte d’autres projets, parce qu’après tout, les ressources ne sont pas infinies. Je pense que tout cela milite en faveur d’un examen en profondeur de ce qui est vraiment essentiel. »

— Une citation de  Danielle Pilette, professeure associée à l’École des sciences de la gestion de l’UQAM

Mme Pilette estime que les investissements en infrastructures scolaires sont suffisants pour le moment si on veut parvenir à mettre à jour le parc immobilier d’ici 2030, comme prévu. Mais encore faut-il que les conditions économiques s’améliorent, que l’inflation diminue et que l’accessibilité des matériaux se normalise, prévient-elle.

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