Loi 21 : vague d’indignation et de soutien pour une enseignante ayant perdu sa classe

Ceux qui sont en défaveur de la loi 21 sont invités à porter un ruban vert.
Photo : Radio-Canada / Christian Millette
La réaffectation d'une enseignante de Chelsea en raison de son hijab a semé l'émoi tout au long de la journée de jeudi. Parents d'élèves et politiciens ont saisi l'occasion pour exprimer leur désaccord à l'égard de la Loi sur la laïcité de l'État.
Fatemeh Anvari, enseignante de troisième année à l’école Chelsea Elementary School, a été affectée à d’autres tâches que l'enseignement puisqu’elle porte le voile, et ce, en raison de la loi 21.
Cette loi adoptée en juin 2019 interdit le port de signes religieux aux employés de l’État, dont les enseignants. Le cas du retrait de classe de Fatemeh Anvari pourrait être la première application de la loi 21 portée au grand jour.
Des parents dont les enfants fréquentent la petite école primaire anglophone de l'Outaouais se sont révoltés devant la décision de la direction de muter l'enseignante. Plusieurs ont d'ailleurs pris part à une manifestation, jeudi après-midi.
« Tout ce que j'ai entendu [au sujet de Mme Anvari] est qu'elle est une enseignante merveilleuse. Maintenant, les enfants doivent changer de professeur alors que nous faisons déjà face à une pénurie d'enseignants », a déploré la mère d'un élève, Noha Beshir.
Selon un autre parent, Michel Moubarak, le message envoyé par le retrait de classe de l'enseignante n'est pas le bon.
« C’est une école où on promeut la diversité et l’inclusion. Ce sont aussi des valeurs qu’on veut vraiment inculquer à nos enfants. Et ce genre de situations semble aller complètement [en sens] contraire de ces valeurs-là », a-t-il fait valoir.
L'Association provinciale des enseignantes et des enseignants du Québec (APEQ), qui s'oppose à la loi 21, a abondé dans le même sens, soutenant que cette législation discrimine injustement les femmes.
En entrevue à CBC, Fatemeh Anvari s'est dite reconnaissante
et un peu dépassée
par ce qu'elle a décrit comme une vague de soutien et d'amour qui la submerge. Ça va au-delà de ce que j’aurais pu imaginer
, a-t-elle soutenu.
Des politiciens derrière Mme Anvari
De nombreux politiciens ont aussi déploré le sort réservé à l'enseignante de Chelsea. Dans une déclaration transmise par courriel, le bureau du premier ministre fédéral, Justin Trudeau, a soutenu que « personne au Canada ne devrait perdre son emploi à cause de ce qu'il porte ou de ses croyances religieuses ».
Le député libéral Marc Garneau y a été de commentaires semblables dans une publication Twitter.
« Ce que nous voyons à Chelsea, c'est une communauté qui s'unit pour défendre une des leurs, une enseignante, Fatemeh Anvari. Les parents ont maintenant des conversations très difficiles à avoir avec leurs enfants. »
Le bureau du premier ministre a assuré « suivre cette affaire de près » pendant que des contestations judiciaires contre la Loi sur la laïcité de l'État suivent leur cours.
Sur son profil Facebook, le député provincial de Pontiac, André Fortin, s’est dit triste
de la tournure des événements et a déclaré que la loi 21 ne servait ni l’enseignante ni les élèves. On peut faire mieux
, a-t-il commenté.
C'est exactement pour cette raison que je me suis opposé à ce projet de loi au départ, pourquoi je continue de m'y opposer
, s'est exclamé le chef du Nouveau Parti démocratique (NPD), Jagmeet Singh.
M. Singh a ajouté qu'il est en faveur des procédures de contestation judiciaire de la loi 21. À son avis, celles-ci sont la démonstration que tous les Québécois ne partagent pas le point de vue du gouvernement de François Legault.
Questionné sur la légitimité de la réaffectation de l'enseignante, le chef du Parti conservateur du Canada, Erin O’Toole, a rappelé qu’il s’est toujours opposé à la loi 21 et à ses modalités. J’ai également dit que j’allais respecter la juridiction des provinces et leur compétence
, a-t-il cependant ajouté.
De son côté, le cabinet de Simon Jolin-Barette, ministre responsable de la laïcité au sein du gouvernement Legault, a soutenu que le Québec a fait le choix de la laïcité de l'État
. Il s’agit d’un choix de société légitime fondé sur des principes tels que l’égalité de tous les citoyens et citoyennes, la liberté de conscience et de religion ainsi que la neutralité religieuse de l’État
, peut-on lire dans un courriel envoyé à Radio-Canada.
Mme Anvari a affirmé, en entrevue, qu'elle porte le hijab parce qu'il fait partie de son identité et parce qu'il s'agit d'un symbole de résilience.
« Oui, je suis musulmane, mais pour moi, [le hijab] est porteur de significations, de mon identité, de la façon dont je me présente. Je suis une personne forte dans un monde qui ne veut pas que je sois moi-même. »
Mme Anvari a souligné avoir une pensée pour ses élèves qui ont, selon elle, subi les contrecoups de la loi sur la laïcité.
Les enfants avaient l'air tellement ébranlés
, a-t-elle raconté. Ils m’ont vue dans le corridor. Ils m’ont demandé pourquoi je ne peux plus être leur enseignante.
Se disant désemparée face aux questions des élèves, l'enseignante a affirmé avoir choisi de leur faire part de la situation en toute transparence. Ceux-ci ont alors exprimé leur désaccord et leur mécontentement par rapport à la situation, selon le récit de l'enseignante.
Mme Anvari n'est pas certaine de ce qu'elle fera ensuite. Je sais que je veux être enseignante, c’est le plus important pour moi
, a-t-elle toutefois lancé.
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Pas le choix d'appliquer la loi
La direction de la commission scolaire anglophone Western Québec a quant à elle soutenu que, malgré son opposition passée à la Loi sur la laïcité de l'État, elle n'a d'autre choix que de respecter la mise en application de celle-ci.
Si un enseignant persiste à vouloir porter un symbole religieux en classe, il doit quitter son poste, a affirmé Wayne Daly, président par intérim de la commission scolaire. La loi s'applique à cette personne, à ce moment
, a-t-il fait valoir. C'est facile comme ça. C'est comme si vous aviez une contravention pour un stationnement illégal
, a-t-il ajouté.
Avec les informations de Christian Milette, d'Estelle Côté-Sroka, de Nafi Alibert, de Stéphane Leclerc et de Madeleine Blais-Morin