La rivière atmosphérique : un phénomène naturel aussi nécessaire que dangereux
La notion de rivière atmosphérique est un phénomène naturel peu connu du grand public. Pourtant, cette dernière joue un rôle prépondérant dans le transport et la distribution de l'humidité venant des tropiques. Plongée dans ces mystérieuses rivières aériennes.
La communauté d'Abbotsford, en Colombie-Britannique, a été frappée durement par des inondations historiques en raison de pluies torrentielles.
Photo : Reuters / JENNIFER GAUTHIER
Prenez note que cet article publié en 2021 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Durant le mois de novembre 2021, une imposante portion de la côte du Pacifique allant du sud de la Colombie-Britannique jusqu'en Californie a été sous le joug d’un phénomène météorologique appelé « rivière atmosphérique ». Cette dernière est d’ailleurs plus communément connue sous le nom de pineapple express (« express ananas »).
Revenons brièvement sur la tempête. Entre le 13 et 16 novembre dernier, d’importantes quantités de pluie ont affecté ces secteurs. Cela a donné lieu à de nombreuses inondations, mais aussi à des glissements de terrain qui ont malheureusement coûté la vie à plusieurs personnes en Colombie-Britannique.
En l’espace de 72 heures, le sud de cette province canadienne a reçu des pluies diluviennes. Voici quelques exemples des fortes quantités d'eau reçue.
Mesure des précipitations
- 294,6 mm (Hope)
- 228,2 mm (Agassiz)
- 159,7 mm (West Vancouver)
On notera que la Municipalité de Hope a enregistré l'équivalent de 1,5 fois la quantité de pluie reçue en un mois.
De plus, durant la seule journée du 14 novembre, elle a battu son record absolu de précipitations quotidiennes en recevant 174 mm de pluie au total. Le précédent record datait du 2 décembre 1975 avec 133,4 mm.
Comment les rivières atmosphériques se forment-elles?
Par définition, une rivière atmosphérique est une circulation rapide d’air tropical, c'est-à-dire de l’air chaud et saturé en humidité.
Le phénomène prend naissance dans les régions proches de l’équateur. Là, les rayons du soleil frappent de manière bien plus marquée qu’aux pôles, ce qui entraîne un contraste important de températures.
L'évaporation qui s’ensuit génère d’importantes quantités de vapeur d’eau qui se concentrent sur les trois premiers kilomètres de l'atmosphère, créant ainsi un bassin d’humidité
.
Cette humidité en suspension se déplace alors sous l’influence du courant-jet
, ou jet stream en anglais. Il s'agit d'un courant d’air rapide pouvant atteindre des vitesses supérieures à 300 km/h qui évolue, lui, entre 7 et 16 km au-dessus du niveau de la mer.
C’est ainsi que se forme progressivement une rivière aérienne
invisible à l'œil nu, gorgée d’humidité et reliant des zones tempérées à des zones plus froides.
À titre d’exemple, la contenance en eau (sous forme de vapeur d’eau) de ces rivières équivaut au débit moyen de l’Amazone, plus grand fleuve au monde, ou à 15 fois celui du Mississippi.
En moyenne, elles s’étirent sur une distance d’environ 1600 km avec une largeur faisant à peine entre 400 et 640 km.
Elles se produisent tout au long de l’année, mais elles n’atteignent pas systématiquement les continents. Elles sont responsables du transport de plus de 90 % de la vapeur d’eau entre les tropiques et les latitudes plus élevées.
Répercussions sur les terres
Lorsqu'une rivière atmosphérique touche terre et qu’elle rencontre un obstacle comme une chaîne montagneuse, la vapeur d’eau s’élève et se refroidit.
C’est alors que l’eau passe de la forme gazeuse à liquide. Cette condensation peut entraîner des précipitations très abondantes par moments.
C’est ce scénario qui s’est répété à plusieurs reprises en Colombie-Britannique durant la période du 13 au 16 novembre, cette redondance laissant peu de répit au sol, qui ne pouvait pas absorber toute cette eau.
Il arrive aussi que la rivière atmosphérique vienne renforcer des dépressions (généralement responsables du mauvais temps) déjà présentes dans le secteur.
De par sa forte concentration en vapeur d’eau, la rivière injecte cette humidité – et donc de l’énergie – dans la dépression. Cette dernière gagne ainsi en intensité et génère de copieuses précipitations accompagnées de vents forts.
Elle peut même devenir ce que l’on appelle une bombe météorologique
, sa caractéristique étant que sa pression chute d’au moins 24 millibars en 24 heures. C’est un phénomène rare dont la violence n'a rien à envier aux ouragans.
C’est d’ailleurs ce qui a affecté l'île de Vancouver le 23 octobre dernier.
À ce propos, comme c'est le cas avec les ouragans, une échelle a été créée afin de permettre une catégorisation des rivières atmosphériques.
Cette échelle prend en compte la quantité de vapeur d’eau présente dans les rivières ainsi que la durée des intempéries qu’elles génèrent.
Dans le cas de la Colombie-Britannique, toujours entre le 13 et 15 novembre 2021, c’était une rivière atmosphérique de catégorie 5 qui a été responsable des inondations et des glissements de terrain.
Pourquoi parle-t-on de pineapple express?
La pineapple express (« express ananas ») est une rivière atmosphérique propre à la zone ouest de l’océan Pacifique. Elle prend sa source autour d’Hawaï et s’étire jusqu'à la côte ouest des États-Unis.
Selon des études de l'Agence spatiale américaine (NASA), elle serait responsable de 30 à 50 % des précipitations qui touchent la Californie et de 40 % de la couverture neigeuse de la Sierra Nevada dans cet État.
Cela a donc un effet bénéfique sur les réserves d’eau et permet de combler le déficit d’humidité dans des secteurs qui auraient droit à une sécheresse plus exacerbée sans cet apport.
Cependant, c’est un couteau à double tranchant. En effet, cette rivière atmosphérique serait aussi à l’origine de 80 % des inondations majeures.
De plus, les précipitations de cette rivière atmosphérique ont 2,5 fois plus de risque d’être sous forme de pluie que de neige.
Cela entraîne une fonte de la couche neigeuse des régions montagneuses, augmentant ainsi de 20 % les risques d’inondations. C’est pour cela que les rivières atmosphériques sont généralement bien plus dangereuses en hiver qu’en été.
Il est toutefois important de noter qu’il existe toute une pléthore de rivières atmosphériques dans le monde.
À titre d’exemple, la maya express prend sa source du côté des régions tropicales et subtropicales dans les eaux situées à l'est du Mexique et de l'Amérique Centrale.
C’est ce phénomène qui a affecté la Nouvelle-Écosse ainsi que l'extrême est du Québec entre le 22 et 23 novembre dernier. Il a laissé derrière lui des quantités d'eau importantes.
Mesure des précipitations
- 278,4 mm (rivière Ingonish)
- 181,4 mm (Kingross)
- 126,7 mm (Sydney)
En Europe, d’après Météo-France, on parle même du rhum express, qui fait allusion à l’apport d’humidité venant des Antilles et affectant l’Europe du Nord.
L’incidence du réchauffement climatique
Des recherches sont en cours pour déterminer à quelle fréquence ce type d'événement extrême risque de se répéter.
Le réchauffement climatique ne désigne pas juste une augmentation de la température moyenne de la Terre; il explique aussi que des événements météorologiques violents apparaissent de plus en plus dans des secteurs qui, habituellement, ne sont pas touchés de manière aussi importante.
De plus, ces événements s’étalent dans le temps par le biais ce que l’on appelle des blocages atmosphériques, lesquels maintiennent ces conditions intenses sur plusieurs jours, voire plusieurs semaines.
La canicule survenue l’été dernier en Colombie-Britannique en est un bel exemple. Le record de chaleur absolu a été battu dans la municipalité de Lytton, qui a enregistré une température de 49,6 degrés Celsius le 29 juin. Le blocage atmosphérique alors présent avait permis à un dôme de chaleur de stagner sur la province, chaque jour ayant été plus chaud que le précédent.
Les incendies et la sécheresse qui ont suivi ont mis en place les éléments propices aux inondations et aux éboulements de terrain. Un sol sec absorbe mal l’eau, surtout si elle est déversée en quantité importante. Cela entraîne du ruissellement qui peut soit créer des inondations, soit les alimenter.
De plus, la disparition de 4,18 millions d’hectares de forêt, selon les données d'Environnement Canada, a privé la province d’une barrière naturelle qui aurait pu amortir les dégâts subis lors des inondations de novembre dernier.
Un autre exemple serait le cas de l’hiver 2016-2017, qui a vu une série de rivières atmosphériques frapper le nord de la Californie. Cet hiver-là a été le plus humide jamais enregistré pour cet État, entraînant d’importantes crues des eaux ainsi que l’évacuation de centaines de milliers de personnes.
Bien que le phénomène des rivières atmosphériques ait été découvert par les chercheurs Reginald Newell et Young Zhu dans les années 90, la notion a émergé seulement durant les 10 dernières années grâce à diverses recherches.
Les études du Center for Western Weather and Water Extremes, qui fait partie des pionniers dans ce domaine de recherche, ainsi que celles de la NASA ont pour objectif de mieux comprendre les rivières atmosphériques, de mieux les anticiper et, surtout, de déterminer l’incidence du réchauffement climatique sur ces dernières.