Le pari gagnant de miser sur les travailleurs immigrants

Des travailleurs originaires d'une quinzaine de pays travaillent à l'entreprise Manunor du secteur de Brompton à Sherbrooke.
Photo : Radio-Canada / DANIEL MAILLOUX
Prenez note que cet article publié en 2021 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
La pénurie de main-d'œuvre est un véritable casse-tête pour de nombreux entrepreneurs estriens. Certains d’entre eux, pour assurer leur avenir, ont fait le choix - qui s’est avéré gagnant - de miser sur les travailleurs étrangers pour faire rouler leur entreprise.
C’est le cas de Manunor, situé dans le secteur de Brompton à Sherbrooke, où 62 % de ses 70 employés sont issus de l’immigration. Ils proviennent d’une quinzaine de pays et s'arriment pour fabriquer une centaine de produits en plastique moulé, comme des conteneurs, des réservoirs ou des jouets pour enfants. Et ils travaillent à tous les échelons, de la production à la direction.
Manunor était l’une des 11 entreprises finalistes à la remise des Prix de la diversité culturelle 2021, organisée par Actions interculturelles. Si elle n’a pas remporté les grands honneurs, sa politique d’intégration a été remarquée et soulignée lors de la cérémonie.
Moustapha Nakouh travaille à l’usine depuis 10 mois. Venu à Sherbrooke pour fuir la guerre en Syrie, il s’affaire comme ses collègues à réaliser l’assemblage de kayaks. Pas peu fier de s’exprimer en français, une langue qu’il ne connaissait pas avant d’arriver ici, il affirme que son intégration dans son pays d’adoption se passe très bien.

Moustapha Nakouh travaille à Manunor depuis 10 mois. Il est venu à Sherbrooke pour fuir la guerre en Syrie.
Photo : Radio-Canada / DANIEL MAILLOUX
Chauffeur de camion de métier, il a renoncé à reprendre ce travail après des démarches entreprises au Centre de formation 24-juin. Au Québec, c'est difficile pour le permis. J’ai besoin de parler [français et anglais]
. Père de sept enfants, il ne semble pas malheureux de son sort, bien au contraire. L’un de ses fils travaille lui aussi à Manunor, mais dans l’usine de moulage située dans un bâtiment juste à côté.
Hasan a lui-même fait entrer dans l’entreprise son meilleur ami Omran Almohammad, engagé il y a peu de temps. Ce dernier, qui est arrivé à Sherbrooke il y a cinq ans, semble à l’aise dans son nouvel environnement. Il avoue que la présence de son grand ami à ses côtés l’aide à se sentir bien. Je suis content de travailler avec lui
, dit-il avec le sourire.
Ça met les gens en confiance. Pour l’intégration, c’est facilitant. Un [employé] qui est déjà dans la place va faciliter à l’intégration de son frère ou de son fils. C’est vraiment aidant
Entrer dans l’entreprise Manunor, c’est circuler dans un lieu de travail où le multiculturalisme est encouragé, même célébré. Beaucoup aiment bien faire goûter des aliments de leur pays lors des pauses ou au moment de la période des repas dans les salles des employés. Le club social organise des activités qui favorisent le mélange des cultures. Au party de Noël, des employés fiers de leurs traditions chantent des chants syriens, d’autres présenteront des danses colombiennes et congolaises. Que ce soit dans l'usine de moulage ou dans l’atelier d’assemblage, l’ambiance est teintée d’accents du Moyen-Orient, de l’Afrique ou de l’Amérique latine.

Manunor mise sur l'accueil et le respect pour s'assurer d'une bonne intégration des travailleurs immigrants. Nasser Karrem Jahl Al-Shiblawi, un travailleur irakien et Omran Almohammad (de dos) originaire de la Syrie.
Photo : Radio-Canada / DANIEL MAILLOUX
Est-ce que cette ouverture est dictée par une pénurie d’employés au sein de l’entreprise? Non
, répond catégoriquement la directrice générale Marie-Michelle St-Pierre, puisqu'en ayant adopté cette stratégie depuis quelques années, Manunor ne vit pas ce problème. Même si l’embauche de travailleurs immigrants se fait plus intensément depuis trois ans, en raison de l'expansion de l'entreprise, il y a longtemps que Manunor s’ouvre à la différence. Il lui est arrivé dans le passé d’engager des personnes handicapées ou des travailleurs avec des casiers judiciaires. Je pense que l’intégration dans notre cas est réussie parce qu’elle est très personnalisée
, ajoute-t-elle.
Les efforts d’intégration semblent porter leurs fruits. Je trouve qu’on s’en sort bien
, lance la directrice avec un grand sourire. Le taux de rétention frôle les 100 %, une fois la probation de trois mois passée. Avant cette période, près de 30 % quittent l'entreprise, notamment parce que le travail en usine peut s’avérer une expérience décevante.
C’est sûr que si dans ton pays tu étais infirmier et que tu n’a jamais été en manufacture... Tu ne peux pas le savoir [si tu vas aimer le travail] avant de l’avoir essayé. C’est la partie normale des choses
, ajoute-t-elle.
Au départ, tout passe par une politique de non-discrimination et d’acceptation très claire. De n’avoir aucune tolérance sur une quelconque discrimination, ça pose les bases d’une culture qui est accueillante.
Une flexibilité pour concilier le travail… et l’apprentissage du français
Andrea Kawabata est la cheffe d’équipe de la chaîne d’assemblage. Arrivée à Sherbrooke il y a deux ans, cette native du Brésil est venue au Québec pour accompagner son mari, étudiant à l’Université de Sherbrooke. Si elle a d’abord travaillé dans la restauration à son arrivée, elle a pu accéder à ce poste supérieur à Manunor grâce à une meilleure maîtrise du français.
L'entreprise nous accueille super bien. Elle nous donne l’opportunité de travailler et d’apprendre la langue. C’est une entreprise très ouverte. Ici, on a la chance de s’intégrer à la société québécoise.

Marisol Petit, conseillère en ressources humaines et Andréa Kawabata, cheffe d'équipe à Manunor.
Photo : Radio-Canada / DANIEL MAILLOUX
Dans certains cas, l’employé sera accompagné pour s’installer dans la région. Il sera soutenu dans ses recherches de logement ou pour l’inscription des enfants à l’école, par exemple. Un suivi est aussi fait pour que le nouveau venu soit bien accueilli par ses collègues de travail, évitant ainsi les divisions.
La maîtrise du français demeure toutefois un élément primordial. Si les exigences sont moins grandes pour un employé qui commence au bas de l’échelle, elles s’accentuent plus les responsabilités augmentent. L’entreprise offre d’ailleurs une flexibilité dans les horaires pour permettre aux employés de poursuivre leur francisation.
Même si elle se débrouille très bien en français, la cheffe d’équipe Andréa Kawabata poursuit d'ailleurs son apprentissage de la langue au Centre Multi Loisirs de Sherbrooke. Même s' il lui arrive d’utiliser le portugais à l’occasion avec le directeur de l’usine, qui est aussi Brésilien, le français reste sa langue de travail. Ça m’aide beaucoup à avoir plus de possibilités de compréhension [dans des cas précis], mais on se parle en français pour apprendre les mots qui concernent le travail
.
Cette ouverture vers la différence et les succès d’intégration sont visiblement des éléments de fierté chez tous les employés de Manunor.
C’est dans nos valeurs. On ne le force pas. [Nous n’avons] pas, comme d’autres entreprises, des objectifs [de recrutement], mais on dirait que d’avoir cette ouverture-là nous apporte de belles personnes qui viennent vers nous, parce que ça se parle
, affirme la directrice générale, Marie-Michelle St-Pierre. Je trouve que ça nous apporte beaucoup de richesse.