Les trois travaux des « Trois Amigos »

Après un hiatus forcé de cinq ans sous la présidence Trump, les « Trois Amigos » du Canada, des États-Unis et du Mexique se retrouveront à Washington.
Photo : afp via getty images
Prenez note que cet article publié en 2021 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Ce sera « le sommet du retour de l’amitié », estime l’ex-ambassadeur canadien à Washington Raymond Chrétien, « ce qui sera bon pour la cohésion des trois pays ».
Après un hiatus forcé de cinq ans sous la présidence de Donald Trump, les « Trois Amigos » du Canada, des États-Unis et du Mexique auront du pain sur la planche.
Relance économique postpandémie, lutte contre les changements climatiques, protectionnisme américain et hausse du coût de la vie : la première rencontre officielle de Justin Trudeau en compagnie de Joe Biden et d'Andres Manuel Lopez Obrador sera chargée, et les écueils potentiels sont nombreux.
Rabais sur les véhicules électriques américains
Dans son plan de relance verte, Joe Biden veut inciter les Américains à acheter des voitures électriques en leur offrant un rabais allant jusqu’à 12 500 $, mais qui s’appliquerait seulement aux véhicules construits aux États-Unis.
Une mesure qui déplaît au Canada et au Mexique, parce qu’elle risque de nuire à leurs secteurs de l’automobile respectifs, qui tentent aussi de faire la transition vers des véhicules électriques. L’Association canadienne des fabricants de pièces automobiles craint notamment un exode de la production vers les États-Unis.
Le Québec s’inquiète aussi de ce rabais qui renforce la philosophie Buy American
, parce qu’il pourrait nuire à son projet de devenir la batterie verte de l’Amérique du Nord
, comme se plaît à le dire le premier ministre François Legault.
La carte de négociation de Justin Trudeau : les États-Unis veulent avoir accès aux minéraux critiques essentiels pour fabriquer les batteries des véhicules électriques. Le Canada en a beaucoup à offrir, comme le nickel par exemple, qui sert aussi pour les panneaux solaires et les éoliennes que veut construire l’administration Biden
, indique Frédérick Gagnon, titulaire de la Chaire Raoul-Dandurand.
L’accès à ces minéraux rares au Canada permettrait aux Américains de s’affranchir de la Chine, qui est pour le moment son principal fournisseur.
Les dépenses en infrastructure
Le programme de 1000 milliards de dollars doit servir à remettre les infrastructures américaines à niveau, en construisant et en rénovant notamment des ponts, des routes, des aqueducs et des centres communautaires.
L’objectif est de revitaliser les villes américaines et créer des emplois aux États-Unis. La crainte du Canada et du Mexique, c’est que les sommes ne soient allouées qu’aux projets qui font appel à des firmes américaines.
Une compagnie comme SNC-Lavalin ne peut pas survivre juste avec des contrats au Québec, elle doit aussi avoir accès aux projets à l’étranger
, lance l’ancien diplomate Raymond Chrétien, conseiller spécial chez Fasken.
Justin Trudeau essaiera d’obtenir des allégements aux règles d’achat américaines, comme ce que Stephen Harper avait réussi à obtenir de l’administration Obama lors de la relance après la crise de 2008.
Travailler ensemble à la relance permettra de réduire les pressions de l’inflation
, estime l’ex-ambassadeur américain au Canada Bruce Heyman. Mais il ajoute que Justin Trudeau et le président Lopez Obrador doivent être conscients du contexte politique américain.
Les gens s’attendent à ce que des emplois soient créés chez eux, et Joe Biden doit livrer la marchandise
s’il veut rehausser sa cote de popularité, explique-t-il.
Le pipeline d’Enbridge au Michigan
La gouverneure du Michigan, Gretchen Witmer, se bat pour fermer l’oléoduc de l'entreprise canadienne Enbridge, la ligne 5, parce qu’elle craint un déversement de pétrole dans l’écosystème des Grands Lacs.
Le pipeline, vieux de 70 ans, transporte du propane de l’ouest vers le Québec et l’Ontario, et parfois aussi des produits du pétrole canadien vers les États-Unis.
Selon les experts, la fermeture du pipeline pourrait créer une pénurie de propane au Québec et en Ontario et faire grimper les prix. Mais elle aurait aussi un effet similaire sur le prix du pétrole aux États-Unis, alors que Joe Biden et Justin Trudeau sont tous deux critiqués pour l’inflation et l’augmentation du coût de la vie.
Or, les deux parties ont acheté du temps dans ce dossier épineux
, estime Frédérick Gagnon.
Depuis deux ans, le dossier a connu de nombreux rebondissements : Enbridge a ignoré une injonction d’un tribunal américain qui lui ordonnait de fermer les robinets. Le Canada a invoqué un traité bilatéral sur les pipelines pour entamer un arbitrage judiciaire. L’administration Biden a ordonné une évaluation environnementale qui sera prête dans deux ans.
Selon l’ancien ambassadeur Bruce Heyman, le président Joe Biden n’a pas à prendre de position sur la question avant les élections de mi-mandat, et il évite ainsi de déplaire à la base plus environnementaliste et activiste de son parti
.
Le dossier de la ligne 5 sera sûrement sur la table lors de la rencontre entre Justin Trudeau et Joe Biden, mais l’urgence d’un compromis ne sera probablement pas au rendez-vous.
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Les litiges sur le bois d’œuvre et sur les produits laitiers; la position du Canada sur la place de la société chinoise Huawei dans son réseau de télécommunication 5G; la lutte contre les changements climatiques et le prix sur le carbone; les problèmes de chaînes d’approvisionnement : la liste n’est pas exhaustive, mais elle donne une idée de l’ampleur des dossiers qui ont besoin d’une attention particulière dans les relations canado-américaines.
Ce premier sommet en personne depuis cinq ans est l’occasion de rétablir des liens personnels entre les leaders de l’Amérique du Nord, qui ont été mis à l’épreuve durant la présidence de Donald Trump et la pandémie.
Le dialogue en personne, autour d’une table commune, fait souvent débloquer les dossiers les plus épineux
, croit Raymond Chrétien. Surtout quand les leaders peuvent prendre la mesure de l’homme en face d’eux.