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Vaccin : le Nord attend sa troisième dose, alors que le Sud attend sa première

Une boîte portant une étiquette de COVAX sur le tarmac de l’aéroport à Accra, au Ghana.

C’est le Ghana qui a reçu la première livraison de doses de vaccin contre la COVID-19 par l’entremise de COVAX, le 24 février 2021.

Photo : afp via getty images / NIPAH DENNIS

À un mois et demi de l’échéance de l'initiative COVAX, qui devait permettre de distribuer 2 milliards de doses de vaccins contre la COVID-19, dont plus de la moitié à des pays à revenu faible ou intermédiaire, seul le tiers a été livré.

Au départ, l’objectif était très noble : afin d’éviter que les pays riches mettent la main sur toutes les doses de vaccin, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et l’alliance pour les vaccins Gavi ont mis en place COVAX, auquel ont adhéré 190 pays (98 à revenu élevé et 92 à revenu faible ou intermédiaire). Ce mécanisme collectif devait permettre de mener les négociations avec les laboratoires fabriquant les vaccins pour obtenir de meilleurs prix pour tous.

Les pays riches verseraient des montants pour acheter les vaccins contre la COVID-19 pour leur population, tandis que les pays à revenu moyen seraient soutenus par un dispositif de financement et les plus pauvres ne paieraient rien. Tous recevraient les doses à la même cadence, en fonction de la taille de leur population.

Mais ça ne s’est pas passé comme prévu.

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Une représentation du coronavirus.

À mesure que les vaccins ont commencé à faire leurs preuves, les pays riches se sont précipités pour les obtenir en premier, affaiblissant ainsi le mécanisme.

D’autres problèmes ont surgi en cours de route, notamment des difficultés d’approvisionnement auprès du Serum Institute of India, le principal fournisseur du programme, qui a interrompu ses livraisons de vaccins à destination de l’étranger à la suite d’une flambée des cas en Inde, au printemps 2021.

L’acheminement et la distribution ont été un problème pour certains pays qui ne disposaient pas d’un réseau de distribution respectant la chaîne de froid nécessaire pour certains de ces vaccins. Il fallait également recruter des vaccinateurs et installer des cliniques, d’autres défis logistiques. Conséquence : près de 400 000 doses ont expiré avant d’être utilisées.

C’était une entreprise complexe et assez ambitieuse dès le départ, estime Krishna Udayakumar, directeur du Centre d’innovation sur la santé mondiale de l’Université Duke. Améliorer l'accès mondial et l'équité en créant une plateforme pour que les pays les plus pauvres du monde ne soient pas laissés pour compte était une très bonne idée. Cependant, je me demande si vouloir devenir la principale plateforme d'agrégation pour l'accès aux vaccins, même pour les pays à revenu intermédiaire et élevé, c’était le bon modèle.

COVAX aurait pu avoir plus de succès avec un mandat et une stratégie plus ciblés. Mais il a été construit sur l'hypothèse que les pays agiraient de manière solidaire et dans l'intérêt du monde entier, alors que nous savons que presque tous les pays, sinon tous, vont d'abord et avant tout agir dans leur propre intérêt.

Une citation de Krishna Udayakumar, directeur du Centre d’innovation sur la santé mondiale de l’Université Duke.
Un homme portant des gants extrait une dose d'un vaccin contre la COVID-19 d'une fiole.

En date du 15 novembre, COVAX a livré 502 millions de doses, bien loin de l'objectif initial de 2 milliards de doses pour 2021.

Photo : Getty Images / OLI SCARFF

Il ne faut pas pour autant jeter le bébé avec l’eau du bain, croit Karl Blanchet, directeur du Centre d’études humanitaires Genève et professeur à la Faculté de médecine de l’Université de Genève. Conclure que COVAX est un échec, ça voudrait dire que si on s‘en débarrasse, tout va aller pour le mieux. Mais COVAX n'est pas le problème. C'est un mécanisme qui aurait dû marcher si tous ceux qui avaient promis de donner l’avaient fait.

Aujourd'hui, COVAX se retrouve dans une situation d'échec, non pas parce que le mécanisme était mauvais, mais parce que les gouvernements n'ont pas respecté leurs promesses.

Une citation de Karl Blanchet, directeur du Centre d’études humanitaires Genève.

Kate Elder, conseillère principale en matière de politiques vaccinales pour Médecins sans frontières (MSF), est plus catégorique. Les ambitions de COVAX étaient extrêmement naïves, note Kate Elder. Le programme a fait face à plusieurs défis qui auraient dû être anticipés, pense-t-elle. Il aurait dû y avoir une évaluation des risques, on aurait dû prendre en compte le nationalisme vaccinal, l’accumulation d'une quantité excessive de stocks qui a fait que certains pays ont acheté bien plus de doses que ce dont ils avaient besoin pour vacciner leur population, ajoute-t-elle.

Dans ce contexte, ce n’est pas une surprise que le programme ait échoué, soutient Mme Elder, blâmant également les compagnies pharmaceutiques, qui ont privilégié les accords bilatéraux avec les pays riches. En fin de compte, les sociétés pharmaceutiques décident des volumes qu’elles vont produire, à qui elles vendent d'abord et à quel prix elles vendent, dénonce-t-elle.

Les compagnies pharmaceutiques, malheureusement, ne jouent pas du tout le jeu de l'équité, elles sont vraiment sur une logique de marché, une logique d'argent et de profits, renchérit Karl Blanchet.

Selon les données de l’Alliance en faveur d’un vaccin universel, seulement 12 % des 994 millions de doses allouées au COVAX par Johnson & Johnson, Moderna, AstraZeneca-Oxford et Pfizer-BioNTech ont été effectivement livrées. C’est quinze fois moins que les 1,8 milliard de doses livrées aux pays riches par les pharmaceutiques.

Quelle solution?

À court terme, il faut redistribuer le plus possible de doses aux pays pauvres afin d’augmenter le nombre de personnes vaccinées et réduire le risque que posent les variants, soutient Karl Blanchet. Plutôt que de prioriser une troisième dose pour tous dans les pays riches, il faut vacciner le reste du monde tout de suite, observe-t-il. Sinon, ce sera à recommencer dans six mois avec de nouveaux vaccins.

Les pays du Nord n'ont rien compris à ce qu’est qu'une pandémie. Ne pas vacciner les pays du Sud, c'est se retrouver demain avec de nouveaux variants et devoir recommencer à zéro la vaccination avec de nouveaux vaccins, ce qui coûtera, finalement, beaucoup plus cher.

Une citation de Karl Blanchet, directeur du Centre d’études humanitaires Genève.

Selon lui, l’échec de COVAX représente un échec de la santé globale à fonctionner de manière équitable et globale.

À moyen terme, il faut tirer des leçons de cet échec et revoir fondamentalement la façon dont fonctionnent la recherche et le développement pour atteindre un meilleur équilibre entre les intérêts des pharmaceutiques et l’intérêt public, estime Kate Elder. On devrait notamment attacher des conditions au financement public, alléger les barrières à la propriété intellectuelle, promouvoir le transfert de technologie et exiger la transparence en ce qui concerne les coûts et les prix.

Le leadership des organisations régionales devrait aussi être encouragé, souligne Krishna Udayakumar, qui rappelle que l’Africa Vaccine Acquisition Trust (Fondation pour l'acquisition de vaccins en Afrique), a permis l’achat groupé de plus de 400 millions de doses de vaccins pour des États membres de l’Union africaine.

Si COVAX n’a pas été à la hauteur des attentes, il a tout de même permis à des millions de personnes dans des pays à faible revenu d'avoir accès au vaccin, rappelle Karl Blanchet. Imaginons un monde où COVAX n’existait pas, avance-t-il. Chaque gouvernement va faire son petit marché diplomatique [...] et, à la fin, on va se retrouver avec unpatchwork encore pire que ce qu'on a aujourd'hui et des inégalités bien plus importantes.

Conscient des problèmes, le comité de direction de COVAX est en train d’effectuer des changements, en particulier sur la façon dont les pays riches peuvent continuer à participer au mécanisme.

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