Des documents d’archives sur les pensionnats pour Autochtones… à Rome

Cette photo tirée des Archives Deschâtelets montre des élèves autochtones d'un pensionnat dirigé par des Oblats à Fort George, au Québec, en 1938 ou 1939. L'établissement a été en opération entre 1937 et 1981.
Photo : Centre national pour la vérité et la réconciliation
Des chercheurs de l’Université d’Ottawa ont des raisons de croire que certains documents d'archives sur les pensionnats pour Autochtones sont désormais uniquement accessibles à Rome. Ils demandent que le Vatican retourne ces documents historiques au Canada, afin de reconstituer l’histoire de 48 pensionnats pour Autochtones, autrefois dirigés par l'ordre des Oblats de Marie Immaculée.
Ces documents appartiennent au Canada. Ils appartiennent avant tout au peuple et ils doivent revenir par assignation à comparaître ou par l'Église. Le pape lui-même peut suspendre le droit canonique et nous les rendre
, estime Brenda Macdougall, professeure et titulaire de la Chaire de recherche sur les traditions familiales et communautaires chez les Métis à l'Université d'Ottawa.
« La réconciliation ne peut jamais avoir lieu si nous n'avons pas accès à ce corpus complet de documents. »
À partir de la fin des années 1800, l'ordre des Oblats de Marie Immaculée a joué un rôle important dans le développement des écoles pour les Autochtones au Canada.
L'ordre catholique a dirigé plusieurs établissements à travers le pays, y compris les trois anciens pensionnats où des tombes anonymes ont été récemment découvertes à Kamloops, en Colombie-Britannique, à Marieval, en Saskatchewan et près de Brandon, au Manitoba.
Aujourd'hui, les Oblats de Marie Immaculée comptent seulement quelques centaines de prêtres pour effectuer ce que leur chef actuel, le père Ken Thorson, appelle l’importance de comprendre ce qui s'est passé [avec les pensionnats pour Autochtones ] et d’accepter ces vérités avec une profonde humilité
.
Selon le Centre national pour la vérité et la réconciliation (CNVR), les Oblats disposent d'une vaste collection d'archives, notamment des correspondances, rapports, dossiers personnels, documents financiers, photographies et listes
, le tout en lien avec les 48 pensionnats pour Autochtones qu’ils dirigeaient à l’époque.
Depuis 2011, le CNVR
a acquis et numérisé des centaines de ces documents, mais selon les chercheurs, plusieurs autres sont toujours inaccessibles.À lire aussi :
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Des archives qui ont été déplacées
Une grande partie de ces documents étaient conservés aux Archives Deschâtelets, anciennement situées près de l'Université Saint-Paul, à Ottawa. Or, en 2014, les archives ont été déplacées au campus des Oblats de Marie Immaculée à Richelieu, au Québec.
Les Archives Deschâtelets étaient l’endroit où se trouvaient tous les dossiers en lien avec les missions qui ont été menées dans l’ouest, le nord et l’est du pays
, indique la professeure Macdougall, qui a eu accès à ces archives jusqu’à leur déménagement.
Des demandes récentes d’archives auprès des Oblats ont révélé que certains documents qui avaient préalablement été consultés par la professeure et ses collègues avaient quitté le pays et se trouvaient désormais à Rome, sans copie accessible au Canada.
Les documents en question concernent l'histoire des premiers pensionnats dans le nord de la Saskatchewan. Les Oblats leur auraient répondu que tous les documents appartenaient à Rome
.
D’autres documents cachés... et jetés?
Des étudiants au doctorat de l'Université d'Ottawa qui ont eu recours aux archives des Oblats de Marie Immaculée à Ottawa ont déclaré à CBC
avoir déjà trouvé une foule de documents dans une benne à ordure à l’extérieur de l’établissement en 2014.À l’époque, les Oblats avaient mentionné qu’il s’agissait uniquement de livres endommagés ou bien des copies. Lorsque les chercheurs ont tenté de récupérer ces livres et ces documents, les camions de recyclage avaient déjà fait leur travail.
La professeure Brenda Macdougall se demande si d’autres documents pourraient aussi avoir été dissimulés et dit faire preuve de méfiance par rapport à la volonté de transparence des Oblats.
Les historiens auraient dû être consultés au fur et à mesure que les archives étaient emballées, déplacées, jetées ou bien envoyées dans différentes régions
, estime la professeure en ajoutant ne pas savoir exactement ce qui a été transféré, à ce stade-ci, hors du pays
.
« Ce que nous avons remarqué au fil des ans, c’est que plusieurs archives que nous avons consultées sont désormais inaccessibles. »
Un accord avec le CNVR
Les Oblats de Marie Immaculée et le CNVR
sont en train de rédiger un accord pour le partage de documents.Au fil du temps, les Oblats de Marie Immaculée ont acquis une meilleure compréhension de l'importance d'un accès complet et transparent aux informations liées à tous les aspects de l'administration des pensionnats autochtones
, a écrit le père Thorson, en réponse aux questions de CBC .
Les Archives Deschâtelets peaufinent présentement leur politique, outils et pratiques
, ajoute le père Thorson, en indiquant que l’ordre a embauché du personnel supplémentaire aux archives de Richelieu, mais aussi à celles de Winnipeg et d'Edmonton et qu'il est en train de transférer les journaux quotidiens tenus par les Oblats qui administraient les pensionnats.
Des chercheurs de la Commission de vérité et réconciliation (CVR) qui se sont rendus aux Archives Deschâtelets en 2011 ont pourtant rapporté à CBCbienvenus
après avoir fait une demande pour numériser et inspecter certains documents.
Interrogé à ce sujet, le père Thorson a nié ces allégations, puisque selon lui les Oblats ont continué à fournir des documents à la CVR après novembre 2011
.
Les fouilles se poursuivent dans les pensionnats
Dans la communauté de Bobby Cameron, chef de la Fédération des nations autochtones souveraines, les survivants et leurs descendants sont toujours à la recherche d'informations sur le pensionnat St. Michael, une autre école gérée par les Oblats au nord de Saskatoon.
Selon lui, les Oblats avaient promis par le passé de publier des documents sur le sujet, mais craint, lui aussi, que ces archives ne soient plus Canada.
Nous attendons toujours. C'est d'une importance cruciale, car de nombreuses familles ont encore besoin de boucler la boucle et de découvrir la vérité. Ces dossiers vont révéler, les noms, les dates, les heures et même où un individu pourrait être enterré
, indique Bobby Cameron.
Au Canada, les Oblats de Marie Immaculée ne sont pas le seul ordre religieux à posséder des documents importants liés aux pensionnats pour Autochtones.
Le CNVR
demande également aux gouvernements provinciaux et aux bureaux des coroners de rendre les documents accessibles aux communautés autochtones.Avec les informations de Julie Ireton