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L’eldorado vert des déchets de l’exploitation de l’amiante

Les régions de Val-des-Sources et de Thetford Mines pourraient bientôt commencer à tirer profit des haldes minières créées par plus d'un siècle d'exploitation de l'amiante.

Un village surplombé par une montagne de résidus.

La région de Thetford Mines pourrait bientôt commencer à tirer profit des haldes minières créées par plus d'un siècle d'exploitation de l'amiante.

Photo : Radio-Canada

Même s'il n'y a plus d'extraction d'amiante au Québec depuis plusieurs années, les résidus laissés par cette exploitation pourraient s'avérer une véritable manne pour des compagnies minières de l'Estrie et de Chaudière-Appalaches. Alliance Magnésium, à Val-des-Sources, et ECO2 Magnesia, à Sacré-Coeur-de-Jésus, comptent transformer une partie des quelque 800 millions de tonnes de haldes minières en divers minéraux - nickel, magnésium, oxyde de magnésium, fer, etc. - et ce, pendant de nombreuses années.

Métallurgie Magnola avait tenté le coup il y a 20 ans, et avait même construit une usine pour se lancer dans la production de magnésium. Le projet avait toutefois échoué, et ses installations avaient été démantelées avant même d’avoir atteint leur plein potentiel de production. Alliance Magnésium est maintenant installée sur ce site; elle est convaincue de réussir là où Magnola a raté son coup.

L'usine de Métallurgie Magnola.

L'usine de Métallurgie Magnola à Danville a été démantelée en 2009 (archives).

Photo : Radio-Canada

Le site d'Alliance magnésium.

C'est sur le site de Métallurgie Magnola qu'Alliance Magnésium est établi.

Photo : Radio-Canada

C'est que la situation économique fait en sorte que la demande de magnésium est importante, ce qui était loin d’être le cas au début des années 2000, lorsque Métallurgie Magnola tentait de percer le marché.

Le marché mondial était alors à environ 300 000 tonnes de magnésium à l’époque, et aujourd’hui, il est à 1,2 million de tonnes. On parle d’un marché à très forte croissance. La production est concentrée en Chine, où il y a beaucoup de problèmes énergétiques, ce qui fait que les prix ont énormément augmenté. L'industrie de l'aluminium demande beaucoup de magnésium parce qu'elle a besoin d'alliage et elle est en rupture de stock, explique le président et chef des technologies chez Alliance Magnésium, Joël Fournier.

L’industrie automobile représente d’ailleurs un marché important pour le magnésium qui sera produit dans la MRC des Sources. Lorsqu'Alliance Magnésium fonctionnera à plein régime, en 2025, ce sont de 325 à 350 employés qui devraient produire 50 000 tonnes de magnésium par an.

Depuis un certain temps, on travaille sur la diversification économique et c’est très intéressant. C’est plein de créneaux que nous n'avions pas avant. Avant, nous étions une ville mono-industrielle, alors que maintenant, nous sommes rendus une ville diversifiée [qui comprend] le créneau des résidus miniers avec Alliance Magnésium.

- Hugues Grimard, maire de Val-des-Sources

Une route sillonne le long de la rivière Bécancour jusqu'aux haldes qui entourent la ville de Thetford Mines.

Les haldes surplombent les environs de Thetford Mines.

Photo : Radio-Canada

Un procédé plus écologique

Pour Marc Olivier, professeur-chercheur au Centre de transfert en écologie industrielle (CTTEI) et à l’Université de Sherbrooke, il n’y a pas de comparaison à faire entre le procédé développé par Alliance Magnésium et ce que proposait Métallurgie Magnola à l’époque.

Dans l’ancien procédé Magnola, il y avait des impacts environnementaux non négligeables. Vous avez eu une série de gens qui ont levé des codes d'alerte. Il y a avait [des risques] de faire des organochlorés [composés chimiques] de grande toxicité. Il n’y a rien de ça dans le procédé d’Alliance, signale M. Olivier.

Joël Fournier.

Le président et chef des technologies d'Alliance magnésium, Joël Fournier

Photo : Radio-Canada

Nous l’avons démontré en usine pilote, qui est en fonction depuis trois ans [...] Nous avons opté pour une technologie de séchage différente qui est reconnue pour ne pas émettre d'organochlorés, assure pour sa part le président d'Alliance Magnésium, Joël Fournier.

Ça nous donne le procédé le plus propre au monde pour produire du magnésium. C'est quand même intéressant de pouvoir le faire comme ça plutôt que d'acheter le magnésium avec un grand impact environnemental en Chine ou en Russie.

Une citation de Joël Fournier, président et chef des technologies chez Alliance Magnésium

Ce processus est beaucoup moins complexe. On parle d’utiliser des acides pour pouvoir désengager le magnésium de l'amiante. C'est un processus qui est généralement plus vert, mais il faut recycler les acides et s'assurer qu’ils ne restent pas dans les talus. C'est un processus qui devrait être plus vert si tout est fait correctement, ajoute le professeur associé au Département de génie chimique à l’École polytechnique de Montréal Richard Boudreault.

Joël Fournier explique que la phase de commercialisation a commencé en valorisant le magnésium recyclé. Les premiers lingots ont été coulés à l’été 2021. Au début de 2023, l’usine de production de magnésium à partir des haldes minières devrait se mettre en branle.

Une halde minière est un amoncellement des déchets découlant de l'exploitation d'une mine.

La réserve de matière première à côté de laquelle l’usine sera construite est d'ailleurs immense. Selon Alliance Magnésium, les résidus issus du site minier de Val-des-Sources équivalent à 685 terrains de football.

C’est le plus grand dépôt et de loin au Québec. On parle sur le même site de 200 millions de tonnes de résidus qui ont été produits sur une période de plus de 100 ans, signale Joël Fournier.

Un véhicule d'Alliance magnésium sur des haldes minières.

La quantité de résidus miniers disponible pour Alliance magnésium à Val-des-Sources équivaut à 685 terrains de football.

Photo : Radio-Canada / René-Charles Quirion

Une production d'oxyde de magnésium verte

À une centaine de kilomètres de Val-des-Sources, la région de Thetford Mines croit aussi au potentiel de ces montagnes grises qui font partie du paysage depuis plus d’un siècle. L’entreprise ECO2 Magnesia compte produire 60 000 tonnes d’oxyde de magnésium par année à son usine, qui sera construite à la mine Carey, à Sacré-Coeur-de-Jésus, près de Thetford Mines.

Le professeur à l'Institut national de recherche scientifique (INRS) Louis-César Pasquier a mis au point avec son équipe une technologie pour produire de l’oxyde de magnésium à partir des résidus miniers de l'exploitation de l’amiante. Ce procédé est une innovation puisque ce sera le premier oxyde de magnésium à faible empreinte carbone.

Louis-César Pasquier.

Le professeur à l'INRS Louis-César Pasquier tient de l'oxyde de magnésium dans sa main.

Photo : Radio-Canada

C’est une technologie qui est simple et efficace. On met le résidu minier qu’on va avoir traité thermiquement dans de l'eau à laquelle on va ajouter du CO2. Le CO2 va acidifier l’eau ce qui va permettre d’aller chercher le magnésium. Et c’est à partir de ce magnésium qu’on va produire des carbonates de haute pureté. Le CO2 est récupéré pour recommencer le processus, signale Louis-César Pasquier.

Le professeur Pasquier, qui agit aussi comme directeur du comité scientifique d’ECO2 Magnesia, explique que les marchés pour l’oxyde de magnésium sont très vastes. Cette matière première peut être utilisée dans des domaines aussi variés que le pharmaceutique, l’environnement, les industries ou l’agriculture.

L’oxyde de magnésium, lorsqu'il est chauffé à haute température, est très stable. Donc ça permet d’isoler les équipements industriels qui travaillent à haute température. On peut aussi le trouver dans l’environnement, dans le traitement de l’eau, dans l’agroalimentaire. Il y a un tas de marchés, [ce] qui est intéressant pour notre partenaire.

Une citation de Louis-César Pasquier, professeur à l'Institut national de recherche scientifique

Depuis toujours, j'ai considéré que ces montagnes de résidus miniers étaient un compte en banque pour les régions de Thetford Mines et de Val-des-Sources [...] Nous avons travaillé très fort sur le plan fédéral, moi et mon collègue Alain Rayes, [...] pour que l’on puisse exploiter les résidus miniers. Quand le gouvernement fédéral a adopté son règlement sur l'amiante, il a prévu la situation dans laquelle on pourra exploiter les montagnes de résidus miniers, si on le fait d'une manière sécuritaire. L'autre élément important c'était de reconnaître le magnésium sur la liste des minéraux critiques du Canada. C’est fait.

- Luc Berthold, député de Mégantic-l’Érable et ancien maire de Thetford Mines

Le potentiel des deux régions

En plus du magnésium et de l'oxyde de magnésium, le nickel, la silice et le fer qui se trouvent dans ces résidus miniers pourraient éventuellement être valorisés.

Pour Richard Boudreault de l’École polytechnique de Montréal, le potentiel de ces haldes minières demeure intéressant.

Il y a des talus énormes dans les deux régions. Ça donnerait la possibilité de développer de nouvelles entreprises et d’offrir des salaires. Ça pourrait être très positif de prendre les talus et de ressortir les matériaux qui pourraient être de grande valeur. Il y a des matériaux critiques qui sont utiles pour les nouvelles technologies. Il faut que le procédé soit fonctionnel et vert. Le potentiel existe et il est très présent, estime le professeur Boudreault.

Pour Marc Olivier de l'Université de Sherbrooke, l'adhésion sociale aux projets de valorisation des ces haldes minières est essentielle. Il croit aussi au potentiel économique pour plusieurs décennies, pourvu que se poursuivent les efforts de diversification.

Trois aspects doivent se combiner pour le développement durable. J’ai besoin d’acceptabilité sociale, j’ai besoin de pérennité économique et j’ai besoin de protection de l'environnement, estime Marc Olivier.

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