Labeaume déconstruit le projet de 3e lien dans une lettre à Legault

Régis Labeaume dans ses derniers jours à titre de maire de Québec (archives)
Photo : Radio-Canada
Prenez note que cet article publié en 2021 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Le maire Régis Labeaume a profité de sa toute dernière journée en poste pour envoyer une longue lettre à François Legault dans laquelle il tente de démontrer que le 3e lien n’est pas la bonne solution pour améliorer la mobilité à Québec.
Que ce soit comme premier ministre ou comme maire, il nous arrive parfois de ne pas posséder à notre niveau tous les détails des projets
, souligne Régis Labeaume d’entrée de jeu, alors que la Coalition avenir Québec (CAQ) avait, dès 2017, fait du troisième lien une de ses promesses phares en vue des élections générales d'octobre 2018, qu'elle a remportées.
Dans tous les cas de figure, c’est toutefois nous qui demeurons imputables et nous devons assumer une ou des erreurs que nous ne pouvions distinguer au départ
, poursuit le maire en notant que le premier ministre aurait tout à fait le droit de changer d’idée
.
Dans cette lettre, Régis Labeaume avance de nombreux arguments pour remettre en question l’utilité d’un troisième lien entre le centre-ville de Québec et celui de Lévis.
Circulation à l’ouest
Le maire sortant rappelle que l’étude origine-destination publiée en 2019 par le ministère des Transports a montré que les trois quarts des véhicules qui empruntent les ponts existants chaque jour transitent de l’ouest de Lévis à l’ouest de Québec.
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Avec l’emplacement actuel du troisième lien, Régis Labeaume doute que ces automobilistes puissent réaliser un gain de temps dans leurs déplacements.
Comment ces automobilistes gagneraient-ils du temps avec ce type de parcours?
, demande-t-il au premier ministre, alors qu’il leur faudrait rouler des kilomètres supplémentaires vers l’est afin d’utiliser un tunnel pour se retrouver sur des axes routiers qui sont déjà en congestion
.
Portrait démographique
Le maire Labeaume note aussi qu’au cours des dix dernières années il s’est construit deux fois plus de logements dans la portion ouest de Lévis qu’à l’est de la ville. Quant aux municipalités voisines du côté est, Régis Labeaume avance que la MRC de Bellechasse connaîtra la plus faible croissance démographique
de la région.
A contrario, c’est la MRC de Lotbinière, à l’ouest, qui connaîtra la plus forte croissance démographique, soit de 21 %, pour atteindre près de 40 000 personnes en 2041
, poursuit le maire pour expliquer que les nouveaux résidents de la région seront plus enclins à traverser vers Québec par les ponts existants que par un éventuel troisième lien.
Régis Labeaume constate aussi que la population de Lévis et des trois MRC qui l’entourent est vieillissante. L’Institut de la statistique du Québec prévoit que 81 000 personnes de cette ville auront 65 ans et plus en 2041, en hausse de 74 %.
La population de 65 ans et plus de la Rive-Sud sera presque totalement constituée de retraités qui se déplaceront naturellement hors des périodes de pointe
, avance Régis Labeaume pour jeter un doute de plus sur la nécessité d’un troisième lien.
Solutions de rechange
Le maire sortant ne se contente pas de remettre en question le projet du gouvernement caquiste, il avance aussi plusieurs pistes de solution pour améliorer la mobilité dans la région à moindre coût.
La première consisterait à ajouter une voie de circulation sur le pont Pierre-Laporte dans le sens du trafic le matin et le soir, comme cela se fait sur le Golden Bridge à San Francisco
pour augmenter du tiers la capacité de circuler sur le pont
.
Régis Labeaume souligne aussi l’importance de reconfigurer le réseau routier permettant d’accéder aux ponts existants et la création d’un système de transport en commun plus efficace du côté de Lévis.
Conjointement, ces solutions corrigeraient la situation de la congestion routière pour longtemps, me semble-t-il, et ce, pour seulement une partie des 10 milliards de dollars d’investissements prévus pour le tunnel
, conclut Régis Labeaume.
Les coûts du tramway
Dans la deuxième portion de sa lettre de 14 pages, Régis Labeaume impute les dépassements de coûts potentiels du tramway, récemment évalués à 600 millions de dollars, au gouvernement Legault et lui demande de payer la facture.
Dès l’été 2020, Régis Labeaume a envoyé deux lettres au premier ministre Legault pour le prévenir des risques importants d’un retard. Plus tôt nous faisons appel au marché, meilleurs seront les prix soumis. À l’inverse, le projet pourrait coûter plus cher
, écrivait le maire le 23 juin en insistant sur l’importance pour le gouvernement de signer le décret pour permettre de lancer les appels de proposition à la fin du mois d’août.
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On connaît la suite, les appels de propositions ont finalement été lancés sept mois plus tard, en avril 2021 et un seul consortium a fait part de son intérêt pour réaliser le projet. Devant l’absence de compétition, la Ville de Québec a décidé de reprendre le processus du début.
Régis Labeaume qualifie cet enchaînement d’événements de pire scénario
et blâme le gouvernement pour avoir imposé, sur le tard, un changement au tracé du projet
.
La CAQ change les règles
Le maire Labeaume estime aussi que le gouvernement a commis un impair important en imposant que la majorité des pièces du matériel roulant soient fabriquées au Canada alors que les appels de qualification étaient terminés.
Cette décision a eu pour effet d’exclure d’emblée les entreprises qui n’ont pas d’usine au pays. Le maire sortant reproche au gouvernement d’avoir changé les règles du jeu
, alors que le processus d’approvisionnement était déjà amorcé.
La vente de la division ferroviaire de Bombardier au géant français Alstom, en janvier 2021, a également brouillé les cartes puisqu’il s’agissait, en fin de compte, des deux seules entreprises qui pouvaient respecter les obligations sur le contenu canadien.
« En somme, aucun des retards qui provoqueront des augmentations de coûts ne sera attribuable à la Ville, bien au contraire. Dans ces circonstances, je crois que la population de Québec est en droit de s’attendre à ce que le gouvernement assume ces conséquences. »
Régis Labeaume demande donc au gouvernement de renoncer à l’entente qui prévoit le partage des coûts additionnels à parts égales entre la Ville de Québec, le gouvernement du Québec et le gouvernement du Canada.
Il laisse entendre que cette entente a été signée par la Ville à contrecœur puisqu’aucune autre issue n’était possible pour permettre le démarrage du projet
. Régis Labeaume souligne aussi que le gouvernement n’a jamais demandé à Montréal d’assumer une part des dépassements de coûts dans les projets de transport en commun.
En point de presse à Shawinigan vendredi matin, le premier ministre François Legault a indiqué qu'il avait l'intention de répondre à M. Labeaume, mais qu'il n'avait pas encore eu le temps de lire la lettre. Je ne l'ai pas lue. Je vais la lire. M. Labeaume n'est plus maire de Québec, mais c'est un observateur qui a droit à ses commentaires sur le tramway et le troisième lien
, a commenté le premier ministre.