ChroniqueSandra Demontigny, héritière de l’oubli
Pendant trois ans, l’animateur du Téléjournal Québec, Bruno Savard, a accompagné la Lévisienne souffrant d’alzheimer précoce dans son quotidien. Il explique dans ses mots la genèse du documentaire L'oubli en héritage.

Sandra Demontigny a appris dès le début, en 2019, ce que son diagnostic d'alzheimer signifierait pour les prochaines années de sa vie.
Photo : Radio-Canada
Prenez note que cet article publié en 2021 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Même si on entend très fréquemment parler d’alzheimer, on se rend bien compte qu’individuellement, on en sait très peu sur la maladie tant qu’on n’y est pas confronté. Pour ma part, avant de connaître Sandra Demontigny, mon seul et unique contact avec cette réalité fut bref… Bref et violent.
Ma marraine a été atteinte d'alzheimer. Cette jeune grand-mère pleine de vivacité avait montré certains signes de démence au début de la soixantaine. Le diagnostic avait surpris tout le monde dans la famille. Comme mes racines sont saguenéennes et que, parfois, les gens de cette région – ce n’est pas un mythe! – ont tendance à exagérer, je me disais que ma tante Thérèse ne devait pas être aussi avancée dans la maladie que ce que me disaient mes parents. Comme si je refusais cette réalité.
Pendant la période des Fêtes de 2013, je me suis rendu la visiter au CHSLD de la Colline, à Chicoutimi. Elle était méconnaissable. C’est fou à quel point des signaux qui ne passent plus dans le cerveau peuvent altérer même l’aspect physique d’une patiente!
L’image qui me reste en mémoire de cette personne, qui n’était plus ma tante, est gravée à tout jamais dans ma tête. Elle était assise dans une chaise, contentionnée, totalement incohérente. Elle ne m’a jamais reconnu et m’a raconté que son mari était parti au sous-sol pour aller chercher le bois de chauffage. C’était émotionnellement souffrant de la voir tenter de se défaire de la ceinture qui la maintenait sur cette chaise. Elle est morte cinq mois plus tard.
Cet épisode m’a réellement marqué. J’ai beaucoup pensé à sa famille, à son mari, ses trois filles, ses petits-enfants. Tous ces projets de retraite qui leur ont été volés. Cette maladie impose aux proches une forme de deuil progressif. C’est l’âme de la personne qui s’efface peu à peu. Ce qui reste, c’est le cadre physique.
Il en ressort une cruelle prise de conscience : cette personne, qui est devant nous, n’est plus celle qu’on a aimée. Elle n’y est que partiellement. Les morceaux du casse-tête qui formaient une si belle image disparaissent les uns après les autres… Tout ce qui reste sur le lit d’hôpital, c’est le contour. C’est un corps.

Sandra Demontigny
Photo : Page Facebook de Sandra Demontigny
Le cas de Sandra
La première fois que j’ai rencontré Sandra Demontigny, ce sont toutes ces images qui me sont revenues en tête. En décembre 2018, elle avait 39 ans. Elle avait appris six mois plus tôt qu’elle était atteinte de la maladie d’Alzheimer. Elle était la mère d’un préadolescent, d’un adolescent et d’une très jeune adulte. Comment la vie peut-elle imposer ça à une famille?
Ils ne sont pas les seuls à vivre ce genre de drame, je le sais. Et si, justement, leur histoire pouvait donner de la force à d’autres?
Je me souviens d'avoir pris mes aplombs avant de lancer l’idée d’un documentaire sur leurs vies. Je suis allé voir la directrice de l’information de la salle de nouvelles. J’en ai parlé rapidement à celui qui allait être mon partenaire indéfectible dans cette aventure, le caméraman Steve Breton. S’est joint à nous le réalisateur François LaRochelle. Ultimement, j’ai invité Sandra à prendre un café. Je lui ai proposé l’idée de documenter sa vie à la caméra.
J’avais bien peu d'informations à lui livrer pour la convaincre puisque, moi-même, je n’avais aucune idée de ce dans quoi je nous embarquais tous. Mais je savais une chose : nous tenions une bonne histoire, nous devions documenter tous les deuils que cette famille allait devoir faire.
Puis, s’est ajouté l’éminent neurologue Robert Jr Laforce. Il est directeur de la Chaire de recherche Famille Lemaire sur les aphasies primaires progressives. Il a été d’une aide inestimable. C’est lui qui nous a mis en contact avec l’un des chercheurs les plus réputés de la planète, le Dr Randy Bateman, de l’Université de Washington, à St. Louis.
La loterie génétique

La famille de Sandra Demontigny sait qu'elle joue un rôle d'appui important.
Photo : Radio-Canada
Nous avons discuté avec Sandra et avec chaque membre de sa famille. Ils en connaissent malheureusement un bout sur l’alzheimer. Le père de Sandra est mort des suites de la maladie. Sa grand-mère aussi. Dans leurs cas, c’est purement génétique. Et vous savez quoi? Sandra a assurément filé le gène à au moins l’un de ses trois enfants… Peut-être les trois!
À leur âge, Sandra et son frère Dany étaient dans la même situation, mais n’en étaient pas conscients. Ce n’était pas connu et documenté dans ce temps-là. Comment vivre à 12 ans, 16 ans et 20 ans tout en sachant qu’on a peut-être cette chose en cours? Comment vivre en sachant que l’on devra être les proches aidants d’une femme qui sera de plus en plus diminuée? Et en sachant que ce sera peut-être soi-même dans 20 ans?
Voilà l’histoire que nous racontons dans L’oubli en héritage. Un film sur la résilience, la science et une fatalité qui nous guette tous : vivre avec la maladie d’Alzheimer. Mais c’est aussi un récit d’espoir, puisque pendant la période que nous avons consacrée à ces tournages, la recherche médicale a fait des pas immenses. Des pas qui nous rapprochent du jour où l'on saura guérir cette maladie.
La question est de savoir : est-ce que ce sera assez tôt pour sauver Sandra et les 208 Canadiens qui ont appris aujourd’hui qu’ils sont atteints de troubles cognitifs liés à l’alzheimer?
Le documentaire L'oubli en héritage sera diffusé à Doc humanité, sur les ondes d'ICI Télé, le samedi 13 novembre à 22 h 30.