Élections à Sherbrooke : retour sur une soirée historique
En plus de la première mairesse, les Sherbrookois ont aussi élu le premier conseiller noir et la première conseillère issue de l'immigration.
Photo : Radio-Canada / Christine Bureau
Prenez note que cet article publié en 2021 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Une phrase lancée à travers les applaudissements répétés et les cris de joie d’une foule bruyante résume bien ce qui vient de se produire à Sherbrooke : « Évelyne Beaudin vient de marquer l'histoire. Le plafond de verre a éclaté ».
Le bénévole François Villeneuve est tout sourire au milieu de ce groupe rassemblé pour célébrer la victoire de la jeune politicienne âgée de 33 ans. Pour la première fois, on a une mairesse à Sherbrooke. C’est extraordinaire
, se réjouit celui qui est aussi vice-président de l’Association citoyenne pour les espaces verts de Sherbrooke.
L’ambiance est survoltée au Boquébière alors que les militants savourent avec une grande satisfaction le dépouillement des résultats. Après deux mois d’une campagne éreintante, mais aussi stimulante comme l'ont mentionné les candidats à plusieurs reprises, le parti Sherbrooke citoyen a fait élire la première femme mairesse de l’histoire de Sherbrooke. Six membres du parti font aussi leur entrée à la salle du conseil, qui offrira désormais un visage plus fidèle de la diversité culturelle de la reine des Cantons-de-l’Est
.
Sherbrooke citoyen, qui présentait des candidats dans tous les districts et arrondissements, montre l’image d’une équipe bien organisée qui a su tisser des liens serrés dans les derniers mois. Les accolades, les rires, les blagues lancées témoignent d’une ambiance quasi familiale.
Une heure avant la fermeture des bureaux de vote, Évelyne Beaudin appelait encore des électeurs pour les inciter à aller voter. Tout au long de cette grande aventure, elle a pu compter sur l’appui indéfectible de ses parents, de sa sœur et de ses deux frères qui, tour à tour, se sont impliqués dans la campagne. C’est d’ailleurs dans la maison familiale que la nouvelle mairesse a passé une partie de sa soirée avant de faire une entrée triomphale devant ses partisans au centre-ville de Sherbrooke.
« Il y a tellement de personnes à remercier, mais ma famille a été un élément majeur pour moi ces derniers mois. J’avais besoin d’avoir cette approbation de mes proches, parce que je savais qu’ils vivraient le stress que je vivrais. »
Sa mère, Micheline, a contribué à sa campagne d’une manière importante en appelant des milliers d’électeurs, à raison de quatre heures par jour. Sa tâche était de contacter les aînés des quatre coins de la ville pour les convaincre de voter pour sa fille. Elle connaissait dans tous les détails le programme de Sherbrooke citoyen pour bien répondre aux questions des électeurs. Son père, Jean, s’est pour sa part impliqué en faisant du porte-à-porte. Quel parent ne serait pas fier de sa fille? Ce que les gens ignorent, c’est qu'elle a travaillé énormément. Ça fait au moins 11 mois qu’elle est là-dessus. À trouver et à choisir des candidats,
précise son père.
La cheffe a visiblement fait des choix heureux, comme celui de Fernanda Luz, arrivée du Brésil il y a 12 ans seulement. Elle devient la première personne immigrante au conseil en reprenant le siège qu' Évelyne a occupé pendant quatre ans. Lorsqu’on arrive dans ce pays qui nous accueille, ce n’est pas la première chose qu’on pense à faire [se faire élire comme conseillère municipale]. Pour moi, il y a une force très symbolique d’intégration. Quand on arrive à s'intégrer dans la sphère politique, pour moi c’est très fort. C’est le visage de Sherbrooke qui est [maintenant] bien représenté par toute cette diversité
, affirme fièrement celle qui a travaillé dans le réseau de la santé depuis son arrivée en Estrie.
J’essaie de m’imaginer moi, débarquer à Rio de Janeiro, et me présenter aux élections, en portugais, dans 12 ans
lance Évelyne, admirative face à ce que sa candidate vient de réaliser.
Du sang neuf et jeune
La candidate Joanie Bellerose, une jeune politicienne, fait elle aussi son entrée au conseil municipal pour la première fois. Cette dernière travaillait comme intervenante à la Maison Jeunes-Est depuis neuf ans. Elle a été charmée par les idées progressistes de Sherbrooke citoyen, et s’est laissée convaincre de se présenter dans le district des Quatre-Saisons, l’ancien fief de Vincent Boutin.
Au cours des dernières semaines, elle a même décidé de jouer le tout pour le tout en quittant son emploi pour se consacrer entièrement à la campagne. C’était un gros risque de quitter un travail que j’aimais énormément. Mais ce n'est pas vrai qu’on peut faire campagne, avoir deux emplois [elle enseigne aussi le yoga] et être mère monoparentale en même temps. J’avais envie de faire ça et de m’engager pour de vrai. Je me suis dit let's go, on fait le saut
, dit-elle, visiblement ravie du résultat.
Cette victoire de Sherbrooke citoyen a été acquise grâce au travail acharné de plus de 300 bénévoles qui ont été actifs jusqu’à la dernière minute pour faire sortir le vote. Parmi eux, beaucoup de jeunes, si on se fie aux personnes présentes aux réjouissances. On dit jeune, mais moi, j’ai 42 ans, précise son directeur de cabinet, Claude Dostie. Je pense que c’est plus la nouvelle génération qui pousse, qui s’organise, qui montre finalement qu’elle est capable de faire des campagnes électorales et de gagner la confiance des gens. C’est ça le message envoyé par Sherbrooke citoyen et par Évelyne. On est capable de gouverner
, se réjouit-il.
Sherbrooke Citoyen, c’est aussi un peu Québec solidaire. Le conjoint de la députée Christine Labrie travaille depuis le mois de mai dans l’équipe d’Évelyne Beaudin pour aider à son élection. Mathieu Poulin-Lamarre a senti beaucoup d’enthousiasme des électeurs tout au long de la campagne. Moi, ça me donne beaucoup d'espoir pour les prochaines années, pour les mouvements citoyens, pour s’occuper vraiment des problèmes de fond comme l’urbanisme, l’environnement ou la prise en charge des plus vulnérables.
« Il se passe quelque chose à Sherbrooke. On sent que la population se politise. »
Geneviève Laroche, qui travaillait jusqu'à tout récemment pour Christine Labrie, a réussi à déloger la conseillère sortante Karine Godbout. Depuis le début, Ascot, pour moi, c’est un district où il y [avait] trois excellentes candidatures. Moi, ce que j’ai senti sur le terrain dans les dernières semaines, c'était juste la popularité d’Évelyne qui montait.
« L’engouement pour les idées de Sherbrooke citoyen, pour le vent de fraîcheur que l’on propose, ça me rend très heureuse. »
Pendant que la fête se poursuit au Boquébière, Évelyne Beaudin et ses candidats élus se rendent à la salle du conseil pour entendre la directrice du scrutin présenter les résultats officiels. Il est presque minuit. La journée a été longue, mais il y a toujours beaucoup d’étincelles dans les yeux des nouveaux élus qui observent l’enceinte où ils prendront place au cours des quatre prochaines années. Plus les heures passent, plus la nouvelle mairesse prend la mesure de ce qu'elle et son équipe viennent de réaliser.
C’est vraiment particulier comme expérience. Je ne vois pas ce qui peut égaler ça. C’est énormément d’émotions. Comme toute nouvelle page de vie, je dirais qu’il y a un moment où on a de la difficulté à le croire. Mais dans quelques jours, je devrais être capable de me retourner quand on me dira madame la mairesse
, conclut-elle en riant.