ChroniqueTrentième anniversaire de Sauvez mon âme : le deux pour un de Luc De Larochellière

Luc De Larochellière et ses musciens se donnaient en spectacle au théâtre Outremont samedi soir.
Photo : Coup de coeur francophone / Jean-François LeBlanc
Prenez note que cet article publié en 2021 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Durant les années 1990, quand le compact était roi, les compagnies de disques rééditaient parfois deux vinyles en un seul album. Aubaine pour le consommateur : du deux pour un. C’est exactement ce que Luc De Larochellière a proposé, samedi soir, au théâtre Outremont.
Les spectateurs qui s’étaient déplacés pour assister à son concert présenté à Coup de cœur francophone venaient pour la célébration du 30e anniversaire de Sauvez mon âme (1990). Ils se doutaient qu’ils allaient aussi entendre quelques-unes des meilleures chansons du premier disque du grand Luc, Amère America (1988).
Après tout, quand il a célébré les trois décennies son premier-né il y a trois ans, De Larochellière interprétait une poignée de chansons de Sauvez mon âme. S’attendre à une inversion de la proposition du répertoire allait de soi. C’est d’ailleurs ce qu’il faisait depuis quelques semaines avec son spectacle.
La plupart des spectateurs savaient donc qu’ils allaient avoir droit à toutes les chansons de Sauvez mon âme en séquence, comme sur le disque compact d’antan. Il n’y avait pas eu de vinyle à l’époque. Mais ils ne s’attendaient pas à avoir également droit à Amère America au complet en première partie. C’était d’ailleurs la toute première fois que De Larochellière offrait à son public cette gâterie double, ce qui sera le cas aussi à Québec, au Palais Montcalm, le 19 novembre.
Les deux albums phares, intégralement et en séquence, avec les neuf extraits radiophoniques qui ont eu du succès, le même soir? En effet. Et avec tous les membres des deux tournées du passé : Marc Pérusse (guitare), Yoland Houle (guitare basse), Sylvain Clavette (batterie), Gérard Cyr (claviers), Paul Picard (percussions) et les choristes Monique Paiement et Dominique Faure. La totale, quoi.

Luc De Larochellière et ses musiciens
Photo : Coup de coeur francophone / Jean-François LeBlanc
Ils étaient tous en vie et ils ont accepté l’invitation de venir jouer
, a ironisé De Larochellière en précisant que son répertoire d’un soir n’allait comprendre que des chansons écrites jusqu’à ses 24 ans. Une exception – assumée : Si je te disais reviens, à l’ultime rappel. On peut parler sans se tromper d’un concert vintage.
Acoustique et électrique
Histoire de diversifier son offre, l’auteur-compositeur et interprète a alterné entre les modes acoustique et électrique, les interprétations individuelles et collectives.
Ouverture avec Amère America en mode minimaliste guitare-voix, uniquement accompagné de la ligne de basse discrète de Houle au fond de la scène (elle a été reprise au rappel avec tout le groupe en mouture électrique). Puis, la totalité des voix et des instruments pour La route est longue, jouée à s'y méprendre comme dans le temps.
Ce qui, par définition, était un concert placé sous le signe de la nostalgie n’était pas passéiste pour autant. Le silence – inspirée de l’attente des autobus à Laval-des-Rapides dans les années 1980 – était bien plus étoffée que sur le disque. Les élections était maintenant charpentée sur une rythmique qui n’était pas sans rappeler Protest Song, de Richard Séguin. Et si Chinatown Blues était fidèle à ses racines, les férus des concerts de l’artiste depuis 30 ans pouvaient mesurer les variantes dans les arrangements, ici et là.

Luc De Larochellière
Photo : Coup de coeur francophone / Jean-François Leblanc
En fait, le seul élément qui clochait un tantinet lors de cette première partie, c’était le chanteur lui-même. Enfin, façon de parler…
De Larochellière a interrompu Chinatown Blues après quelques secondes en demandant à ses techniciens s’il y avait un problème avec sa guitare… avant de réaliser qu’il avait joué les mauvais accords. Deux fois, il a proposé l’introduction liée à l’intimidation qu’il offre d’habitude pour L’entraîneur pour des chansons qui précédaient (Les élections, Encore menteur!). Il a finalement expliqué que c’était lié à ses lunettes à doubles foyers (il a 55 ans) et le fait que les trois titres de chansons commencent par la même lettre.
Loin de provoquer des malaises, les maladresses étaient plutôt rigolotes. Le jeune Luc De Larochellière du tournant des années 1980-1990 se serait liquéfié de trac sur scène après de tels impairs. La version 2021 avec plus de 30 ans de métier a fort bien récupéré le tout.
On célèbre un an plus tard
Était-ce l’instrumentation plus mordante, les introductions mieux fignolées – ou plus courtes –, ou le fait que Sauvez mon âme, écoulé à 175 000 exemplaires, a été plus populaire auprès du public? Toujours est-il que la seconde partie a été plus fluide et plus soudée que la précédente.
C’est comme les Jeux olympiques de Tokyo 2020 qui ont été présentés en 2021. On célèbre le 30e anniversaire du disque un an plus tard à cause de vous-savez-quoi.
Sauvez mon âme, la chanson, a été le proverbial coup de canon avec Luc et ses choristes qui ont bouclé le tout avec éclat. Ma génération – De Larochellière est un X, pas un boomer, comme il s’est déjà fait traiter sur les réseaux sociaux – a été fort réussie, comme d’habitude.
N’ayant jamais réinterprété sur scène la dynamitée La machine est mon amie depuis la tournée de 1990, De Larochellière l’a chantée avec les paroles imprimées sur des feuilles qui reposaient sur un exemplaire de Croc des années 1980 qu’il a lancé à bout de bras en finale. Vintage, disais-je… Il faut admettre que l’énumération-fleuve à débit ultrarapide d’instruments électriques pas toujours essentiels est colossale.

Luc De Larochellière a rappelé à quel point ses vieilles chansons sont toujours d'actualité.
Photo : Coup de coeur francophone / Jean-François LeBlanc
L’anecdote touchant Avenue Foch – lieu de résidence de diplomates –, lorsque le chanteur passait du temps à Paris dans l’appartement du délégué général du Québec parce qu’il sortait avec sa fille, valait le détour. Le clivage entre le pouvoir et le peuple – les prostituées dans la rue – peut difficilement être plus frappant. C’est néanmoins Cash City qui restera à jamais la chanson la plus identifiée à la France. Pas tant en raison de son propos, même si cela peut s’appliquer, mais parce ce qu’elle fut le plus gros succès du Québécois dans l’Hexagone qui a noté que le titre en anglais y était peut-être pour quelque chose.
La toujours sublime Si fragile avec l’amorce à l’harmonica de Marc Pérusse était aussi belle que jadis, tandis que Six pieds sur terre fut une claque rock and roll pas possible, toutes guitares hurlantes.
Plus que ça, elle a rappelé à quel point les vieilles
chansons de Luc De Larochellière sont toujours d’actualité. Le nombre trop élevé de salauds
, de crétins
et de bourreaux
évoqués dans la chanson est à la hausse depuis 30 ans.
Tous les excès et les travers soulignés dans Cash City sont encore présents, tout comme ceux de la religion dont De Larochellière brossait un portait peu flatteur dans Sauvez mon âme. L’Amérique est-elle moins amère de nos jours? Y a-t-il moins d’intimidation et d’agressions chez certains entraîneurs? La route est-elle moins longue pour les millions de migrants dispersés dans le monde? Poser la question, c’est y répondre.
Et étendre Les élections en ce week-end d’élections municipales, il faut admettre, s’est avéré un plaisir coupable. C’est curieux, quand on y pense. Concert nostalgique, a priori. Sur la forme – l’âge du répertoire –, cela va de soi. Sauf que lorsque l’on fait le compte des chansons intemporelles et universelles (Si fragile, Douce jalousie, Le trac du lendemain) et de toutes celles dont les textes d’antan se révèlent encore pertinents, force est d’admettre que nous avons assisté à un concert étonnamment actuel et contemporain.