Sommes-nous de la même gorge qui ne consent plus à la prière?, de Marise Belletête, finaliste du Prix de poésie 2021

Marise Belletête est en lice pour le Prix de poésie Radio-Canada 2021.
Photo : Laurie Cardinal
Marise Belletête est rédactrice et réviseure à son agence de marketing web, REmédia, et chargée de cours à l'Université du Québec à Rimouski (UQAR). Elle a fait paraître son premier roman, L’haleine de la Carabosse, aux éditions Triptyque en 2014. De son propre aveu, la poésie lui permet de s'exprimer davantage sur les sujets qui la touchent plus intimement. « La poésie arrive toujours à me surprendre, à m’amener là où je ne savais pas que j’avais besoin d’aller. »
Les opinions exprimées par les auteurs et autrices ne reflètent pas nécessairement celles de Radio-Canada. Certaines personnes pourraient s'offenser du contenu des textes. Veuillez noter que certains textes s'adressent à un public averti.
SOMMES-NOUS DE LA MÊME GORGE QUI NE CONSENT PLUS À LA PRIÈRE?
Rêve 1
Je me rends compte de la discipline qu’il faut
pour porter en dormant tous les masques de nos aïeules.
Femmes aortes qui pulsent, je parle parfois avec vos fatigues.
On finira par assimiler nos goûts de fruits trop mûrs.
Les dégradés du lointain accrochés à nos lèvres fendues.
Retrouver les champs d’où l’on vient.
Cette étendue plane de terre fine et de sortie de route.
À cultiver sous le chant des grillons
nos corps qui fuient.
Des réflexes pour soigner nos canicules.
*
Rêve 2
Nous avons lavé nos chrysalides
comme des draps
étendus un moment
pour reprendre possession
peut-être l’âme des textiles.
L’apparence intransgressible
de nos contours cintrés dans les
rangs de pommes de terre.
On respire par le ventre
presque morte.
Allez savoir si le mal arrive
à découdre ce qui dort déjà
sans paupières.
*
Rêve 3
C’est le temps de se déshabiller.
On ne sait plus qui est la poupée de qui.
Cela fait longtemps qu’on enterre ensemble
nos épaules dans la laine.
Ma fille. Ma douce, ma vieille.
Mère enfant de moi-même.
Je défais doucement ton visage.
Sur la chaise berçante, laissons nos vêtements de papier
pour les superposer aux précipices.
*
Rêve 4
Notre mémoire peut faire
peur comme une tache de naissance
on ne s’en cache pas
car nous voyons plus clairement
la cire fondre,
les poudres pâlir.
Nos images saintes,
joues roses, assiettes dorées sur la tête.
Le temps où la forêt n’était pas encore
drue entre nos cuisses.
Lorsque nous avions des yeux immenses
de chouettes.
*
Rêve 5
Nous collectionnons les scènes de la nativité
comme on prépare son corps à attendre un miracle.
Nous apprenons.
L’enfant arrive d’en haut.
Quand nous serons prêtes,
nous lèverons les yeux.
Comme la femme bleue observant le plafond.
Par-delà l’infiltration d’eau, les moisissures,
un trou assez grand pour laisser des ailes s’ouvrir.
C’est par là, la naissance.
Elles laisseront alors tomber
par terre un fruit blanc, spongieux,
qu’il faudra laisser sécher et réchauffer.
Cela n’a rien de maternel.
Nous nous étranglons
toujours sur les mots
fruit de vos entrailles
en confiant à la vierge
que nous préférerions
accoucher des fraises.
De toutes petites fraises,
pour y mettre du sucre.
*
Rêve 6
Multipliant nos caches
dans le sous-sol d’église débarré
noisettes samares
et fruits secs
quand personne ne regarde
la souplesse de nos gestes neufs
pour couper l’appétit
des oiseaux en deux.
Nous retrouverons comme souvenirs
les petits noms des sacrifices
en syllabes ouvertes
laiteuses
la collation donnée par nos mères.
*
Mais nous
est une mauvaise traduction de nuit
où j’irai marcher seule
comme avant
attraper du coin de l’œil
le paysage total
dans le bégaiement de la lumière.
Rouge sur rouge
sans autre couleur
pour arrêter la plaie
de se répandre.
Il n’y aura rien après mon visage.
Même pas une fraise.
Découvrez les autres finalistes du Prix de poésie Radio-Canada 2021 :
- Raphaelle Auer pour Hors-champ
- Gabrielle Blain-Rochat pour je disparais souvent
- Sarah Boutin pour nous sommes en train de perdre la honte
- Alycia Dufour pour sentiers des paumes creuses
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