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La Cour suprême sommée de traduire toutes ses décisions en français et en anglais

Le commissaire aux langues officielles du Canada donne raison à une plaignante qui dénonce l'absence de traduction officielle de milliers de décisions de la Cour suprême. Il recommande d'effectuer ces traductions d'ici 18 mois.

Vue de la façade de l'immeuble de la Cour suprême du Canada.

La Cour suprême du Canada (archives)

Photo : La Presse canadienne / Adrian Wyld

Prenez note que cet article publié en 2021 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.

À Montréal, l'avocate Marie-Andrée Denis-Boileau se remémore l'époque où elle travaillait dans un cabinet en Colombie-Britannique. Cette spécialiste du droit des Autochtones et du droit criminel se souvient d'avoir souvent eu accès à des décisions de la Cour suprême du Canada uniquement en anglais.

C'est ce qui l'a poussée à porter plainte auprès du commissaire aux langues officielles, il y a un peu plus de deux ans.

Entre sa création en 1876 et l'entrée en vigueur de la Loi sur les langues officielles (la Loi) en 1969, la Cour suprême du Canada a rendu des milliers de décisions. Elles étaient alors rédigées uniquement dans la langue utilisée lors de l'audience d'une cause, la majorité du temps en anglais. Depuis 51 ans, les décisions sont publiées simultanément dans les deux langues officielles, peu importe la langue utilisée devant les juges.

Une femme habillée professionnellement dans le corridor d'un appartement.

Marie-Andrée Denis-Boileau a déposé une plainte auprès du commissaire aux langues officielles pour dénoncer l'absence de traduction de milliers de décisions de la Cour suprême du Canada.

Photo : Radio-Canada

Marie-Andrée Denis-Boileau précise que sa démarche a pour but d'améliorer l'accès à la justice, tant pour les francophones que pour les anglophones. Elle souligne que, parmi les milliers de décisions publiées dans une seule langue, on trouve des jugements en anglais, mais aussi en français.

« Ce ne sont pas seulement les juristes francophones qui sont désavantagés avec ça, ce sont aussi les avocats anglophones. Particulièrement parce que les avocats anglophones hors Québec, la majorité du temps, ne parlent pas français et n'auront donc pas accès à ces décisions de la Cour suprême. »

— Une citation de  Me Marie-Andrée Denis-Boileau, plaignante

Comme le souligne l'avocate, le système juridique de common law se fonde sur la règle du précédent, soit des décisions déjà rendues. Il est donc important de se référer à ces décisions même si elles ont parfois plus de 100 ans, et ce, dans de nombreux domaines de pratique.

Elle dit avoir été aux prises avec ce problème lorsqu'elle effectuait des recherches sur la non-responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux et qu'elle a dû consulter des décisions rendues dans les années 1960.

Dans son rapport, le commissaire aux langues officielles, Raymond Théberge, refuse de se ranger aux arguments de la Cour suprême du Canada qui estimait, entre autres, que la publication de décisions antérieures à l'entrée en vigueur de la Loi sur les langues officielles n'y était pas soumise. Il n'accepte pas non plus l'argument présenté par la Cour suprême selon lequel l'ensemble de son site Internet est en français et que cela suffit à remplir ses obligations en vertu de la Loi.

« Je conclus que toutes les décisions que la Cour publie sur son site web devraient être diffusées dans les deux langues officielles, puisque cette offre en ligne constitue une communication au public faite par une institution fédérale. À la lumière de ce qui précède, la plainte est fondée conformément à la partie IV de la Loi. »

— Une citation de  Extrait du Rapport final d'enquête du commissaire aux langues officielles

Le commissaire reconnaît que la Cour suprême est exemplaire, puisqu'elle publie toutes ses décisions depuis 1970 en anglais et en français.

Il note que la traduction des décisions antérieures comporte des problèmes pratiques, mais il estime que l’importance des décisions historiques pour le public, et pour l’accès à la justice en général, plaide en faveur d’un effort soutenu pour résoudre la situation. Le commissaire recommande ainsi au plus haut tribunal canadien d'offrir toutes les décisions sur son site Internet dans les deux langues officielles d'ici 18 mois.

Un rapport salué par les juristes canadiens

À Regina, en Saskatchewan, Me Roger Lepage salue la décision de l'avocate montréalaise d'avoir porté plainte, ainsi que le raisonnement juridique du commissaire. L'associé du cabinet Miller Thomson qui a plaidé de nombreuses causes sur les droits linguistiques des minorités francophones estime que les avocats francophones peuvent être désavantagés par la situation actuelle.

Roger Lepage est assis et sourit.

L'avocat Roger Lepage (archives)

Photo : Radio-Canada / Danielle Kadjo

Il se dit toutefois déçu de voir que la Cour suprême a tenté de convaincre le commissaire d'adopter une vision plus restrictive de ses obligations linguistiques.

« En 2021, je ne peux pas comprendre pourquoi la Cour suprême ne donnerait pas une interprétation large et libérale de l'application de cette loi à la Cour suprême. »

— Une citation de  Me Roger Lepage, spécialiste des droits linguistiques

Le président de la Fédération des associations de juristes d'expression française de common law (FAJEF), Daniel Boivin, estime qu'il s'agit d'un très bon rapport. Il note que le problème soulevé dans cette plainte est particulièrement vécu par les avocats qui travaillent hors du Québec et qui font souvent face à un manque de ressources en français.

Un homme blond en veston-cravate dans son bureau.

Le président de la Fédération des associations de juristes d'expression française de common law, Daniel Boivin, salue le rapport et espère que la Cour suprême traduira toutes ses décisions.

Photo : Daniel Boivin

Il affirme que ces avocats ont souvent appris à vivre avec cette situation, mais que cela requiert des accommodements qui ne rendent pas les services efficaces, particulièrement dans les cas où on doit se fier à de la jurisprudence qui est plus vieille. Daniel Boivin note par exemple que, dans le cours de droit qu'il enseigne à l'Université d'Ottawa, les étudiants sont parfois forcés de lire une décision historique en anglais, alors que l'enseignement est en français.

Tout comme Roger Lepage, Daniel Boivin espère que le plus haut tribunal du pays, qu'il qualifie d'allié de la communauté francophone, suivra la recommandation du commissaire de traduire ses décisions. Il note que cela pourrait se faire de concert avec la communauté juridique.

« Il y a toujours la possibilité de s'asseoir avec la communauté pour décider ce qu'on va traduire. [...] Peut-être les décisions de common law qui sont particulièrement importantes, qui font jurisprudence et qui sont citées régulièrement. »

— Une citation de  Me Daniel Boivin, président de la Fédération des associations de juristes d'expression française de common law

Le commissaire ne peut toutefois contraindre la Cour suprême à suivre sa recommandation, mais Raymond Théberge assure qu'il fera un suivi auprès de l'institution.

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