Comment une université canadienne allie recherche scientifique et savoir autochtone

Vincent Ziffle, professeur adjoint de chimie à l'Université des Premières Nations du Canada à Regina, mène des recherches sur les plantes avec ses étudiants.
Photo : Radio-Canada / Richard Agecoutay
À Regina, l’Université des Premières Nations du Canada (FNUniv) a trouvé une façon originale de poursuivre des recherches sur les plantes médicinales en dépit de la pandémie : elle a jumelé des étudiants avec des aînés autochtones et des gardiens du savoir qui ont une connaissance intime de ces plantes.
La pandémie a eu un impact majeur sur la capacité des universités à mener des recherches alors que plusieurs étudiants internationaux ne peuvent faire leurs travaux de laboratoire sur place. C’est dans ce contexte que FNUniv
a imaginé cette façon novatrice de travailler avec ces étudiants.Ana Karime Arellano Franco, 24 ans, figure parmi les étudiants qui ont bénéficié de l’initiative. Cette étudiante de premier cycle au Instituto Tecnológico de Monterrey à Mexico fait des recherches en biotechnologie. De sa maison au Mexique, elle a travaillé au département du Savoir autochtone et de la science de FNUniv
, grâce au programme d’internat Mitacs Globalink Research Internship program, qui permet de jumeler des universités avec des étudiants internationaux.Ana Karime Arellano Franco est depuis toujours fascinée par le savoir autochtone et les propriétés médicinales des plantes. Elle voulait en savoir davantage sur la chimie des plantes. Elle fabrique d’ailleurs son propre thé.
Elle dit que les plantes médicinales sont importantes à ses yeux parce que beaucoup de Mexicains sont d’ascendance autochtone. C’est d’ailleurs son cas.
Le savoir traditionnel a été passé à ma grand-mère, à ma mère et maintenant ça m’intéresse aussi
, dit-elle.
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Elle a travaillé à distance sur son projet avec le professeur adjoint de chimie à FNUniv
, Vincent Ziffle, et a été guidée par Archie Weenie, un aîné de la Saskatchewan.Pour son projet, il fallait identifier, extraire et analyser les propriétés médicinales de sept plantes communes, dont la salsepareille, la menthe du Canada, le rosier sétigère et l’échinacée.
Je mets l’accent sur les molécules que nous cherchons dans ces plantes et je vois comment on peut les synthétiser à l’aide de la biochimie, et cela dans le respect des Premières Nations
, explique-t-elle.
Ce respect est une composante importante de la démarche. Cela veut dire de mettre l'accent sur la façon dont on les employait dans le passé. Par exemple, l’échinacée a été utilisée pour traiter les infections de la gorge, et nous faisons des recherches pour les mêmes fins, pour ses propriétés antibiotiques
, explique-t-elle.
Il faut dire que les Premières Nations ont utilisé ces plantes de cette façon, et que c’est la raison pour laquelle nous faisons ces recherches. Et nous devons aussi nous demander comment employer ces molécules sans les exploiter.
Comme la pandémie l’a empêchée d’accéder au laboratoire de l'université, Ana Karime Arellano Franco a dû modifier ses plans et étudier les sept plantes médicinales à partir de chez elle, au Mexique.
Ses résultats forment la base d’analyses en laboratoire. D’autres étudiants, sur place, vont extraire les molécules des plantes, explique le professeur Vincent Ziffle.
Nous examinons des plantes médicinales autochtones qui sont sous-estimées ainsi que leurs métabolites, tels que des alcaloïdes ou d’autres antioxydants
, explique-t-il.
Certaines de ces molécules peuvent combattre le cancer, ou sont simplement de bons antioxydants, ce qui est important pour empêcher le développement de cancers
, ajoute le professeur.
Mais d’abord et avant tout, dit-il, le but, ici, est de faire quelque chose d’unique, soit de reconnaître correctement le savoir autochtone dans le contexte d’une recherche sur la chimie des plantes médicinales. Nous voulons mettre en valeur les gardiens du savoir autochtone.
Ana Karime Arellano Franco a été jumelée à Archie Weenie, un aîné de la Première Nation Sweetgrass, qui se situe à 26 km à l’ouest de North Battleford en Saskatchewan.
Archie Weenie collabore avec FNUniv
depuis des années et considère que les plantes et la nature favorisent la guérison.J’étais perdu à un moment donné quand j’étais jeune. Je suis revenu à mes racines et je n’ai pas dévié de ce chemin depuis. J’avais du foin d’odeur, et personne vers qui me tourner. Ça m’a pris des années pour redonner de la vie à mon esprit et être suffisamment fort pour retourner dans ma communauté. Le foin d’odeur, c’est ce que je comprends
, a-t-il expliqué sur le lieu de sa tente de sudation à Regina, après un rituel de purification.
Archie Weenie dit que plusieurs Autochtones hésitent à partager le savoir traditionnel, par crainte que les gens fassent mauvais usage des plantes.
Pour sa part, si le partage de savoir peut aider des gens
et s’ils sont sincères
, il acceptera de leur en parler.
Archie Weenie dit qu’il aime travailler avec des scientifiques. C’est bien. Ça me donne quelque chose quand je travaille avec des professeurs avec leurs diplômes. J’ai mes propres diplômes aussi, mais les miens viennent de la nature. Ma Bible, c'est la mère, l’univers.
Quand il demande à des aînés de partager leur savoir, Archie Weenie s’assure que cela sera fait de façon respectueuse, que les protocoles seront respectés et que du tabac sera offert. Il dit que c’est important d’enseigner cela aux étudiants.
À force de partager leurs connaissances, dit-il, les aînés sont eux aussi curieux de comprendre davantage les molécules des plantes. Cette curiosité rassure Archie Weenie en tant qu’enseignant et amateur de science.
Vincent Ziffle rappelle que l’Université des Premières Nations du Canada a mis des années à bâtir ses relations avec les aînés autochtones.
Nous voulons certainement retourner cette information, ces données, ce que nous découvrons, aux communautés qui nous ont si gentiment acceptés et qui nous ont invités aux sessions de cueillettes et aux cérémonies.
Vincent Ziffle dit que de travailler avec les Autochtones a transformé son enseignement.
J’ai beaucoup appris de la tradition orale des conteurs autochtones, et j’essaie d’approcher mon enseignement de la même façon parce que je pense que nous apprenons mieux en contant les histoires, et je pense que les étudiants l’apprécient aussi. Ça nous permet, je pense, de mieux conserver l’information.
Avec les informations de Laura Sciarpelletti