Heures supplémentaires obligatoires : la FIQ met en demeure Québec

La FIQ réclame la fin de l’utilisation « abusive » des heures supplémentaires obligatoires.
Photo : Radio-Canada / Sylvain Roy Roussel
Prenez note que cet article publié en 2021 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
La Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ) met en demeure le ministre de la Santé et des Services sociaux, Christian Dubé, de mettre fin « à l’utilisation abusive du temps supplémentaire obligatoire » d’ici le 15 novembre.
Si rien n'est fait d'ici cette date, la FIQ affirme qu'elle entreprendra tous les recours jugés appropriés ou requis, et ce, sans autre avis ni délai
.
Dans sa mise en demeure, l’avocate de la FIQ, Émilie Gauthier, constate qu’il y a urgence d’agir pour éviter un préjudice irréparable au réseau de la santé [...], mais aussi pour la sécurité de la population
.
De passage en Abitibi-Témiscamingue, où la pénurie d’infirmières forcera la fermeture de l’urgence de Senneterre 16 heures par jour à compter du 18 octobre, le ministre de la Santé a dit, à la suite de cette mise en demeure, être totalement d’accord avec la FIQ sur la question des heures supplémentaires, mais faire face à un défi de recrutement de personnel.
Je n’en veux plus de TSO [temps supplémentaire obligatoire]. C’est très clair. Maintenant, mon enjeu c’est de trouver des solutions, et une des solutions, c’est de trouver du personnel.
Le ministre a aussi fait valoir qu’il ne pouvait pas remonter dans le temps. Il a rappelé que l’obligation des heures supplémentaires, c’était une méthode de gestion avant la pandémie, c’est comme ça qu’on gérait le système
.
Une mesure qui devrait être exceptionnelle
Dans sa mise en demeure, la FIQ – qui représente des infirmières, infirmières auxiliaires, inhalothérapeutes et perfusionnistes cliniques – soutient que l'obligation d'effectuer des heures supplémentaires de manière répétitive et abusive
porte atteinte aux droits et libertés fondamentales de ces professionnelles.
Du même souffle, elle accuse leurs patrons de gestion lacunaire, négligente, fautive et arbitraire
.
Cette situation ne peut plus être tolérée.
Le document dénonce le fait que ces employées sont souvent forcées de travailler pendant 16 heures, parfois plus
, ce qui les met dans un état d'exténuation et crée un climat de travail angoissant et caractérisé par une forte détresse psychologique
.
Cette détresse est d’une telle ampleur qu’il n’est pas rare de voir de nombreuses professionnelles en soins éclater en sanglots au cours de leur prestation de travail. Certaines tiennent même des propos suicidaires
, mentionne la mise en demeure.
La gravité de la situation est sans précédent et d’une ampleur incontestable.
La FIQ accuse les gestionnaires de se reposer sur une mesure, l'obligation d'heures supplémentaires, qui devrait être exceptionnelle, plutôt que de rechercher de véritables solutions.
Pour la Fédération, cela passe par l’implantation obligatoire de ratios sécuritaires
de professionnelles en soins par rapport au nombre de patients, un remède qu’elle propose d’ailleurs depuis déjà un moment. Et lorsqu'il s’avère que le personnel n’est pas en nombre suffisant pour atteindre ces ratios, l’offre de services devrait alors être ajustée, pense-t-elle.
Maintenir désespérément l’offre de services avec du personnel en moins et en détresse, c’est mettre en danger la sécurité des patients, tout comme celle des professionnelles en soins.

La FIQ a envoyé une mise en demeure au gouvernement pour exiger que cesse le recours abusif aux heures supplémentaires obligatoires avant le 15 novembre.
La Commission des droits de la personne sollicitée
Décidée à faire changer les choses, la FIQ a par ailleurs demandé à la Commission des droits de la personne et de la jeunesse de se pencher sur la problématique sérieuse qu’est l’utilisation du TSO comme mode de gestion dans le réseau de la santé et des services sociaux, et d’émettre au gouvernement les recommandations qu’elle jugera opportunes
.
Reprenant en substance dans cette demande les mêmes arguments que ceux qui sont détaillés dans sa mise en demeure, la FIQ répète que le TSO est une mesure de dernier recours
qui ne devrait être utilisée que lors de situations urgentes et exceptionnelles
, mais qui est maintenant, au contraire, un mode de gestion bien établi, voire institutionnalisé
.
Se réclamant des articles 1, 4 et 46 de la Charte des droits et libertés de la personne, la FIQ estime ainsi que le TSO s’attaque à l’intégrité physique et mentale des professionnelles en soins ainsi qu'à leur dignité, et les empêche d’avoir des conditions de travail justes, raisonnables et qui respectent leur santé et leur sécurité.
L'organisation déplore entre autres le fait que les employeurs ne tiennent pas compte du jugement des professionnelles quand elles les informent qu’elles sont incapables de poursuivre leur travail au-delà de leur quart régulier, et qu'ils utilisent plutôt la menace de contraventions aux règles déontologiques ou encore de sanctions disciplinaires pour les prendre en otage
.
Il s’agit, à notre avis, d’un travail forcé, imposé sous la menace, s’apparentant à une forme d’asservissement des professionnelles en soins.
La FIQ soutient aussi que le TSOporte atteinte au droit à la vie privée des professionnelles en soins
, contrevenant ainsi à l’article 5 de la Charte des droits et libertés de la personne.
Le TSO vient complètement limiter l’implication des professionnelles en soins dans toute activité devant être planifiée à l’avance. La conciliation travail-famille-vie personnelle est excessivement difficile pour celles qui sont régulièrement gardées prisonnières au travail
, avance-t-elle.
Parlant du TSO comme du travail forcé des femmes
, qui perpétue la discrimination institutionnelle
qui leur est faite, la FIQ invoque également l’article 10 de la Charte des droits et libertés.
Sur les 76 000 membres que la FIQ représente, près de 90 % sont des femmes. Force est de constater que dans les secteurs publics considérés comme des services essentiels à prédominance masculine (policiers, pompiers), le TSO est quasi inexistant. On ne contraint pas ces travailleurs
, reproche le syndicat.
Les professionnelles en soins sont victimes ni plus ni moins d’une violence organisationnelle.
Mardi, la FIQ avait déjà précisé qu’elle comptait avoir recours aux tribunaux pour faire cesser les heures supplémentaires obligatoires. Elle disait vouloir mettre en demeure les ordres professionnels et la Direction nationale des soins et services infirmiers (DNSSI).
À la fin de septembre, le gouvernement Legault a pour sa part présenté un plan pour tenter de ramener les infirmières dans le réseau public et pour inciter le personnel à temps partiel à travailler à temps plein, leur promettant notamment des primes allant de 12 000 $ à 18 000 $.