Examens de la vue annulés en Ontario : vague de colère dans la région

Les optométristes de l'Ontario ont cessé de recevoir leurs patients couverts par le Régime d'assurance maladie de l'Ontario, et notamment les enfants, depuis le 1er septembre 2021.
Photo : Radio-Canada / Hugo Belanger
Prenez note que cet article publié en 2021 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Ces dernières semaines, Faïna Hamadas a tenté de prendre rendez-vous pour son fils de trois ans chez un optométriste d’Ottawa. Le petit garçon est hypermétrope et astigmate et a besoin d’un suivi tous les six mois. Mais la réponse de la réceptionniste l’a surprise.
On m’a expliqué que je ne peux pas prendre rendez-vous à cause de négociations rompues entre les optométristes et la province. Au début, j’étais incrédule, puis en colère
, précise-t-elle.
« J’étais d’abord en colère contre les optométristes qui arrêtent de faire des consultations. Puis, je me suis renseignée, et ma colère s'est plutôt dirigée vers la province. »
Depuis le 1er septembre, 98 % des optométristes ontariens ont cessé de fournir leurs services aux patients couverts par le Régime d’assurance maladie de l’Ontario (RAMO).
Les patients concernés sont les enfants de moins de 19 ans, les personnes de plus de 65 ans ainsi que les personnes souffrant de certaines affections oculaires, soit près de trois millions de patients à l’échelle de la province.
Les optométristes estiment qu’ils n’avaient plus le choix
Danielle Frigault est optométriste à Rockland depuis 22 ans. Elle affirme que le fait de refuser des patients depuis un mois lui brise le cœur, mais estime que les optométristes étaient au pied du mur.
L’Association des optométristes de l’Ontario (AOO) a essayé à de multiples reprises de discuter avec le gouvernement ontarien pour revoir notre rémunération, mais on n’a eu que du silence. Alors en mars 2021, on a avisé le gouvernement qu’à partir du 1er septembre, si on n’avait pas d’entente, on cesserait de proposer les services couverts par la carte santé
, précise l’optométriste.
Les optométristes exigent une augmentation substantielle des remboursements par le RAMO
. Ils affirment qu'un examen de la vue leur coûte 80 $, mais que le gouvernement ne rembourse que 44 $.Et nous devons subventionner le reste, soit plus de 40 % de la balance. C’est insoutenable, surtout qu’au fil des années, nous gérons de plus en plus de patients couverts par la carte santé
, ajoute Danielle Frigault.
À titre de comparaison, indique l’AOO,
les optométristes du Manitoba sont remboursés à hauteur de 77 $, ceux du Québec 106 $ et ceux de l’Alberta 137 $. L’Ontario serait le parent pauvre en la matière.Pour Danielle Frigault, il est temps d’effectuer une correction.
« Le revenu des optométristes a été augmenté de seulement 5 $ en trente ans, ce qui représente environ 16 cents par an. C’est impossible de continuer à fonctionner avec ce revenu-là. »
Selon elle, une fois que les patients ont entendu cette explication, ils expriment leur soutien aux optométristes et demandent comment les aider dans ce bras de fer.
Une négociation au point mort
Pour sa part, le gouvernement Ford assure, par communiqué, avoir fait tous les efforts possibles pour jeter les bases d'une relation à long terme avec l'Association des optométristes de l’Ontario
.
Parmi ces mesures, la province offre, entre autres, un paiement unique de 39 millions de dollars aux optométristes ontariens et une hausse de 8 %. C'est bien trop peu, estiment les optométristes.
On n’a certainement pas quitté la table des négociations, mais il faut définir ce que c'est une négociation. Est-ce que c'est faire une offre inacceptable ou s'asseoir et évaluer vraiment le coût de l'examen?
demande Danielle Frigault.
Vendredi, le président de l'AOOSheldon Salaba a vivement critiqué la façon de faire du gouvernement par voie de communiqué.
, le DrCe paiement [de 39 millions de dollars] n'a pas été négocié avec l'AOO et l'annonce est intervenue alors que les négociations pour un nouvel accord de compensation étaient au point mort. De plus, le ministère a fait cette annonce sans avis à l'AOO , l'a remise directement aux optométristes de tout l'Ontario et l'a largement diffusée dans les médias. Une conduite unilatérale de cette nature est généralement illégale dans les négociations collectives et est une démonstration de la négociation de mauvaise foi à laquelle nous sommes habitués avec ce gouvernement. L'annonce et le paiement sont une tactique de négociation flagrante qui démontre une fois de plus le manque d'intérêt de ce gouvernement à trouver une vraie solution à long terme à cette crise
, peut-on lire.
Selon l'AOOpour l'exhorter à conserver cet argent et à s'engager à conclure un accord
.
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Mais alors pourquoi le gouvernement de Doug Ford refuse-t-il pour l'instant une hausse plus substantielle? Paul Leduc Browne, qui a mené en 2000 une étude sur la privatisation des soins de santé en Ontario, voit deux explications.
D’abord, le gouvernement a peur de trop dépenser et ne voudrait pas créer un précédent qui pourrait encourager d’autres groupes à demander d’autres augmentations
, indique M. Leduc Browne. L’autre raison que je vois, c’est qu’en maintenant une ligne dure, en refusant de négocier, le gouvernement espère casser la solidarité des optométristes et qu’au bout du compte, ils ne demandent plus cette augmentation.
Le mouvement touche les populations les plus vulnérables
Dans sa clinique de Rockland, la Dre Frigault se dit frustrée, mais déterminée. Elle tient à rester en contact étroit avec ses patients et à les référer vers un ophtalmologue ou vers les urgences en cas de besoin. Mais dans une petite communauté comme Rockland, les patients sont très attachés à leur optométriste.
Ce qui me brise le plus le cœur, ce sont les personnes âgées vulnérables qui n'ont pas les moyens d'aller chercher des soins ailleurs. Il y a aussi les enfants qui ne voient pas bien le tableau depuis la rentrée des classes. On continue d'espérer que le gouvernement va nous faire une offre raisonnable pour qu'on puisse les voir le plus rapidement possible
, indique l'optométriste.
Beaucoup de patients lui proposent de payer eux-mêmes la consultation, mais une loi provinciale empêche les optométristes de charger les frais qui sont normalement couverts par le RAMO
.Hausse des rendez-vous en Outaouais
Devant cette situation, certains n’hésitent pas à franchir la rivière des Outaouais pour rencontrer un optométriste.
Alexandra Fortier, optométriste à Gatineau, confirme recevoir des appels venant de patients ontariens depuis quelques semaines. Le premier rendez-vous que nous pouvons leur proposer est dans quatre semaines
, indique la spécialiste.
Et ce service a un coût : les patients ontariens doivent payer au Québec le même prix que les patients non couverts par Régie de l'Assurance-maladie du Québec, soit 110 $ pour un examen de la vue dans la clinique de la Dre Fortier.
Pendant ce temps-là, chez les optométristes de l’Ontario, les listes d’attente sont de plus en plus longues.
Dans la clinique de la Dre Frigault, plus de 300 personnes attendent d’être vues dès que les optométristes leur ouvriront à nouveau les portes.