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Le bœuf nourri à l’herbe, vraiment écologique?

Le bœuf nourri à l’herbe est dans l’air du temps, surtout depuis qu’une grande chaîne de restauration rapide fait la promotion de ses hamburgers de bœuf « nature ». L’épicerie s’est penchée sur cette tendance à saveur écologique.

Une publicité d'A&W.

La chaîne de restauration rapide A&W fait la promotion de ses burgers faits d’un bœuf nourri 100 % à l’herbe.

Photo : Capture d'écran

Prenez note que cet article publié en 2021 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.

C’est la chaîne A&W qui a parti le bal au printemps 2020 en promettant à ses clients des galettes faites d’un bœuf nourri d'herbe à 100 %.

L’argument écologique : ce bœuf provient de troupeaux qui se nourrissent uniquement dans des champs, ou de foin l’hiver. Cela favorise une agriculture régénératrice grâce à un système d’élevage en rotation, qui permet de mieux séquestrer le CO2 et ainsi de réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES).

Ce n'est pas rien puisqu'au Canada, on estime que 12 % de ces émissions sont attribuables au secteur agricole et que le tiers d'entre elles provient du méthane émis par les ruminants qui digèrent.

Un bœuf.

Le bœuf nourri à l'herbe s'alimente uniquement dans des champs, ou avec du foin l’hiver.

Photo : Radio-Canada / L'épicerie

Dans la production conventionnelle, le bœuf d'élevage est nourri à l’herbe et aux fourrages une grande partie de sa vie, mais pendant les derniers mois, on va plutôt lui donner à manger des céréales, du maïs ou de l’orge.

C’est ce qu’on appelle l’étape de finition qui permet une croissance plus rapide de la bête, mais aussi de l’engraisser pour lui donner une chair plus persillée, comme l’aime le consommateur.

Cela implique donc que l'animal passe moins de temps en pâturage que ne le font les bœufs nourris 100 % à l'herbe. Or, d'après Raymond Desjardins, un spécialiste de l’agriculture durable, colauréat du prix Nobel de la paix pour sa contribution au GIEC, encourager l’élevage en pâturage a bel et bien un effet bénéfique sur les émissions de GES.

« On a fait des études qui montrent une bonne relation entre le nombre d’animaux et la séquestration de carbone. Au Canada, un bovin produit en moyenne 2200 kilogrammes de GES par an sous forme de méthane. On estime que les bovins en pâturage en produisent 800, parce qu’ils en séquestrent 1400 kilogrammes dans le sol. »

— Une citation de  Raymond Desjardins, spécialiste de l’agriculture durable

D’où vient le bœuf d'A&W?

Alors, un miracle écologique, ce bœuf nourri à l’herbe? Encore faut-il en savoir davantage sur sa provenance. D’où vient le bœuf d'A&W? La cheffe de la direction d'A&W Canada, Susan Senecal, peine à répondre clairement à la question.

On prévoit d’ici 2 à 3 ans de nous fournir à 100 % de bœuf canadien, dit-elle. Mais pour l'instant, ce que l'on sait, c'est que la production de ce type de bœuf 100 % à l'herbe est marginale au pays. On l’estime à environ 1 % du cheptel.

En attendant, l’entreprise doit importer du bœuf des États-Unis, mais aussi de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande, ce qui suppose de longues distances et d'importantes émissions de GES en raison du transport.

Pour nous, dans nos recherches, il est très clair qu’au niveau de l'agriculture régénératrice, ça a un impact positif, insiste Mme Senecal.

Même si ça vient de l’autre bout de la planète? Même si ça vient d'ailleurs, répond-elle. C'est sûr que notre préférence, c'est d'encourager l'économie canadienne. C'est pour ça qu'on veut faire ce virage, cet investissement, ici, en allant vers un bœuf 100 % canadien.

Mais pour Raymond Desjardins, cette opération ressemble plutôt à du marketing. Je vois que les jeunes sont très intéressés par le bœuf nourri à l'herbe. Alors je crois qu'ils [A&W] sont plutôt opportunistes qu'environnementaux.

Susan Senecal n’est pas du même avis : L'idée qu'on a, c'est de trouver des façons d'investir dans le bœuf canadien, ce qui fonctionne de plus en plus. On voit que c'est possible parce que d'autres pays le font. Pourquoi pas le Canada?

Du bœuf nature au Québec?

Y aurait-il un avantage pour les producteurs de bœufs d’ici? Le directeur général de la marque Bœuf Québec, créé par la Société des parcs d’engraissements du Québec, émet quelques doutes.

Je ne vois pas l'intérêt pour la saveur, pour la qualité du produit, affirme-t-il. Nous suivons trois axes : la qualité du produit, l'environnement et le côté local. Pour moi, ça ne répond à ni l'une ni l'autre de ces parties-là.

Une affiche de la marque Bœuf Québec dans la section des viandes d'une épicerie.

Au groupe Bœuf Québec, on ne décèle pas d'engouement marqué pour le bœuf nourri à l’herbe.

Photo : Radio-Canada / L'épicerie

Bœuf Québec a sa propre politique de développement durable, qui passe effectivement par l’utilisation pertinente des terres de pâturage, mais qui n'exclut pas la finition au maïs et au grain.

On essaie de répondre à la demande commerciale nord-américaine. Un bœuf nourri à l'herbe ne se classera pas selon les normes A, AA, AAA. Il va être déclassé, tout simplement, entre autres à cause de la couleur du gras, de la taille de la carcasse, et aussi parce qu'il ne sera pas aussi persillé.

Un bœuf différent

Le bœuf nourri à l’herbe est donc un produit différent, un produit de niche.

C’est d’ailleurs ce que nous confirme Dominique Dumas, qui élève une soixantaine de bouvillons chaque année sur ses terres de Pont-Rouge à la ferme À l’herbe.

Mme Dumas pratique l’agriculture régénératrice. On change nos animaux de parcelle environ quatre fois par jour, donc ils sont toujours dans une herbe fraîche.

« Il y a tellement de gains à aller chercher au niveau d'une bonne gestion de pâturages, que ce soit autant au niveau financier, au niveau de la qualité de la viande et de l'impact environnemental. »

— Une citation de  Dominique Dumas, éleveuse et copropriétaire de la ferme À l’herbe

Elle pratique un circuit court. Les bêtes sont vendues d’avance au consommateur, qui a le choix d’acheter un quart, une demie ou une carcasse complète.

Une pièce de viande de bœuf.

Le bœuf nourri à l’herbe est une viande maigre, et est donc moins persillée de gras que la viande de bœuf conventionnel.

Photo : Radio-Canada / L'épicerie

Vendre à la restauration rapide? Si A&W me dit : ''Je vais prendre 10 000 livres de viande hachée'', bien je dois faire quelque chose avec tout le reste de la carcasse. Je ne prendrai pas le filet mignon pour l'envoyer en viande hachée, observe-t-elle. Donc, il faudrait que je trouve un marché pour mon filet mignon, pour mes parties à mijoter, pour mes steaks. Quand on rajoute des intermédiaires, ça prend des volumes de production, ça prend de l'uniformité. C'est une logistique qui est différente.

Les consommateurs peuvent trouver en épicerie du bœuf nourri à l’herbe de la marque 8 Acres (en provenance du Manitoba et de la Saskatchewan) ou de la marque Choix du président (Australie). Les Fermes Valens offrent aussi du bœuf biologique et 100 % nourri à l’herbe. Il est évidemment plus cher que le bœuf conventionnel.

Le spécialiste de l'agriculture durable Raymond Desjardins est convaincu, lui, des avantages du bœuf nourri à l’herbe. Il va falloir que le système évolue. On voit qu'il y a un ou plusieurs petits groupes de fermiers qui font ça et il faut les encourager. Mais, pour l’environnement, il faut surtout manger moins de viande.

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