Stephen Harper et la vente prévue de technologies de surveillance aux Émirats arabes unis

L’ancien premier ministre Stephen Harper et le leader de facto des Émirats arabes unis, lors de la course de formule 1 d’Abou Dhabi en 2019. Sur Twitter, M. Harper a qualifié le prince héritier Cheikh Mohammed ben Zayed « d’ami et grand leader ».
Photo : @StephenHarper / Twitter
Prenez note que cet article publié en 2021 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
L’ancien premier ministre du Canada, Stephen Harper, est un associé de la firme torontoise AWZ Ventures qui veut faciliter la vente de technologies de surveillance aux Émirats arabes unis, un régime autoritaire.
Reconnaissance faciale, détection de rassemblements, accès aux renseignements de n'importe qui en temps réel : ce sont là quelques-unes des technologies israéliennes que finance la compagnie d’investissement AWZ Ventures et qu'elle veut maintenant offrir aux Émirats arabes unis.
C'est une décision que dénoncent des experts en cybertechnologies et en droits de la personne du Canada, du Royaume-Uni et d'Israël.
Stephen Harper joue un rôle important dans cette firme qui investit dans 18 compagnies israéliennes de cybersécurité, selon son site web.
En plus d’en être un associé, il est le président de son comité-conseil, composé d'anciens membres du Mossad et d'autres agences du renseignement d'Israël et des États-Unis, notamment.
Bureaux à Abou Dhabi
AWZ Ventures est en voie d'incorporer une filiale aux Émirats arabes unis. La compagnie a déjà embauché une directrice générale pour cette filiale AWZ Horizons, qui sera établie à Abou Dhabi, la capitale des Émirats.
Katherine Verrier-Fréchette, une ancienne diplomate canadienne au Moyen-Orient, occupe le poste à temps plein depuis février 2021, selon son compte Linkedin. À partir des Émirats, elle est aussi responsable de faciliter la vente de technologies de cybersécurité aux autres pays du Moyen-Orient, comme l'Arabie Saoudite, et aux pays de l'Afrique du Nord.
La vente de technologies de cybersurveillance à un pays comme les Émirats arabes unis est intrinsèquement problématique du point de vue des droits de la personne
, affirme Siena Anstis, conseillère juridique principale de Citizen Lab, un laboratoire de l'Université de Toronto qui étudie les cybermenaces.
La compagnie AWZ Ventures défend sa décision de faire des affaires avec les Émirats.
Dans un courriel envoyé en réponse aux questions de Radio-Canada, son cofondateur et porte-parole, Yaron Ashkenazi, soutient que la firme investit dans des technologies de sécurité défensives conçues de manière à ne pas être contournées ou rétroconçues à des fins malveillantes
.
Il affirme que la compagnie travaille de près avec ses sociétés de portefeuille afin de s'assurer qu'elles respectent les normes d'investissement éthiques et réglementaires les plus élevées au Canada et dans les autres marchés dans lesquels nous exerçons nos activités
.
C'est très, très dangereux
, affirme pour sa part Eitay Mack, un avocat israélien des droits de la personne et expert des lois israéliennes d'exportation d'armes. Il a été démontré que les Émirats arabes unis utilisent ce type de technologie pour contrôler leur population et bloquer les réformes démocratiques, rappelle-t-il.
M. Mack trouve regrettable que l'ancien premier ministre du Canada Stephen Harper soit associé à la vente de technologies de surveillance à un tel régime.
Je crois qu'il aurait dû faire de meilleures choses pour l'humanité que de prêter son nom et sa réputation comme premier ministre du Canada [à ce projet]. Cela donne une grande légitimité, non seulement au projet, mais aussi aux violations des droits de la personne aux Émirats
, dit-il.
M. Harper et Mme Verrier-Fréchette n'ont pas donné suite à nos demandes de commentaires. Mais M. Ashkenazi affirme que la relation commerciale entre AWZ Ventures et les Émirats s'inscrit dans l'esprit des accords d'Abraham
, des traités de paix entre Israël et les Émirats arabes unis et d'autres pays arabes.
Il soutient aussi que son personnel sur place veillera à ce que les activités soient conformes à l'éthique
.
Le Canada et les Émirats arabes unis entretiennent des relations commerciales et diplomatiques importantes et font partie de forums communs, comme la Francophonie.
Enquête Pegasus
Cet été, une enquête internationale menée par 17 agences de presse a révélé que les Émirats arabes unis et d'autres pays répressifs étaient des clients de la société israélienne NSO Group, fabricant du logiciel espion Pegasus, qui s'infiltre dans les téléphones intelligents à l'insu de leurs utilisateurs.
La liste des cibles potentielles comprenait les numéros de téléphone de leaders politiques, de militants des droits de la personne et de journalistes partout dans le monde. Les Émirats arabes unis ont nié ces allégations.
Citizen Lab avait déjà révélé l'utilisation de logiciels espions par les Émirats contre un défenseur des droits de la personne du pays, Ahmed Mansoor, emprisonné depuis 2017.
Pour le condamner, le tribunal des Émirats arabes unis avait invoqué la Loi sur la cybercriminalité, qui considère comme un crime la moindre critique des autorités. Les échanges de courriels et les conversations de M. Mansoor sur WhatsApp avec des organisations de défense des droits de la personne ont été retenus contre lui, selon un rapport de Human Rights Watch.
« Les entreprises ne peuvent pas plaider l'ignorance. »
Dans le cas des Émirats arabes unis, il existe de nombreux exemples publics du gouvernement qui utilise la technologie de cybersurveillance, et en abuse, contre des défenseurs des droits de la personne et des dissidents, en violation du droit international
, affirme l'avocate Siena Anstis.
Règlements canadiens complètement dépassés
Au Canada, une compagnie comme AWZ Ventures n’a pas besoin de permis d'exportation pour faciliter la vente de technologies de cybersécurité.
Seules les compagnies qui facilitent le mouvement de matériel militaire et de produits pouvant servir à la fabrication d'armes de destruction massive doivent obtenir un permis de courtier.
Ce système est complètement figé dans l'époque de la guerre froide
, affirme Edin Omanovic, de l'organisation Privacy International, établie au Royaume-Uni.
Selon lui, les contrôles en place au Canada et dans d'autres pays visent surtout les armes classiques et plusieurs types de technologies de surveillance sont exclus.
De tels contrôles sont complètement dépassés et incapables de faire face aux risques que posent ces industries émergentes pour les droits de la personne
, affirme M. Omanovic.
Dans le cas d'AWZ Ventures, les compagnies financées et qui produisent les cybertechnologies sont israéliennes et elles doivent obtenir une licence d'exportation du gouvernement israélien.
Mais le gouvernement canadien a tout de même sa part de responsabilité en vertu du droit international, estime l'avocat Eitay Mack.
Peut-être que selon la réglementation au Canada et la réglementation en Israël, seules les entreprises israéliennes qui vendent vraiment l'équipement ont des obligations légales directes
, dit M. Mack. Mais le gouvernement canadien devrait être responsable de la façon dont les finances transitent par l'entremise de compagnies canadiennes et de leur impact sur les droits de la personne.
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Affaires mondiales Canada n'a pas voulu commenter les activités de la compagnie AWZ Ventures.
Mais dans un courriel adressé à Radio-Canada, le ministère répond que le Canada possède l'un des systèmes de contrôle aux exportations les plus rigoureux au monde, et le respect des droits de la personne est inscrit dans notre législation sur le contrôle des exportations
.
Le ministère affirme que pour certaines technologies de surveillance on doit obtenir un permis d'exportation, mais confirme que ceux qui en facilitent la vente n'ont pas besoin d'autorisation.