Surdoses d’opioïdes : Toronto enregistre encore des chiffres records

Les ambulanciers répondaient en moyenne à 13 appels par mois pour des surdoses mortelles avant mars 2020; cette moyenne mensuelle est passée à 26 après mars 2020.
Photo : afp via getty images / Don Emmert
Les ambulanciers de Toronto ont répondu à 689 appels pour de présumées surdoses d'opioïdes non mortelles au mois d’août, un sommet depuis que la Ville compile ces données.
Les services paramédicaux ont aussi répondu à 30 surdoses mortelles en août 2021, une augmentation par rapport aux mois précédents.
La Ville observe ainsi une tendance à la hausse depuis le début de la pandémie de COVID-19. Les ambulanciers répondaient en moyenne à 13 appels par mois pour des surdoses mortelles avant mars 2020; cette moyenne mensuelle est passée à 26 après mars 2020.
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Une série de facteurs sont à prendre en compte, évalue la Dre Rita Shahin, médecin hygiéniste adjointe pour la Santé publique de Toronto.
Elle cite notamment des perturbations dans la chaîne d’approvisionnement en drogues liées à la pandémie. Certains consommateurs n’ont plus accès à leurs vendeurs réguliers
, et ne savent plus exactement ce qu’ils ont entre les mains, estime-t-elle.
Nous voyons que l’offre en drogues devient plus toxique et nocive pour les gens. Il y a beaucoup de contaminants dans les drogues qui circulent, donc les gens peuvent acheter ce qu’ils pensent être du fentanyl ou de la cocaïne, mais en réalité ça vient avec des benzodiazépines par exemple, qui font en sorte qu’il est plus dur de traiter une surdose. [...] Parfois, il y a aussi des opioïdes plus forts comme du carfentanil.
Les mesures de confinement ont aussi eu un impact sur les services offerts aux usagers, ajoute-t-elle : Des réductions de services, d’horaires, des limites de capacité, etc.
Et depuis mars 2020, les gens se sont retrouvés plus isolés et vont plus souvent consommer seuls..
Une crise évitable
Bradley Michael Finch, ancien toxicomane, confie avoir fait de nombreuses
surdoses ces dernières années. Le Torontois, qui est maintenant sobre depuis près de 40 jours, avait l’habitude de consommer du fentanyl et de la méthamphétamine en cristaux.
À chaque fois que je prenais du fentanyl, c’est comme si j’appuyais sur la détente d’un pistolet
, dit-il.
Aujourd’hui, il aimerait rappeler que derrière les statistiques, il y a de vraies personnes
. Des gens qui ont des sentiments, qui sont intelligents, sensibles, bienveillants.
Ce sont des chiffres records, tragiques et évitables
, renchérit Joe Cressy, conseiller municipal et président du comité de santé de la Ville de Toronto.
Il répète que cette crise devrait être traitée comme une crise sanitaire et non un enjeu de criminalité, et appelle tous les ordres de gouvernement à travailler ensemble une fois pour toutes – entre autres pour décriminaliser la possession simple de drogues.
Les appels en ce sens se sont d’ailleurs multipliés ces derniers temps : c’est une demande non seulement de la Santé publique de Toronto, mais aussi de maires de plusieurs villes ontariennes et d’élus d’autres villes canadiennes, et même de chefs de police.
À écouter :
En l'absence d’action, nous préparons maintenant notre propre demande d’exemption au gouvernement fédéral pour, à tout le moins, qu’on permette la décriminalisation à Toronto. Une requête semblable a été soumise par Vancouver
, indique M. Cressy.
« La stigmatisation liée aux drogues contribue au manque de volonté et d’action. »
Par courriel, un porte-parole de la ministre fédérale de la Santé répond que le gouvernement continuera de travailler avec ses partenaires à tous les niveaux pour soutenir leurs besoins locaux et régionaux dans cette crise
, et reconnaît qu’il y a plus à faire
.
Réalité sur le terrain
Pendant ce temps, l’attente pour des traitements continue de s’allonger, note le conseiller Cressy, et il déplore aussi le manque de centres de consommation supervisés, dont le nombre est limité en Ontario.
Quand je me suis senti prêt à arrêter et que j’ai eu besoin d’aller en désintoxication, j’ai appelé la ligne de désintoxication et ils m’ont dit que toutes les places étaient prises, de rappeler dans une heure, et ça a duré pendant des jours
, témoigne M. Finch.
« Quand un toxicomane est prêt à arrêter, il faut qu’il y ait un lit de disponible pour lui immédiatement. Parce que la fenêtre d’opportunité est vraiment très étroite. »
M. Cressy souligne par ailleurs le traumatisme immense
pour les travailleurs de première ligne qui répondent aux appels de surdoses et, jour après jour, voient des gens qu’ils connaissent mourir
.
Les choses empirent progressivement
, confirme Rhiannon Thomas, qui est coordonnatrice du programme CounterFIT au centre de santé communautaire South Riverdale.
Les gens sont stigmatisés, criminalisés, marginalisés et ça augmente les risques
, dit-elle.
Ce dont les gens ont besoin, c’est de logement, de revenus. Ce sont aussi des facteurs qui entrent en compte pour les gens qui consomment de la drogue. Avoir les choses nécessaires pour survivre, à la base, ça fait une grande différence dans la façon dont les gens vivent leur vie.
Avec des informations de Camille Feireisen et Dale Manucdoc