ChroniqueLe jazz des racines, le blues incendiaire et le sourire de Beyries

Tout au long de sa prestation de 75 minutes, Amélie Beyries a eu un sourire dans le visage.
Photo : Festival international de jazz de Montréal / Victor Diaz Lamich
Prenez note que cet article publié en 2021 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Comme ce fut le cas pour les Francos la semaine dernière, le Festival international de jazz de Montréal renouait avec les concerts en plein air en présentiel, mercredi, après plus de deux ans de pause.
Si le sentiment des retrouvailles – fort réussies – avec les Francos était maintenant dissipé, cette mouture réduite et liée aux contraintes sanitaires du FIJM avait un petit quelque chose de particulier, au point que l’on pourrait presque parler de retour aux sources. Pourquoi? Parce qu’on a entendu du jazz sur de grandes scènes dans les rues.
Si, si, du jazz. Cette musique née au début du siècle dernier qui a donné son nom au festival montréalais. De tout temps, il y a eu beaucoup, beaucoup de concerts de jazz sous toutes ses formes dans les salles du FIJM. De cinq à six séries complètes (big bands, jazz vocal, instrumentistes, séries Invitation et jazz dans la nuit, etc.).
Je me suis d’ailleurs évertué depuis 25 ans à répondre à ceux qui disaient : Il est où le jazz, au FIJM?
. Partout, en salles
, répondais-je. Il faut avoir assisté en personne au New Orleans Jazz and Heritage Festival, en Louisiane, et au Montreux Jazz Festival (appellation officielle), en Suisse, pour constater à quel point la dénomination jazz est devenue symbolique dans ces deux événements.
Mais en plein air, il est vrai que les concerts jazz au FIJM ont graduellement fait place au cours des décennies à des offrandes pop, rock, folk, électro et hybrides de toutes sortes. D’où le plaisir coupable de commencer la soirée de mercredi avec la prestation du saxophoniste Yannick Rieu au parterre symphonique.

Le saxophoniste Yannick Rieu était notamment accompagné de Dan Thouin aux claviers.
Photo : Festival international de jazz de Montréal / Victor Diaz Lamich
Flanqué de Dan Thouin (claviers), Morgan Moore (contrebasse), Louis-Vincent Hamel (basse) et François Jalbert (guitare), Rieu est entré dans le vif du sujet avec un solo fiévreux autour duquel les autres musiciens ont construit les assises. La batterie d’abord, puis le reste du quintette. Son trituré, motif répétitif, une belle réussite qui a duré un quart d’heure.
On espère un gros succès au festival, a dit Rieu. On devait avoir des câbles avec des éléphants acrobates, mais on n’avait pas de masques pour les éléphants
, a-t-il ajouté avec humour, avant d’enchaîner avec La chanson de septembre, de son disque MachiNations. Plus introspective en amorce, plus mystérieuse et sérieusement éclatée par la suite.
Rassembleuse Ranee Lee
L’écart d’un quart d’heure entre les premiers concerts de la soirée – au parterre symphonique et à la place des Festivals – m’a contraint à sérieusement diviser mon temps d’écoute. Sans surprise, Ranee Lee avait commencé sa prestation quand je suis arrivé sur la rue Jeanne-Mance. La chanteuse jazz avait visiblement décidé d’être rassembleuse. Je me suis pointé au moment où elle interprétait une version jazz quelque peu brouillonne de What’s Going On, de Marvin Gaye.
Une des particularités de cette édition canadienne et québécoise, c’est que cela donne l’occasion au public de voir des artistes qui ne se produisent plus sur les scènes extérieures depuis longtemps au FIJM. Ranee Lee, la dernière fois, c’était le 6 juillet 2002.

L’entrain et le plaisir étaient au rendez-vous lors de la prestation de Ranee Lee.
Photo : Festival international de jazz de Montréal / Victor Diaz Lamich
Cela explique l’enthousiasme communicatif mesuré sur scène et au parterre, même si le timbre de la grande dame de 78 ans a perdu du vernis et elle, un peu de souffle. Qu’importe, l’entrain et le plaisir étaient au rendez-vous par l’entremise des Beautiful Love, Summertime (swignante à souhait) et autres Oh Lady, Be Good.
Explosive Dawn Tyler Watson
À 19 h, de retour au parterre symphonique, l’explosion de cuivres d’entrée de jeu ne laissait planer aucun doute quant aux intentions de Dawn Tyler Watson. Pas plus que les ponts de saxophone incendiaire et de guitare mordante durant Alligator, dont le phrasé affiche des similitudes avec Radar Love, de Golden Earring.

Dawn Tyler Watson (à droite) et ses musiciens chevronnés ont majoritairement enchaîné des titres blues du disque Mad Love.
Photo : Festival international de jazz de Montréal / Victor Diaz Lamich
Durant la demi-heure que je suis demeuré sur place, Dawn Tyler Watson et ses musiciens chevronnés ont majoritairement enchaîné des titres blues du disque Mad Love : This and That, « une chanson à propos d’égalité », You’re the Only One For Me (tempo fringant) et Love To Burn (galopante et pimpée par les éclats des cuivres).
L’avantage de la distanciation sociale, c’est que je peux voir tous mes amis
, a-t-elle dit avant d’interpréter une version intense, brûlante et à remuer les tripes de Lost, où la chanteuse, en exceptionnelle voix hier soir, a transcendé le genre.
L’univers de Flore Laurentienne
Soyons francs. Passer en cinq minutes de marche du concert de Dawn Tyler Watson à celui de Flore Laurentienne se veut un contraste plus frappant que de zapper d’un épisode western de Bonanza à la science-fiction de Patrouille du Cosmos sur une chaîne télé rétro. On passe des cuivres brûlants aux cordes sensibles, des guitares déchaînées aux claviers planants, d’une prestation agitée à une scénographie statique.
Et pourtant, après seulement quelques minutes d’écoute, on plonge dans l’univers de Mathieu David Gagnon (claviers, orgue, synthétiseurs) au point d’en perdre pied. Tellement space, si je puis dire, cette proposition musicale alliant la musique classique aux couches de synthétiseurs, que l’on se laisse emporter par le son ambiant.
Mélanie Bélair (premier violon), Chantal Bergeron (2e violon), Ligia Paquin (alto) et Annie Gadbois (violoncelle), Antoine Létourneau Berger (percussion, claviers, orgue) et Sylvain Deschamps (orgue, synthétiseur modulaire et quadraphonie) ont enrobé, coloré et magnifié les offrandes de Mathieu David Gagnon qui rendent hommage à la diversité et à la beauté du paysage québécois avec ses compositions.
Ce fut réussi. J’en avais oublié que j’étais sur la place des Festivals, asphaltée et bétonnée, en partie, grâce à la qualité d’écoute exceptionnelle des spectateurs.
Le bottin du blues
La scène que l’on désigne comme étant le parterre symphonique cette année au FIJM est d’ordinaire la scène blues lors d’une année sans pandémie. Les organisateurs ont donc décidé de réussir presque tout le « bottin du blues » de chez nous, dixit Laurent Saulnier, pour un festin copieux de 75 minutes, le tout, sous la direction de l’harmoniciste Guy Bélanger.
Ne voulant rien rater de Beyries, j’ai eu le temps d’apprécier Bélanger (See the Light), fidèle à lui-même, le guitariste Justin Saladino (Irish Bordello), qui a mis le feu, ainsi qu’Adam Karch (Lil’ Black Dress) et Angel Forest (All the Way), dont les voix porteuses, ont dynamisé leurs offrandes.
Finalement, si le jazz faisait un retour aux racines, le blues, lui, a incendié le parterre.
Lumineuse Beyries

Amélie Beyries, en concert, au Festival international de jazz de Montréal.
Photo : Festival international de jazz de Montréal / Victor Diaz Lamich
Tout le long. Tout le long de sa prestation de 75 minutes, Amélie Beyries a eu un sourire dans le visage. Ça m’a sauté au visage – le mien – dès sa deuxième chanson, Over Me. Jamais je ne l’ai vue aussi lumineuse, aussi radieuse, le plus souvent, quand elle regardait le parterre de la place des Festivals qui s’est rempli à la dernière minute.
Il y a dix minutes, il n’y avait personne, et là, vous êtes beaucoup. Vous ne pouvez pas savoir à quel point je suis heureuse d’être ici après ce que l’on vient de vivre.
Heureuse et pas seule à l’être. Avec elle, pas moins de quatre musiciens (Alex McMahon, Andre Papanicolaou, Marc Chatrain) et musicienne (Amélie Mandeville) et cinq choristes. Euh… Quand certaines de tes choristes
sont des vedettes de plein droit comme Kim Richardson, Coral Egan et Marie-Christine Depestre, tu n’es plus en voiture, comme le veut le proverbe, tu es en Rolls Royce.
Ça rappelait le concert A Black and White Night de Roy Orbison, en 1987, lorsque les choristes
avaient pour nom k.d. lang, Jennifer Warnes et Bonnie Raitt.
Pour l’occasion, Beyries a proposé l’essentiel de son deuxième disque, Encounter. Voix aérienne qui parvenait à s’élever au-dessus du chœur vocal, offrandes livrées à la guitare ou au piano, l’autrice-compositrice-interprète a proposé des chansons à l’instrumentation riche qui sont parfois devenues des moments d’échange.
Est-ce qu’il y a des ex-amoureux dans la ville?
a-t-elle demandé, avant d’interpréter une fort jolie Wondering, de l’album Landing. Pendant The Pursuit of Happiness, durant laquelle la phrase I’m a warrior
revient comme un motif de tapisserie, Beyries a crié à la foule : C’est qui les warriors à Montréal?!
On connaissait la réponse.
Elle a su s’approprier à merveille To Love Somebody, des Bee Gees, dédiée à ses amis, car vous m’avez beaucoup manqué
. Beyries a aussi su varier les ambiances. Après Alone, où la phrase complainte I feel the weight
s’est quand même rendue aux nues, elle a ramené le tout à la plus simple expression pour une version de Nous sommes en mode guitare-voix.
Durant Graceless, avant le rappel piano-voix de Soldier, elle s’est prise pour un guitar hero en grattant les cordes de son instrument à genoux sur la scène. Du jamais vu. C’est au terme de cette interprétation qu’elle a littéralement bu les applaudissements qui lui étaient décernés, avec son visage qui irradiait de bonheur, avant de lancer à la foule :
De l’amour et de la musique, c’est ce que je vous souhaite!