Les partis politiques confrontent leurs visions sur les enjeux francophones
Des représentants des cinq principaux partis lors du débat sur les enjeux francophones le 15 septembre
Photo : Radio-Canada / Raphaël Tremblay
Prenez note que cet article publié en 2021 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Les cinq partis fédéraux représentés à la Chambre des communes ont croisé le fer sur les enjeux francophones, mercredi, au cours d'un débat organisé par Radio-Canada.
D’entrée de jeu, les cinq représentants des partis politiques ont tenu à se distinguer.
La ministre libérale sortante Mélanie Joly, responsable du dossier des langues officielles depuis 2015, a défendu le bilan de son gouvernement, même si celui-ci a tardé à proposer un projet de modernisation de la Loi sur les langues officielles, mort au feuilleton pour cause d’élections.
Quand j’ai été nommée ministre des langues officielles, il y a maintenant six ans, les coffres étaient vides à Ottawa. Ça faisait 10 ans que les communautés francophones appelaient les conservateurs et que personne ne répondait au téléphone. [...] Nous, on a investi une somme record pour les communautés [...] Et on a déposé un projet de loi ambitieux [...] qui reconnaît pour la première fois que, non seulement le français est une langue minoritaire au pays, mais aussi qu'on doit en faire plus pour protéger le français pour arriver à une égalité réelle entre nos deux langues officielles.
« On était là avec vous, on est là avec vous présentement et on le sera également dans le futur. »
L’ancien porte-parole aux langues officielles pour le Nouveau Parti démocratique (NPD), de 2015 à 2019, François Choquette, a pour sa part précisé l’engagement de son parti qui, dans son programme, est resté assez vague sur ses intentions.
Le NPD a quand même été reconnu avec ses champions des langues officielles . On peut penser à Yvon Godin, par exemple, qui s'est battu pour le français partout au pays. [...] Lorsque j’étais à la Chambre des communes, je me suis battu également pour l’Université de l’Ontario français, pour la défense des francophones partout au pays
, s’est défendu M. Choquette, insistant sur l’importance d’avoir des clauses linguistiques pour que les communautés francophones soient bien desservies.
Alors que son chef Yves-François Blanchet a été éconduit par la Société de l’Acadie du Nouveau-Brunswick (SANB) qu’il devait rencontrer, mardi, le représentant du Bloc québécois, René Villemure, a minimisé la chose.
L’incident d’hier relève de l’anecdote. [...] Il n’y avait pas de mauvaises intentions. Ça a été monté en épingle. [...] On aimerait bien pouvoir aider les francophones hors Québec, mais on n’imposera rien
, a-t-il plaidé.
Le député conservateur sortant de Richmond-Arthabaska et porte-parole du Parti conservateur du Canada (PCC) en matière de langues officielles depuis 2020, Alain Rayes, a pour sa part garanti qu’un éventuel gouvernement conservateur serait aux côtés des francophones, notamment si les provinces s’y montrent moins sensibles.
Je peux l’assurer. [...] Ça fait six ans que le gouvernement libéral est en poste. On a vu toutes les erreurs [...], comment le français n’a pas été respecté.
Le représentant du Parti vert du Canada, Luc Joli-Coeur a, de son côté, défendu les différences qui semblent exister entre le programme de son parti pour le Québec et à l’échelle nationale, notamment sur la défense du français comme seule langue officielle de la province.
Le financement des universités francophones hors Québec, c’est dans notre plateforme nationale. [...] Ce qui nous préoccupe, c’est la question de l’urgence climatique. [...] Mais c’est sûr que la question francophone nous préoccupe au plus haut point aussi. Notre chef l’a dit, le français c’est une chose très importante.
Les langues officielles
La modernisation de la Loi sur les langues officielles est un enjeu qui a monopolisé l’attention des organismes de la francophonie canadienne depuis plusieurs années. En 2019, la Loi a fêté les 50 ans de sa première version. Une version qui a connu quelques changements, dont les derniers majeurs datent de 1988.
Tous les partis ont promis une modernisation dans leur programme électoral. Mais reste à savoir laquelle.
Les approches libérale et conservatrice ont des trous dans leur projet de modernisation
, a dénoncé M. Choquette, citant l’absence d’agence centrale pour gérer la Loi sur les langues officielles, chez les libéraux, et d’obligation de bilinguisme pour les juges à la Cour suprême du Canada, chez les conservateurs.
Il faut que la loi ait plus de mordant
, a insisté Mme Joly, dont le projet de loi a suscité des applaudissements, mais aussi certaines réserves.
Mais pour M. Rayes, les libéraux ont trop tardé.
Ça fait six ans que le gouvernement est en poste et que Mme Joly est là. Toutes les consultations ont été faites. [...] Si Mme Joly avait vraiment voulu déposer ce projet de loi, elle l’aurait déposé bien avant.
Pour M. Villemure, le problème de la Loi sur les langues officielles, c’est qu’elle renforce le bilinguisme et non le français. Le bilinguisme institutionnel, c’est un recul
, a-t-il dit, plaidant pour l’asymétrie.
On est d’accord, il faut aller plus loin, qu’il y ait des services bilingues dans les entreprises de compétences fédérales. Les francophones doivent avoir de véritables services en français
, a acquiescé M. Joli-Coeur.
« Si on avait voulu adopter cette loi-là, il n’aurait pas fallu aller en élection. »
Interrogée sur la nomination controversée de Mary May Simon , qui ne parle pas le français, comme gouverneure générale, Mme Joly a justifié la décision du gouvernement sortant dont elle fait partie. Cette décision est survenue après celle d’une lieutenante-générale unilingue anglophone au Nouveau-Brunswick.
Mme Simon s’est engagée à apprendre le français et on peut lui faire confiance
, a soutenu Mme Joly.
Mais pour M. Villemure, cette promesse est de la poudre aux yeux
. Elle a eu le temps d’apprendre le français comme diplomate
, a-t-il lancé.
La question du bilinguisme des juges à la Cour suprême du Canada s’est aussi frayée un chemin dans la conversation, alors que le Parti conservateur du Canada ne souhaite pas l’imposer.
Notre chef l’a dit clairement, les juges devront être bilingues et si ce n’est pas le cas, ils devront s’y engager
, a rétorqué M. Rayes.
Éducation
Ces derniers mois, plusieurs institutions postsecondaires francophones ont fait parler d’elles. Le Campus St-Jean, en Alberta, l’Université Laurentienne, en Ontario, l’Université de Saint-Boniface, au Manitoba, l’Université Sainte-Anne, en Nouvelle-Écosse ou encore, l’Université de Moncton, au Nouveau-Brunswick, pour ne citer qu’elles, ont tiré la sonnette d’alarme.
Toutes éprouvent des difficultés financières et les communautés francophones espèrent bien voir le gouvernement fédéral venir à leur rescousse.
Une aide qui passe par les transferts d’Ottawa vers les provinces et que beaucoup souhaiteraient voir bonifiés, mais pas seulement. L’ajout de clauses linguistiques pour mieux s’assurer que l’argent serve directement les communautés francophones est également demandé.
C’est clair qu’il faut appuyer le continuum en éducation, avec un système universel de garderie, puis qu’il puisse continuer jusqu’au postsecondaire
, a lancé Mme Joly, rappelant le soutien de son gouvernement à l’Université de l’Ontario français et l’intention du Parti libéral d’augmenter le financement postsecondaire.
Un engagement qui fait aussi partie du programme conservateur, a rappelé M. Rayes.
Mais pour le représentant néo-démocrate, il n’est pas clair où le Parti libéral ou conservateur prendra l’argent
.
On va mettre un impôt sur les grandes fortunes et les grandes entreprises et comme ça on va pouvoir investir dans notre francophonie. [...] C’est pas vrai que l’argent va tomber du ciel
, a dit M. Choquette pour se démarquer.
Pour M. Joli-Coeur, cela prend un financement stable, avec des attentes envers les provinces et des exigences solides
.
En matière de petite-enfance, M. Rayes a rappelé que son parti veut aider les familles directement
.
Il faut respecter les juridictions provinciales. [...] Il faut être capable, dans chaque mesure, de [s’assurer] que la place du français soit bien nommée. Et ça prend du leadership politique et ce n’est pas ce qu’on a vu dans les deux dernières années.
Pour le représentant bloquiste, le transfert [du fédéral] doit être fait pour le Québec sans condition
. Pour le reste du Canada, il y a un modèle qui peut être repris du Québec, car c’est un succès
, a-t-il ajouté.
Économie
La pénurie de main-d'œuvre touche l’ensemble du pays. Mais pour les minorités francophones, les conséquences peuvent en être décuplées, notamment dans le domaine de l’éducation et de la santé.
L’immigration francophone hors Québec, pour laquelle le fédéral s’était donné une cible - jamais atteinte - , en 2006, de 4,4 % par année d’ici 2023, demeure encore faible pour assurer le maintien du poids démographique des communautés francophones de partout au pays.
Le représentant conservateur, Alain Rayes, a estimé que le prochain gouvernement devra faire preuve de leadership en s'attaquant aux obstacles qui rendent impossible l'atteinte de cet objectif.
On a une problématique à arrimer la reconnaissance des compétences. On a des gens qui maîtrisent le français, qui seraient prêts à aller aider dans une province, mais qui sont pris par les règles
, a-t-il déploré.
La pénurie, elle est réelle. Il faut augmenter l’immigration et s’assurer qu’on ait une stratégie d’immigration francophone
, a dit, de son côté, Mme Joly, faisant référence aux promesses libérales.
Le représentant néo-démocrate demande toutefois de faire plus, alors que la cible d’immigration francophone n’a jamais été atteinte.
Les libéraux et les conservateurs ont manqué leur cible à plusieurs reprises. Il faut parler du poids démographique de nos francophones. [...] L’immigration doit être une priorité. [...] Il faut aussi un investissement dans le postsecondaire, des missions en Europe et en Afrique du Nord pour aller chercher les francophones. C’est urgent!
Culture francophone
Les arts et la culture sont souvent mis de l’avant comme vecteurs de la vitalité des communautés francophones à travers le pays. Et pour les aider à briller, Mme Joly plaide pour le maintien des aides mises en place pendant la pandémie.
Une proposition qui est également celle de M. Joli-Coeur, qui se dit aussi en faveur de la taxation des géants du Web, alors que M. Villemure milite pour un filet social pour les artistes
.
Pour M. Choquette, il est important d’inclure la culture dans la modernisation de la Loi sur les langues officielles.
En 2019, celui qui était alors le porte-parole aux langues officielles pour le NPD
avait décidé de se tourner vers les tribunaux, accusant le ministère du Patrimoine canadien de ne pas avoir prévu d’obligations de productions francophones dans l’entente conclue avec le géant américain Netflix.Vous vous êtes traînée les pieds pendant six ans, Mme Joly
, a-t-il attaqué la représentante libérale.
Les géants du Web doivent être soumis à des normes de contenu avec des règles claires
, insiste M. Joli-Coeur.
À chacun sa priorité
Chaque candidat a finalement partagé sa priorité. Si pour le candidat vert, le dossier le plus important, c’est les services en français, car tout est lié
.
« La priorité numéro un pour tous les francophones, c’est de mettre en place ce projet de Loi sur les langues officielles. [...] Ça prend une loi qui a du poids. »
Mme Joly a assuré qu’un projet de loi sera rapidement déposé en cas de gouvernement libéral.
On est tous préoccupés par l’état du français au pays [...]. On doit faire en sorte que tous les partis à l'unisson lancent un message fort [...] que la protection du français est au cœur de cette nouvelle vision
, a-t-elle lancé.
Mais pour M. Villemure, il est surtout temps de reconnaître l’asymétrie
et que le bilinguisme institutionnel ne fonctionne pas
.
Le néo-démocrate, François Choquette, a conclu son allocution en insistant sur l’importance du continuum en éducation.
C’est essentiel pour permettre la survie et l’épanouissement de nos communautés.