« Il n’y avait aucun respect » pour les morts au CHSLD Herron, selon une soignante
Une infirmière, qui a travaillé jusqu’à 18 heures par jour au CHSLD Herron, a décrit à l’enquête publique du coroner une atmosphère « chaotique » même après sa prise en charge par le CIUSSS.

Une témoin s’est faite mardi très critique des infirmières venues au CHSLD à la demande du CIUSSS de l'Ouest-de-l'Île-de-Montréal en avril 2020.
Photo : La Presse canadienne / Graham Hughes
Prenez note que cet article publié en 2021 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Des dépouilles laissées plusieurs jours dans une chambre, des résidents gisant dans leurs excréments ou leur vomi pendant des heures... Une soignante, qui a travaillé comme préposée puis comme infirmière auxiliaire au CHSLD Herron, à Dorval, à partir de 2018, a raconté en détail les dernières semaines qu'elle y a passées.
L'infirmière a évoqué le cas d’un résident de 102 ans – un de ses préférés
– qui a glissé sur ses propres excréments et est tombé.
Voilà un homme qui a vécu une vie digne, et il est là, couché dans ses selles
, a-t-elle lancé en pleurant, mardi, à Longueuil, à la coroner Géhane Kamel.
Dans un témoignage poignant et d'une grande précision, la soignante a aussi parlé d'un couple qui partageait la même chambre. La dame est morte le 9 avril et était encore dans sa chambre le lendemain. Son époux souffrait d’alzheimer et ne se souvenait pas qu'elle était morte. Et il allait la voir de temps en temps, et chaque fois il constatait sa mort.
Il aurait été si facile, d'après la témoin dont le nom est protégé par une ordonnance de non-publication, d'au moins transférer le corps dans la chambre d'en face, qui était vide après la mort d'un autre résident.
Les corps n’étaient pas bien traités, il n'y avait aucun respect
, a déploré la soignante qui s’est montrée particulièrement critique envers les infirmières venues en renfort à la demande du CIUSSS de l'Ouest-de-l'Île-de-Montréal au début d'avril 2020. Le CHSLD était sous tutelle depuis le 29 mars.
Une des infirmières du CIUSSS l’aurait réprimandée pour avoir lavé une résidente retrouvée morte et gisant dans son vomi.
Je sais qu’on est en manque de personnel, on est partout, mais ça prend cinq minutes pour laver quelqu’un et lui montrer notre respect.
Cette infirmière du CIUSSStraitait les gens décédés comme atteints de la peste
, a-t-elle dit.
L’infirmière a par ailleurs décrit une atmosphère chaotique
à partir de la prise en charge du CHSLD par le CIUSSS.
Il y avait beaucoup de personnes en charge, mais on ne savait pas à qui se rapporter, car tout le monde se contredisait
, a-t-elle regretté. La transition n’a pas été facile.
La témoin a en outre décrit une situation de manque de personnel criant qui s'est poursuivie plusieurs jours après la prise en charge du CIUSSS. À la fin de mars, des infirmières d’une agence de placement avaient déserté en bloc
après avoir appris que la COVID-19 était dans l’édifice
.
Le 7 avril à 15 h, par exemple, tout le monde
avait quitté les lieux, a-t-elle dit. Elle a donc pris sur elle de servir les repas dans chaque chambre cette soirée-là.
La témoin a également reproché aux autorités de rejeter tout le blâme sur la COVID-19 pour masquer le fait que des gens mouraient de déshydratation ou de malnutrition. Je sentais que c'était une façon de se décharger de leurs responsabilités
, a-t-elle dit.
La coroner Géhane Kamel a remercié cette soignante, au terme de son témoignage.
Vous nous permettez par votre témoignage de croire qu’il y a de l’espoir [...] Vous avez pris en charge des personnes qui avaient besoin d’aide jusqu’à la dernière minute. Continuez à rayonner avec votre humanité.
Une autre témoin avait aussi utilisé le terme « chaotique », lundi, pour décrire cette fois le fonctionnement de l'établissement avant même le début de la pandémie.
Aujourd'hui n'est pas une bonne journée
Un peu plus tard, une autre témoin a raconté comment elle était la seule préposée à l'étage le 29 mars, de nombreux soignants étant malades ou ayant déserté.
Après être passée dans chaque chambre, elle s'est vite rendu compte que la majorité des résidents, une cinquantaine, étaient souillés.
Je n'ai jamais vu ça de toutes mes années de carrière
, a témoigné, en larmes, la préposée qui travaillait à Herron depuis 2011.
C'était le cas d'une résidente, la première qu'elle est allée visiter. Une femme très fière et coquette qu'elle a retrouvée dans sa chambre, en pyjama et souillée. Elle voulait être habillée après avoir été lavée, mais la préposée, débordée, lui a répondu qu'elle ne pouvait pas. Aujourd'hui n'est pas une bonne journée
, lui a-t-elle dit.
Elle a demandé de l'aide à l'une des gestionnaires de l'établissement privé et a même menacé de partir, mais elle sentait qu'elle ne pouvait pas abandonner ses patients.
Les audiences se poursuivront mercredi et jeudi pour faire la lumière sur les événements survenus au CHSLD Herron, où 47 personnes sont mortes lors de la première vague de la pandémie, au printemps 2020.