Députés menacés à Québec : « Je vais te trouver! Tu vas en manger une! »
Depuis l'éclatement de la pandémie, menaces, insultes et autres actes de violence verbale envers les parlementaires se sont multipliés au Québec. À un point tel que la rentrée parlementaire se déroule sous forte protection.

Des députés de tous les partis ont été victimes de menaces ou d'actes d'intimidation.
Photo : iStock
Tout paraît bien tranquille au bureau de circonscription de Samuel Poulin, lors de notre passage en Beauce. Pourtant, il y a quelques jours à peine, de nouveaux graffitis sont apparus dans le secteur. « Tu as détruit ma famille », écrit l’auteur à François Legault et à Christian Dubé. « Je vais démolir les vôtres », en faisant référence à Denis Lortie, le tueur du Parlement en 1984.
Samuel Poulin a dû transférer des dizaines de courriels menaçants à la Sûreté du Québec (SQ) dans les derniers mois : "Je vais te trouver! Je vais te chercher! Je t’attends! Tu vas en manger une!" Il faut se faire une carapace parce qu’on peut toujours s’imaginer le pire.
Au plus fort de la pandémie, ses employés devaient éplucher plus de 300 courriels par jour, tandis que la ligne téléphonique du bureau ne dérougissait pas.
Il est loin d’être le seul élu ciblé. Le député solidaire Alexandre Leduc a demandé aux antivaccins de manifester ailleurs qu’aux abords du stade olympique. Ça a attiré les projecteurs sur moi et mon équipe d’Hochelaga-Maisonneuve
, nous raconte-t-il. On a dû solliciter le service de protection de la SQ quand on nous disait : "T’es mieux de te cacher, on va te trouver."
Protéger sa famille
À un certain moment, Alexandre Leduc craignait même des représailles contre sa famille. J’ai demandé à ma conjointe et à ma fille d’aller passer la journée chez mes parents, à l’extérieur de l’île.
Un ministre nous confie aussi anonymement avoir songé à demander une protection pour ses enfants.
C’est le revers de la médaille pour de nombreux élus qui privilégient la proximité avec leurs citoyens. Beaucoup de gens savent où ils habitent. Malgré tout, Samuel Poulin n'a pas peur pour sa sécurité. Des policiers locaux prennent régulièrement de ses nouvelles et surveillent ses apparitions publiques. Et j’ai des bons voisins!
, ajoute-t-il en riant.
Il sent aussi l’appui de la communauté, même si la Beauce est souvent citée en exemple d’une région réfractaire aux mesures sanitaires. Le député admet du même souffle qu'il trouve le climat difficile. Plusieurs fois, je me suis demandé pourquoi je suis venu en politique. Je me suis parlé beaucoup! Personnellement, pour traverser ça, il faut se parler, se grounder et se dire : "C’est pas vrai que mon mandat je vais juste le passer là-dessus!" [...] Je suis venu pour aider le monde et faire une différence. Je ne peux pas me raccrocher au négatif, parce que ça va être trop dur personnellement, politiquement et pour mon équipe.
Toi, t’es mieux de pas te promener dans la rue
C’est un autre exemple de message agressif reçu par un élu, et pas n’importe lequel : un grand gaillard de 1,91 m (6 pi 3 po), ancien hockeyeur devenu député libéral. Enrico Ciccone en a vu d’autres, mais lui-même a dû porter plainte à la police.
Pratiquement aucun député n’y échappe. Se faire traiter de mouton, de marionnette de Legault ou de complice sont devenues des insultes fréquentes. On a toujours tendance à aller voir les commentaires. Là, j’ai arrêté! J’ai arrêté parce que c’était délirant! Un moment donné, ça devient lourd et dur à gérer. Ça vient plomber mon moral
, nous confie le député péquiste de Jonquière, Sylvain Gaudreault.
La rentrée parlementaire à Québec, mardi, se fera sous haute surveillance. L’Assemblée nationale a dû renforcer sa sécurité et offrir du soutien policier aux députés qui le jugent nécessaire. La Sûreté du Québec n’est pas en mesure de nous fournir le nombre de dossiers concernant les élus étant donné leur complexité, mais le corps policier constate une hausse importante depuis un an. Chaque dénonciation est prise au sérieux, du simple courriel à la menace à l’intégrité physique.
Les députés d’opposition doivent aussi doser leurs critiques envers le gouvernement pour ne pas alimenter les discours haineux. Moi, je ne veux pas faire partie de ce jeu-là, alors parfois je m’abstenais
, affirme Enrico Ciccone.
La vaste majorité des gens comprennent qu’on n’a pas signé pour ça
, affirme Samuel Poulin. Bien qu’il appuie sans hésiter toutes les mesures de son gouvernement, il ne pensait pas traverser une période politique aussi intense. Même si on est en désaccord, même si vous n’êtes pas des gens vaccinés et que vous ne croyez pas aux mesures sanitaires… le respect, c’est élémentaire.